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IVAN SIIAK, le 19 février 2016

Le 20 février 2014, le jour où les manifestants se sont fait tirer dessus dans la rue Instytutska, les premières personnes qui sont mortes n’étaient pas des activistes du Maïdan, mais des officiers de police des forces spéciales du Berkout. Ivan Bubenchyk, de Lviv, déclare qu’ils ont été abattus par son fusil. Ivan Siyak l’a rencontré pour écouter son histoire.

Il n’y a pas de date plus importante dans l’histoire moderne de l’Ukraine que le 20 février 2014. Ce jour-là dans les rues de Kiev, 48 activistes du Maïdan et 4 officiers de police se sont fait tuer. Peu de temps après, le président de l’époque, Viktor Ianoukovytch fuit le pays, l’annexion de la Crimée commença, et après cela, la guerre au Donbass. Si nous généralisons, c’est le jour qui prédestina l’Ukraine à perdre 7% de son territoire et plusieurs milliers de vies.

Personne ne pouvait rien savoir de cela au petit matin du 20 février. Après deux jours de combat acharné avec la police, qui donna lieu à la mort de 31 activistes et 8 membres des forces de l’ordre, les manifestants étaient laissés avec beaucoup moins de terrain. La police maintenait des positions au sein même de la place Maïdan. Il n’y avait aucun doute sur le fait que la prochaine attaque mettrait un terme au soulèvement, et qu’alors dans les futurs livres d’école ils appelleraient cela rien de plus que des “révoltes de masse”.

“Ses actions tactiques ciblées ont fait fuir les forces de l’ordre et ont empêché le péril de la Révolution de la Dignité” – le Wikipedia ukrainien est vague à propos du rôle d’Ivan Bubenchyk dans l’histoire. Il donna le premier récit détaillé de ses agissements en ce jour dans le film Captifs de Volodymyr Tykhyy. L’avant-première de ce documentaire s’est déjà déroulée et il sera à l’affiche des cinémas ukrainiens le 25 février. Juste avant l’avant-première, Ivan Siyak rencontra Ivan Bubenchyk à Maïdan pour écouter son récit des événements.

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Ivan Bubenchyk.

Ivan Bubenchyk parle ukrainien, la traduction a été réalisée par Bird In Flight.

Je veux ouvrir une école de pêche pour les enfants. C’est ce que je faisais avant Maïdan. Quand à Lviv les étudiants manifestaient contre Ianoukovytch, je suis venu pour les soutenir. Tout le monde disait que nous devions aller à Kiev, donc j’y suis allé. C’est difficile de se souvenir des dates, mais c’était le premier jour. J’ai été à la Place Maïdan dès le premier jour.

Au début, nous nous tenions près du Monument de l’Indépendance et on gardait les étudiants. Plus tard, des “centaines” se sont formées, et j’ai joint la Neuvième centaine. J’habitais dans la rue Honchara, dans le bâtiment du Mouvement Populaire d’Ukraine (Roukh) (parti politique nationaliste de centre droit, fondé en 1989 comme mouvement politique citoyen – Ed.), et chaque nuit à 23h30 nous venions pour garder le métro sous Maïdan. Nous contrôlions toutes les sorties car les officiers des services spéciaux pouvaient en sortir à tout moment pour tenter un quelconque sabotage ou simplement pour nous disperser.

Je me souviens qu’il y avait des troupes nationales dans la rue Hrushevskoho, ils ne nous laissaient pas remonter [vers le quartier des bâtiments gouvernementaux]. Nous sommes venus avec une lettre qui disait que nous étions citoyens de l’Ukraine et que nous pouvions nous déplacer librement à l’intérieur du territoire de notre pays. Nous avons dit que si nous ne pouvions pas exercer ce droit d’ici au lendemain, nous attaquerions. Et c’est ce qui s’est passé. Le jour suivant il y eut des pierres et des cocktails Molotov.

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Le 20 février les services spéciaux de Ianoukovytch ont tout fait pour éliminer le Maïdan. Ils ont brûlé le bâtiment des Syndicats, qui était très important pour nous. Nous vivions et dormions là, utilisions les toilettes, mangions, et recevions des soins médicaux. Après qu’ils l’eurent fait, le matin suivant Dieu nous donna l’opportunité d’entrer dans le Conservatoire de Musique. Nous avons aidé un enfant Rom à entrer par la fenêtre. Il ouvrit les portes de l’intérieur. Nous pouvions dormir un peu là. Certains dormirent une heure, d’autres une demi-heure – nous ne pouvions pas dormir plus avec tout le bruit terrible qu’ils nous infligeaient. Tout le monde était désespéré sauf moi. J’ai une forte croyance dans le pouvoir et la justice de Dieu.

Dans le Conservatoire de Musique, il y avait des gars avec des fusils de chasse. Ils tiraient à la grenaille sur les forces spéciales qui étaient à environ 70 mètres de nous. Mais je les ai chassés des fenêtres, alors que la police a commencé à nous lancer des cocktails Molotov afin de brûler notre unique refuge. Les tirs de grenaille les irritaient.

A ce moment-là, je priais pour 40 fusils automatiques pour Maïdan. Après quelque temps j’ai réalisé que j’en demandais trop. Alors j’en ai demandé vingt. Le matin du 20 février, ce gars est venu et a apporté une kalachnikov dans un sac de tennis et 75 cartouches. Beaucoup aimeraient entendre que l’on a pris le fusil aux titushkas (mercenaires qui soutenaient les forces de police – Ed.) pendant les affrontements du 18 février. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

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1. Batiment des Syndicats. 2. Les barricades telles qu’elles étaient le 20 février. 3. Position de Bubenchyk. 4. Là où les forces de police étaient situées. 5. Là où les activistes se sont fait tirer dessus dans la rue Instytutska.

Je tirais depuis la fenêtre qui donnait sur Maïdan, derrière les colonnes au deuxième étage. Je pouvais voir clairement les officiers de police avec leurs boucliers au Monument de l’Indépendance. Il y en avait à peu près deux cents là-bas derrière les sacs de sable, il n’y avait pas de place pour plus. Des groupes d’assaut avec des fusils à pompe était en train d’avancer de là-bas. Ils tiraient à bout portant sur les barricades, sans aucune honte.

Je visais ceux qui dirigeaient. Je ne pouvais pas les entendre, mais je voyais leurs gestes. La distance était courte, alors pour deux commandants j’avais seulement besoin de deux tirs. J’ai appris à tirer quand j’étais dans l’Armée soviétique. J’ai étudié à leur école du renseignement militaire. Nous étions entraînés pour des opérations en Afghanistan et dans d’autres zones de conflits.

Ils disent que je leur ai tiré derrière la tête, et c’est vrai. Il se trouve qu’ils se tenaient debout en me tournant le dos. Je n’avais pas le temps d’attendre qu’ils se retournent. Après Dieu les a tournés dans ce sens, et c’est de cette manière que cela a été fait.

Il n’y avait pas besoin de tuer les autres, seulement leur tirer dans les jambes. Je suis sorti du conservatoire de musique et j’ai commencé à me déplacer le long des barricades. Alors que je leur tirais dessus, je voulais que la police croie qu’on avait vingt ou quarante fusils. J’ai demandé aux gars de créer des petites brèches dans leurs boucliers pour moi. Cela peut être désagréable à entendre pour certaines personnes… mais ils en pleuraient de joie. Ils savaient qu’on ne pouvait pas tenir sans armes.

La distance était courte, alors pour deux commandants j’avais seulement besoin de deux tirs.

J’ai rejoint le bâtiment des Syndicats et je n’avais plus de cartouches. Cependant, ça avait déjà marché, et la police commençait à courir. Ils ont tout laissé derrière. Ils se grimpaient dessus comme des rats.

Les unités de police ne pouvaient pas toutes échapper aux militants. Les gars ont escaladé les barricades et les ont poursuivis. Ils ont fait des groupes de dix ou vingt prisonniers et les ont conduits derrière Maïdan, à l’Hôtel de Ville de Kiev. En revanche, les plus courageux de nos héros ont continué à poursuivre la police dans la rue Instytutska, et très rapidement la police a reçu l’ordre de tirer sur les militants.

Ce fut un moment difficile, quand j’ai réalisé que je pouvais arrêter la fusillade. Différentes personnes à Maïdan – je ne vous dirais pas qui ils étaient, mais ils avaient du poids – m’ont promis des cartouches. Je les ai crues, j’ai couru d’un endroit à un autre… C’était les minutes les plus difficiles de ma vie, j’étais complètement sans défense. Ils disent qu’il y avait beaucoup d’armes à Maïdan. Ce n’est pas vrai. S’il y en avait beaucoup, personne n’aurait laissé la police tirer sur nos gars. Ihor Serdiuk et Bohdan Vaida, de ma centurie, sont morts dans la rue Instytutska.

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van Bubenchyk.

Je protège ma Patrie et mon peuple. Quand je n’avais plus de cartouches, c’était comme si on avait enlevé son scalpel à un chirurgien. Le patient a besoin d’aide en urgence, mais le chirurgien n’a pas de scalpel… Et la personne meurt pendant que le docteur regarde.

J’ai rencontré des officiers du Berkout qui se battent pour l’Ukraine dans la zone OAT (Zone d’Opération Anti-Terroriste, terme souvent utilisé par le gouvernement et les médias d’Ukraine pour identifier le territoire dans lequel a lieu la guerre du Donbass – Ed.). Mais j’ai essayé de communiquer avec les gens qui sont comme moi, ou mieux que moi. Il y a eu certains désaccords entre nous… S’ils sont en guerre de manière consciente, pas pour le statut d’ancien combattant ou pour l’argent, alors cela pourrait les purifier. Mais je ne souhaite pas communiquer avec eux.

A Maïdan, nous avons fait un pas dans la bonne direction, et reçu une leçon qui nous permettra d’avancer. Néanmoins, mon pays n’est toujours pas un État de droit, et je pense toujours que toutes les polices dans notre pays sont illégales. Donc je ne souhaite pas communiquer avec eux. Veulent-ils s’adresser à moi ? Je pense qu’ils le voudront après l’avant-première du documentaire.

Mes victimes sont des criminels, des ennemis. Je dois parler franchement, pour que les autres gens sachent comment ils doivent s’occuper de leurs ennemis.

Ivan Siyak – 19/02/2016

Source: Bird In Flight 

Photos par Alexander Chekmenev.