Par Michael Lesher
Jusqu’à très récemment, je pensais ne plus pouvoir être choqué par les nouvelles concernant la sauvagerie d’Israël à l’encontre de la population piégée de Gaza – ou par le soutien sans faille de ma communauté juive orthodoxe à chacune de ces atrocités.
J’avais vu les corps déchiquetés d’enfants palestiniens.
J’avais vu les restes bombardés des derniers hôpitaux de Gaza en état de marche et les patients qui avaient été tués à l’intérieur.
J’avais vu des Gazaouis sans défense assassinés de sang-froid par des tireurs d’élite israéliens alors qu’ils tentaient de récupérer un peu d’eau potable.
J’avais lu des articles sur des médecins contraints d’amputer des membres sans anesthésie, sur des mères incapables de sauver leurs petits des bombes ou de la maladie, et sur des juifs israéliens « religieux » qui bloquaient délibérément les camions tentant d’acheminer un filet de fournitures vitales à Gaza et qui dansaient littéralement dans la rue lorsqu’ils réussissaient à le faire.
Mais ensuite, j’ai vu quelque chose qui m’a ébranlé encore plus profondément que tout cela.
J’ai vu un rabbin essuyer une larme.
Ce rabbin appartenait à un groupe religieux résolument antisioniste, Neturei Karta, et il parlait à un intervieweur des crimes israéliens et de la manière dont tout juif authentiquement religieux devait les rejeter. Rien de surprenant à cela. Mais pendant qu’il parlait, l’interviewer a partagé avec lui une vidéo d’un récent carnage dans lequel des enfants palestiniens blessés appelaient en vain leurs parents assassinés. Et – oui – tout en regardant cette scène horrible, le rabbin a tamponné une larme avec les jointures d’une main.
C’était un geste parfaitement naturel. Et pourtant, il m’a choqué – et au début, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi.
Puis j’ai compris ce qui m’avait tant troublé dans cette larme : malgré toutes les horreurs de la campagne génocidaire d’Israël à Gaza, qui dure maintenant depuis près de cinq mois, c’était la première fois que je voyais un rabbin orthodoxe – ou, d’ailleurs, l’un de mes coreligionnaires juifs orthodoxes – montrer le moindre signe d’émotion face aux souffrances infligées aux Palestiniens par ce qu’on appelle l’État juif.
Oh, ils peuvent se passionner pour des choses qui n’ont probablement jamais eu lieu : bébés israéliens décapités, femmes israéliennes victimes de viols collectifs. Mais face aux preuves indéniables de crimes réels commis contre des femmes et des bébés, tous les rabbins orthodoxes qui se sont exprimés publiquement sur le sujet se sont instantanément mis en mode apologie.
C’est la faute du Hamas qui a riposté. Les victimes des vidéos exagéraient probablement leurs blessures. La guerre, c’est la guerre. Et de toute façon, ce ne sont que des Palestiniens, où est le problème ? Malgré toute l’émotion qu’ils ont manifestée face aux tragédies humaines de Gaza, les rabbins n’étaient peut-être que des machines à calculer.
Et ce, quand ils ne célébraient pas activement le massacre.
Noach Isaac Oelbaum, un éminent rabbin new-yorkais, s’est récemment exclamé devant un large public de juifs orthodoxes : « Les mots de la Torah sont nos armes [contre Gaza]. Chaque [page du Talmud que nous étudions] est un missile ; chaque [commentaire de] Tosfos [commentaires médiévaux du Talmud, NdT] est une roquette ; et chaque [chapitre de Psaumes que nous récitons] est une bombe ».
Aucun antisémite n’a jamais calomnié la Torah de manière aussi succincte, mais le rabbin Oelbaum n’était pas le seul à associer le judaïsme à des crimes contre l’humanité : le grand rabbin du Royaume-Uni, Ephraim Mirvis, a tenu à appeler à l’extermination en déclarant que « le Hamas [lire : Gaza] ne peut pas être autorisé à continuer à continuer d’exister », tandis qu’en Israël, la déclaration publique du rabbin Meir Mazuz selon laquelle les habitants de Gaza sont des « animaux » qui méritent de mourir de faim était si typique de l’attitude des juifs orthodoxes qu’elle a été à peine remarquée par la presse.
Michael Lesher
Source: off-Guardian, 29/2/2024 (Traduit par Tlaxcala)
Image.DR
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Le côté obscur du Rabbi de Loubavitch*
L’article ci-dessous a été publié sur le blog du site du Time Of Israel le 14 avril 2017. Il a rapidement été supprimé par ce média sioniste. C’est la première fois que je publie un article de Michael Lesher qui est un juif orthodoxe ainsi qu’un courageux lanceur d’alerte. Dans cet article, Lesher examine le militarisme, le racisme et la sionisation qui sont devenus dominants au sein de l’orthodoxie juive contemporaine. À lire et à diffuser largement [Gilad Atzmon]
Par Michael Lesher
Publié le 15 avril 2017 sur le site de Gilad Atzmon’s
Le 18 avril marque le 115e anniversaire de la naissance de Menachem Mendel Schneerson, le défunt Lubavitcher Rebbe. Schneerson, qui a pris la tête d’une secte hassidique en difficulté à Brooklyn en 1951, était à sa mort en 1994 sans doute « le Juif le plus influent depuis Maïmonide », et c’est sur cette influence que je souhaite écrire – en particulier parce que, au cours des quelque 20 années qui ont suivi sa mort, les souvenirs du charisme personnel du Rebbe ont largement éclipsé le compte rendu de son enseignement réel.
Ce dollar béni par le Rebbe est en vente pour 1800$ sur ebay. On gagne sa vie comme on peut !
Je note d’emblée que je n’ai ni les compétences ni le désir d’essayer d’analyser l’ensemble de la doctrine religieuse du Rebbe. De son rôle en tant que prêtre et chef de communauté, je n’ai pas grand-chose à dire, n’ayant jamais vécu dans une enclave à prédominance loubavitch. De plus, n’ayant pas eu de contact avec lui, je ne suis pas en mesure d’écrire sur ses qualités personnelles ; je suis prêt à admettre qu’elles étaient impressionnantes.
Je m’intéresse davantage au côté sombre de l’enseignement du Rabbi.
Car ce côté sombre – un fatras de messianisme apocalyptique et de racisme manifeste au cœur de l’enseignement du Rebbe – est probablement sa contribution durable au monde juif, dans lequel son prestige (en grande partie grâce aux hagiographies populaires de Joseph Telushkin et d’Adin Steinsaltz) continue d’augmenter alors même que les discussions sérieuses sur son héritage ont pratiquement disparu.
Pire encore, l’enseignement du Rebbe a de graves conséquences pratiques. Certains de ses sermons les plus véhéments ont été consacrés à la promotion du militarisme au Moyen-Orient. Alors que la violence d’Israël contre ses Untermenschen palestiniens s’intensifiait et que ses attaques contre les pays voisins atteignaient de nouveaux sommets de sauvagerie, le Rebbe rationalisait l’occupation et encourageait l’assaut militaire d’Israël contre le Liban en 1982, tout comme il allait encourager le carnage mené par les USAméricains en Irak neuf ans plus tard. Il est certain qu’un religieux musulman qui prêcherait des choses similaires serait frappé d’anathème dans tout le monde occidental. Pourquoi, dans ce cas, le Rebbe bénéficie-t-il d’un passe-droit pour son bellicisme en faveur de l’oppression de la Palestine – certainement la plus vilaine tache sur la tradition juive à l’époque moderne ?
La question ne peut être éludée. Le Rebbe n’a pas seulement toléré l’oppression israélienne. Il l’a encouragée.
Dans Eyes Upon the Land, un livre explicitement « basé sur les déclarations publiques et les écrits du Lubavitcher Rebbe», le lecteur apprend que « chaque pouce de territoire en Israël », y compris « les terres prises lors de la Guerre des Six Jours », doit être tenu par l’utilisation de la force militaire juive, sans tenir compte du droit international ou des conséquences pour la population non-juive. Pourquoi ? Parce que « l’Arabe ordinaire de la rue » ne cherche rien de moins que « la domination arabe sur toute la terre de Palestine » et considère tous les Israéliens avec « une haine profonde ». Le Rebbe n’a jamais apporté la preuve qu’une armée palestinienne inexistante submergerait d’une manière ou d’une autre les forces militaires massives d’Israël – il n’y en a pas – mais la question plus sombre est de savoir pourquoi l’insistance du Rebbe sur la domination juive sur la même terre, et la haine profonde des Palestiniens et des autres Arabes qu’il encourageait (pendant le massacre par Israël de plus de 17 000 personnes au Liban en 1982, le Rebbe a critiqué à plusieurs reprises les Israéliens pour leur trop grande timidité) ne justifiait pas l’utilisation de la force par les Arabes contre leurs agresseurs juifs. La seule réponse possible est la réponse évidente : Les Juifs sont différents des non-Juifs par définition. Les objectifs juifs importaient au Rebbe. Les vies arabes ne comptaient pas.
Et l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza par Israël ? Au cours de la première Intifada, le Rebbe a prêché avec insistance contre le moindre assouplissement des conditions d’oppression qui avaient déclenché la révolte populaire désespérée (et non violente dans son écrasante majorité). « Les concessions convainquent les Arabes de la faiblesse d’Israël », affirmait-il. « Même le simple fait d’évoquer d’éventuelles concessions est préjudiciable car ça encourage l’activité terroriste ». Meir Kahane lui-même n’aurait pas pu le dire plus brutalement.
FALAFEL POUR LES SOLDATS
“Habad de Hébron a lancé un programme “Adoptez un soldat”. Les shluchim [missionnaires] Rabbi Danny Cohen et Rabbi Mordechai Hellinger achètent le repas auprès d’entreprises locales en difficulté, car le tourisme dans la ville sainte, où se trouve le Tombeau des Patriarches, a pratiquement disparu en raison de la pandémie, et le remettent aux troupes de Tsahal stationnées dans la région en guise de remerciement pour leur service.”
Le lecteur ordinaire entend rarement parler de tout cela : une grande partie de ce qui passe pour des commentaires sur l’œuvre du Rebbe n’est que de la propagande. Dans Toward a Meaningful Life, un livre qui se veut une distillation des enseignements du Rebbe, Simon Jacobson affirme que « le Rabbi a enseigné – et incarné – un message nettement universel, appelant toute l’humanité à mener une vie productive et vertueuse, et appelant à l’unité entre tous les peuples ». En fait, Schneerson a fondé son enseignement sur le texte traditionnel hassidique connu sous le nom de Tanya, un ouvrage profondément raciste selon lequel seuls les Juifs sont dotés d’une âme pleinement humaine. Certes, Schneerson était loin d’être le seul prédicateur raciste au monde, mais il est difficile d’imaginer que des panégyriques comme ceux de Jacobson puissent circuler à propos, par exemple, de David Duke.
Michael Lesher
[Note du traducteur FG]
(*) Originaire du village de Lioubavitchi, dans l’oblast de Smolensk, en Russie (aujourd’hui en Belarus), la secte des Loubavitch (appelée Habad, acronyme hébraïque désignant les trois facultés intellectuelles traditionnelles : ‘hokhmah – la sagesse, binah – la compréhension et daat – la connaissance) est une dynastie hassidique établie au XVIIIème siècle. Elle a commencé à acquérir une dimension mondiale à partir de l’installation du, sixième rebbe du mouvement, Yossef Yitzchok Schneersohn, à Brooklyn dans les années 1940. Son beau-fils Menachem Mendel Schneerson (1902-1994), considéré par ses adeptes comme « le Roi Messie », en a fait une multinationale florissante présente sur toute la planète, avec des milliers de centres, écoles, entreprises, boutiques, camps de vacances, centres aérés et sites ouèbe. Résolument modernistes et pragmatiques, les Loubavitch ne s’embarrassent pas des interdits promulgués par les autres sectes hassidiques et utilisent tous les moyens technologiques pour diffuser leur message et recruter des adeptes. Et surtout, à la différence d’autres sectes hassidiques comme les Neturei Karta, ils considèrent que l’État sioniste est parfaitement cacher. Très présents et actifs en Israël, ils y possèdent trois villes : Kfar ‘Habad (fondée en 1948), Na’halat Har ‘Habad (1969) et Kiryat ‘Habad (1979) et, comme ils le disent, « la relation spéciale entre ‘Habad et les Forces de Défense d’Israël est légendaire ». On assiste depuis plusieurs années à une mutation du sionisme : mouvement politique créé par des Juifs bourgeois de langue allemande entièrement laïques ou même athées, mis en pratique par des Juifs ashkénazes non-religieux de langue russe, polonaise et/ou yiddish, et généralement socialistes ou communistes (les fondateurs de l’État d’Israël), le sionisme est aujourd’hui majoritairement religieux. Incapable de se légitimer par des arguments rationnels, il s’est rabattu sur l’invocation d’une mission divine et messianique, en tripatouillant les textes fondateurs du judaïsme.
Les Loubavitch ont joué un rôle décisif dans cette involution. D’où l’intérêt du texte ci-dessus, toujours actuel.
Article original en anglais publié le 15 avril 2017 sur le site de Gilad Atzmon’s (Traduit par Tlaxcala)