Par Ray McGovern
Paru le 3 février 2022 sur Antiwar
La fuite du texte (au journal espagnol El Pais) de la réponse de Washington aux propositions de sécurité de la Russie en décembre est de bon augure pour un éventuel dénouement pacifique sur l’Ukraine. La réponse américaine peut sembler n’être encore qu’un demi pain, mais elle comprend un édulcorant appétissant : la vérification.
La réponse “non-papier” de Washington répond directement à la principale préoccupation de Poutine. (Pour tous les nouveaux lecteurs de antiwar.com : Ce n’est pas ce que vous pensez probablement ; ce n’est pas la soif apparemment insatiable de Poutine de faire signer à l’OTAN un morceau de papier interdisant l’adhésion de l’Ukraine ; c’est l’autre moitié du demi pain, et il est devenu plutôt rassis – ainsi que discutable).
Au contraire, la principale préoccupation de Poutine est depuis longtemps que les lance-missiles actuellement déployés en Roumanie et bientôt, si ce n’est déjà fait, en Pologne (ostensiblement pour la défense antimissile) puissent accueillir des missiles de croisière Tomahawk d’une portée qui mette en péril les forces stratégiques de la Russie. Poutine a exprimé cette inquiétude haut et fort pendant des années.
Par exemple, après le coup d’État orchestré par les États-Unis à Kiev en février 2014, Poutine a expliqué publiquement que les plans des États-Unis et de l’OTAN visant à déployer des systèmes ABM autour de la périphérie occidentale de la Russie étaient un “facteur encore plus important” dans la décision de Moscou d’annexer la Crimée que la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. (Pour un exemple particulièrement parlant, les lecteurs sont invités à visionner un court clip montrant la frustration de Poutine, il y a six ans, face à son incapacité à faire comprendre aux journalistes occidentaux l’urgence des emplacements de missiles “ABM”).
Lors de la conférence de presse du 1er février, Poutine a commencé par rappeler que la Russie s’était fait “rouler” lorsque l’Occident avait promis en 1990 de ne pas déplacer l’OTAN d’un pouce vers l’est. Poutine a ensuite souligné qu’après le retrait des États-Unis du traité AMB :
“Maintenant, des missiles antibalistiques sont déployés en Roumanie et sont en train d’être installés en Pologne. … Ce sont des lanceurs MK-41 qui peuvent lancer des Tomahawks. En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement de contre-missiles, et ces armes d’assaut peuvent couvrir des milliers de kilomètres de notre territoire. N’est-ce pas une menace pour nous ?“
Qu’en est-il d’un déploiement similaire en Ukraine ? Les États-Unis ont déjà accepté de ne pas le faire. Les médias occidentaux ont largement manqué cela, mais le compte-rendu russe de la conversation téléphonique du 30 décembre entre Biden et Poutine comprenait ceci :
“… Joseph Biden a souligné que la Russie et les États-Unis partageaient une responsabilité particulière pour assurer la stabilité en Europe et dans le monde entier et que Washington n’avait aucune intention de déployer des armes de frappe offensive en Ukraine.” [C’est nous qui soulignons].
Enterrer ces Tomahawks
Le “non-papier” américain, révélé hier par El Pais, portait la mention “confidentiel”, ce qui n’est pas étonnant. Il est clair que l’administration Biden ne voulait pas que sa concession sur les inspections, par exemple, soit divulguée. Ce sera un choc pour ceux qui prédisent (certains espèrent même) le pire. Le document officieux de Washington exprime la volonté de discuter “d’un mécanisme de transparence pour confirmer l’absence de missiles de croisière Tomahawk sur les sites de Roumanie et de Pologne”. En d’autres termes, la vérification, qui a bien fonctionné dans le passé – avec le traité INF, par exemple, qui a vu la destruction de toute la classe des missiles à portée intermédiaire et à courte portée.
Il n’est pas non plus surprenant que les États-Unis aient demandé aux Russes (et à tous les autres) de garder leur “non-papier” secret. Le complexe Militaire-Industriel-Congrèsal-Intelligence-Médias-Académies-Think-Tank (MICIMATT) va s’insurger, pour ainsi dire. Sans parler de Raytheon, qui fabrique et vend les Tomahawks (à 2 million de dollars pièce). Voir, par exemple : Top Weapons Companies Boast Ukraine-Russia Tensions Are a Boon for Business.
L’annonce faite hier par les États-Unis de l’envoi de 3 000 soldats américains en Europe de l’Est vise à souligner que Washington est prêt à affronter Poutine. Cette décision sera largement perçue comme un symbole.
Ray McGovern
Ray McGovern au cours de ses 27 années de carrière en tant qu’analyste de la CIA, il a notamment été chef de la branche de la politique étrangère soviétique et préparateur du President’s Daily Brief. Il est cofondateur de Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS).
(Traduction: Arrêt sur Info)
Source: Antiwar