Les Brics, combien de divisions?

Le groupe est encore dans une phase intermédiaire de sa construction qui le rend vulnérable aux attaques extérieures. 

Par Guy Mettan

On se souvient de la fameuse formule que Staline servit à Laval en 1935 pour tourner en dérision la puissance du Vatican: «Le Pape, combien de divisions?» Depuis leur création en 2001, les pays occidentaux n’ont guère pris au sérieux cet assemblage hétéroclite de pays émergents qui n’ont a priori pas grand-chose en commun et qui, parfois, se détestent cordialement comme l’Inde et la Chine.

Mais on peut craindre qu’ils aient commis la même erreur que Staline, dont les héritiers se virent évincer de l’histoire en 1991 parce qu’ils avaient sous-estimé le pouvoir du Vatican, alors en mains du pape polonais Jean Paul II, et la supériorité écrasante de l’idéologie capitaliste sur les tanks et l’industrie lourde communistes.

Le rapport de force économique est en effet en train de basculer, lentement mais sûrement, en faveur des pays du sud. L’an dernier, le PIB nominal des Brics (31,5% du PIB mondial) a dépassé celui du G7 (30,7%). Leur poids démographique, et donc la taille de leur marché potentiel, est trois fois supérieur à celui des sept économies les plus développées (3 milliards contre un milliard). Mais surtout la dynamique joue en leur faveur, tant pour la croissance économique que pour l’attraction qu’ils exercent dans le sud global puisque 13 pays (de l’Algérie à l’Ethiopie en passant par l’Argentine et le Mexique) ont déposé une demande formelle d’adhésion et que six autres ont exprimé leur intérêt à rejoindre le groupe.

On objectera avec raison à ces chiffres que la qualité des briques ne suffit pas à construire une maison solide et durable: encore faut-il que le ciment et les maçons soient à la hauteur. Plus ancien, plus intégré, plus homogène politiquement et idéologiquement, habitué à gérer les affaires du monde sans partage, dominant au Conseil de sécurité et à l’ONU, le G7 possède de ce point de vue des avantages évidents. Sera-ce suffisant?

Ce n’est pas sûr car les membres des Brics et les prétendants au club semblent déterminés à remettre en cause l’ordre établi et à s’affirmer sur la scène internationale. De manière moins tonitruante et contestée que la Russie en Ukraine, mais avec une détermination tout aussi forte. Contrairement au mouvement des non alignés, qui s’est contenté de rester passif face aux deux supergrands des années 1950-1970 et dont les économies ne pesaient pas lourd, les Brics envisagent leur rôle de façon beaucoup plus active et avec des moyens infiniment supérieurs. Ils considèrent l’Europe avec condescendance et ne cachent plus leur défiance vis-à-vis des Etats-Unis, dont la politique de sanctions et d’extraterritorialité du droit les agace au plus haut point.

Ils affichent leur volonté de mettre fin à la domination du dollar et à l’omnipotence des institutions financières de Bretton Woods. Ils multiplient les accords d’échanges bilatéraux en monnaies locales tout en refusant les diktats occidentaux à l’ONU comme on l’a vu au début du mois de juillet au Conseil des droits de l’homme à Genève avec la résolution du Pakistan qui a condamné à une large majorité le blasphème typiquement européenne qui consiste à brûler le Coran.

L’importance du 15e sommet du groupe, prévu dans un mois à Johannesburg, n’a en tout cas pas échappé à Emmanuel Macron, qui a tenté de s’y faire inviter sans avoir, à ce jour, obtenu de réponse. Il n’est en effet pas sûr que les Brics tombent dans le piège qu’on veut leur tendre, à savoir privilégier un tiers qui n’est pas membre du club tout en devant renoncer à la présence physique de l’un des membres fondateurs, à savoir le président russe poursuivi par un Tribunal pénal international dominé par les Occidentaux.

Les Brics sont encore dans une phase intermédiaire de leur construction qui les rend vulnérables aux attaques extérieures. Les briques sont posées mais le mortier n’est pas encore sec. On ne tardera pas à savoir s’il a résisté.

Guy Mettan

Guy Mettan est un journaliste indépendant et l’auteur d’une dizaine de livres parmi lesquels:

“Une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Pourquoi nous aimons tant détester la Russie“. [La nouvelle édition chez Thebookedition]

Résumé

Comment expliquer la guerre en Ukraine ? Pourquoi a-t-elle éclaté ? Pour les Occidentaux, c’est la Russie qui, sans raison, a sauvagement attaqué l’Ukraine. Ce narratif commode est ressassé dans les médias par les va-t-en-guerre qui préconisent la guerre à outrance contre l’ennemi russe.
Pour comprendre cet acharnement, Guy Mettan remonte loin dans l’histoire, jusqu’à l’empereur Charlemagne. Il examine sans tabou les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques dont se nourrissent la russophobie occidentale et la hantise du prétendu envahisseur russe. Il démonte les ressorts du discours russophobe qui ont pour effet de repousser toujours plus loin les chances de paix et de réconciliation.

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