Par Craig Murray, le 28 février 2025
Nous avons récemment cherché un site dans la vallée de la Bekaa, au nord, récemment bombardée par Israël. Hadi savait près de quel village se trouvait le site, mais alors que nous roulions parmi de vastes espaces agricoles fertiles et bien travaillés, il était clair que ses informations étaient approximatives.
Nous nous sommes arrêtés devant un garage pour demander notre chemin. Le Liban n’a pas suivi la voie des économies occidentales obligeant les consommateurs à fournir eux-mêmes les services pour lesquels ils paient, si bien que dans les stations-service libanaises, on trouve encore des pompistes. Un vieil homme à la tenue négligée était assis sur le perron d’un kiosque délabré et rudimentaire construit en parpaings. Il s’est approché de la fenêtre du conducteur.
Hadi lui commanda d’abord un plein d’essence, après quoi le vieil homme fit le plein, nettoya le pare-brise et encaissa le paiement. Il avait les cheveux blancs et une barbe courte, mais pas du genre taillé à la perfection, comme c’est l’habitude à Beyrouth. Lorsqu’il revint avec la monnaie, Hadi lui demanda s’il savait où se trouvait le site bombardé.
Le vieil homme répondit par des questions. Je ne comprends pas l’arabe, mais d’après le langage corporel, on pouvait sentir un changement marqué dans l’interaction entre les deux, entre l’homme qui avait servi Hadi et celui qui le questionnait. Sa démarche traînante disparut, il redressa le dos et se tint plus droit.
Ils parlaient à travers la fenêtre du conducteur, et l’homme s’avança d’un mouvement décidé et posa son avant-bras sur le bas de la vitre, introduisant sa tête dans le véhicule avec assurance. Il me regarda avec insistance, puis regarda Niels assis sur la banquette arrière avec son équipement photo. Ses questions à Hadi devinrent laconiques.
Je le regardai dans les yeux. Il avait ce regard perçant que l’on retrouve chez les officiers des forces spéciales que j’ai parfois croisés au cours de ma carrière aux Affaires étrangères. Il s’éloigna ensuite de la voiture, sortit son téléphone et passa un appel.
Au bout d’un moment, il tendit le téléphone à Hadi, lequel avait l’air à la fois sérieux et inquiet. Hadi écouta, rendit le téléphone à son interlocuteur, lui dit merci et au revoir, puis recula pour sortir du garage. Hadi nous expliqua que nous n’avions pas le droit de nous rendre sur le site de l’explosion.
Nous venions de rencontrer des membres du Hezbollah. La chose importante à comprendre dans cette rencontre, c’est que cet homme n’était pas un agent infiltré du Hezbollah se faisant passer pour un garagiste. C’était un garagiste appartenant au Hezbollah.
Le Hezbollah n’est pas une organisation comparable à l’IRA, où un nombre relativement restreint de membres évoluaient dans une communauté où ils bénéficiaient d’un très large soutien. Le Hezbollah opère dans une communauté où presque tout le monde milite et où pratiquement tous les citoyens adultes sont prêts à prendre une arme ou un lance-roquettes et savent s’en servir.
C’est là une clé pour comprendre comment le Hezbollah est devenu la seule force militaire à avoir jamais été capable de vaincre l’armée israélienne dans une guerre de position. À cet égard, l’avantage crucial du Hezbollah par rapport au Hamas est qu’il a eu un accès pratiquement illimité aux livraisons d’armes pour constituer son arsenal, alors que le Hamas a été fortement limité par le contrôle exercé par Israël sur les flux de marchandises entrant à Gaza.
Mettre fin à l’approvisionnement en armes du Hezbollah a été un objectif stratégique clé des États-Unis et d’Israël cette dernière année, et ils l’ont en grande partie atteint. Mais j’y reviendrai.
Sur le plan personnel, cette rencontre avec le garagiste a été assez typique de mes interactions avec le Hezbollah au cours de mes quatre mois au Liban. Ils m’ont retenu de manière plutôt effrayante lors de notre première rencontre, et m’ont généralement traité avec une crainte compréhensible étant donné mon passé de diplomate britannique.
J’ai vu littéralement des milliers de bâtiments détruits par Israël au Liban. Le plus traumatisant dans cette expérience a été de trouver fréquemment des vêtements et des jouets d’enfants en bas âge dans les décombres : j’en fais encore des cauchemars.
Cependant, c’était la deuxième fois que nous pouvions identifier qu’Israël avait frappé une véritable installation militaire du Hezbollah, plutôt qu’un bâtiment civil. Les deux dernières fois, le Hezbollah m’a empêché d’aller voir. Du point de vue de la sécurité du site militaire, cela me semble un peu tardif.
Après avoir été empêchés d’accéder à ce site bombardé, nous avons continué notre route jusqu’au village et avons rencontré des habitants que connaissait Hadi. Dans ce petit village, on peut recenser plus de 70 bombardements israéliens, dont 8 depuis le cessez-le-feu.
Ils m’ont emmené dans une grande maison totalement détruite, un amoncellement de décombres dispersés dans un vaste périmètre. Douze membres d’une même famille ont été tués dans cette maison, dont sept enfants. Le chef de famille était parti en fin d’après-midi pour aller acheter le dîner chez le boucher, lorsque sa maison et sa famille ont été détruites sous ses yeux.
L’explosion a été si violente que le corps de l’un des enfants a été retrouvé dans le verger d’oliviers voisin, de l’autre côté de la route, à environ soixante-dix mètres de là. De nombreux oliviers ont été déchiquetés et des fragments de la maison ont été éparpillés dans le champ et au-delà.
La maison voisine n’a pas subi de gros dégâts, mais un père et ses deux filles ont été tués par l’onde de choc alors qu’ils buvaient un café sur leur terrasse.
On peut dire beaucoup de choses intéressantes sur le Hezbollah, mais permettez-moi de commencer par ces trois points.
Le premier est que le soutien au Hezbollah parmi les communautés chiites du Liban est extrêmement fort. C’est bien plus qu’une organisation militaire. C’est le plus grand parti politique légitime du Liban.
Lors des élections de 2002, le Hezbollah a obtenu 19,9 % des voix, et son proche allié, le mouvement Amal, 10,5 %. Le parti qui arrive en deuxième position derrière le Hezbollah, les Forces libanaises néofascistes, a obtenu 11,6 % des voix.
Il ne faut pas confondre le parti politique des Forces libanaises avec les Forces armées libanaises, avec lesquelles il n’a aucun lien. Les Forces armées libanaises restent sous le contrôle effectif des États-Unis et n’ont pas tiré un seul coup de feu contre l’invasion et l’occupation israéliennes. Mais comme tant de choses au Liban, la situation n’est pas simple et la majorité des soldats des FAL sont des musulmans chiites sympathisants du Hezbollah, et une grande majorité des soldats de toutes confessions seraient heureux de combattre les Israéliens si on les y autorisait.
En vertu de la très particulière constitution libanaise, les Forces libanaises, avec 11,6 % des voix, ont obtenu 19 sièges au Parlement, tandis que le Hezbollah, avec 19,9 % des voix, en a obtenu 15. J’y reviendrai aussi plus tard.
Mais s’agissant de légitimité politique, on notera que le pourcentage combiné des voix du Hezbollah et d’Amal est égal à celui du Parti travailliste lors des dernières élections législatives au Royaume-Uni. On ne peut nier que le Hezbollah est une force politique démocratique légitime.
Le deuxième point est qu’il est profondément erroné de percevoir le Liban en termes purement communautaires. Le Hezbollah bénéficie du soutien et de l’allégeance de toutes les religions du pays et, dans un pays où la politique est officiellement et constitutionnellement organisée selon des critères religieux (une constitution “confessionnelle”), on peut trouver des partis minoritaires de toutes les religions alignés sur le Hezbollah, dont plusieurs comptaient des ministres jusqu’à la nomination du nouveau cabinet le mois dernier (nous y reviendrons plus tard).
Peut-être un quart des personnes présentes aux funérailles de Nasrallah n’étaient pas des musulmans chiites.
Troisièmement, le Hezbollah est bien plus qu’un parti politique doté d’une aile militaire. Dans un pays où le gouvernement central s’est pratiquement désintégré (le Liban est exempt d’impôt sur le revenu), le Hezbollah fournit hôpitaux, écoles, services bancaires, pensions et prestations sociales.
Lorsque Niels et moi avons assisté au retour des réfugiés dans les zones évacuées à la suite du “cessez-le-feu”, une très grande partie de la population brandissait des drapeaux du Hezbollah ou du Liban, certains les deux. Le Hezbollah fait partie intégrante de la société libanaise, il est né dans le pays de la Résistance à l’occupation d’Israël en 1982, et n’est en aucun cas extérieur ou anti-libanais.
Le problème, c’est qu’au Royaume-Uni et dans d’autres pays occidentaux, ce mouvement social et politique extrêmement complexe est désigné dans son intégralité comme une organisation terroriste. Assez ironiquement, la justification donnée à Westminster en 2019, était que le Hezbollah était en train de déstabiliser le Moyen-Orient et de prolonger le conflit en Syrie – où les mêmes puissances occidentales qui ont proscrit le Hezbollah viennent de porter au pouvoir un autre groupe terroriste proscrit.
En réalité, l’interdiction des organisations terroristes au Moyen-Orient par les puissances de l’OTAN n’est qu’un moyen de prendre les décisions qui servent les intérêts de l’apartheid israélien. Les “actes terroristes” du Hezbollah qui ont motivé l’interdiction de l’organisation en 2019 étaient en réalité des combats contre l’État islamique, Al-Qaïda et Al-Nosra en Syrie.
Nous sommes tous tentés de croire que d’autres partagent nos préjugés. Je suppose que, comme moi, beaucoup d’Occidentaux ont du mal à comprendre le Hezbollah en raison de sa philosophie islamique et de son apparence, même si je sais que c’est une considération mesquine.
Hassan Nasrallah a été le plus important et le plus inébranlable des chefs de la Résistance contre le projet sioniste meurtrier de ces quarante dernières années. Il était aussi, de l’avis général, une figure extrêmement charismatique pour les arabophones. Mais son apparence même a permis de le présenter facilement au public occidental comme un personnage aliénant, voire maléfique, en raison de l’islamophobie d’État promue dans le monde occidental et universellement relayée par les médias au cours du dernier quart de siècle.
Mais ici, l’honnêteté s’impose. Pour ma part, si je n’apprécie pas particulièrement de voir des dirigeants politiques remplir une fonction religieuse, je suis tout simplement contre le pouvoir théocratique. Je suis tout à fait favorable à la liberté de religion, mais totalement opposé à ce que la religion gouverne un État.
On peut ici parler de “jeu de dupes”. Dans la mosaïque splendide du Liban, le Hezbollah se mêle à d’autres confessions et religions, et dans la pratique, ils s’entendent très bien.
Nasrallah a exprimé, comme tous les islamistes convaincus, son désir de voir un gouvernement musulman unifié régner sur les terres musulmanes, l’État étant soumis à une direction religieuse forte et à la charia. Mais dans la pratique, le Hezbollah est très tolérant.
Dans les vastes régions du Liban où il exerce un contrôle militaire réel et domine l’autorité locale élue, le Hezbollah n’interdit pas la vente d’alcool par la minorité chrétienne et n’impose pas le port du voile, même aux musulmanes.
Voilà un domaine où mes préjugés ont été dissipés. Je ne m’attendais pas à découvrir cela.
Tout cela m’a créé quelques difficultés au Liban. On m’a souvent demandé si je soutiens le Hezbollah. Comme j’ai passé une grande partie de mon temps dans les zones attaquées par Israël, qui sont essentiellement les zones du Hezbollah, la question m’a généralement été posée par des partisans du Hezbollah.
J’ai toujours répondu soutenir sans réserve le droit des peuples occupés à mener une résistance armée et le devoir de faire tout son possible pour lutter contre le génocide. Ce sont là deux principes établis du droit international. Mais je ne soutiens pas le Hezbollah en tant que tel et je ne voterais pas pour lui si j’étais Libanais, car c’est une organisation ouvertement islamiste et je suis opposé à la théocratie et aux codes juridiques religieux.
Être au Liban m’a cependant permis de surmonter certaines lacunes de ma perception culturelle. La pratique consistant à appeler “martyrs” les personnes tuées par Israël et à les désigner fréquemment par ce terme dans les conversations nous est étrangère, car ce terme revêt des connotations religieuses largement obsolètes en Occident.
Lorsque l’on vit au sein d’une communauté où chacun compte des amis ou des proches tués au cours de l’agression menée depuis des décennies par Israël, le fait de rendre hommage aux morts en les considérant comme des martyrs, et leur omniprésence dans la pensée quotidienne, commence à prendre beaucoup plus de sens.
De même, aux yeux des Occidentaux, la large diffusion de grands portraits des “martyrs” est étrange. On en trouve au bord de toutes les routes et sur toutes les ruines. Des affiches sont toujours placardées sur le lieu où la personne a été tuée, et souvent des dizaines d’autres affiches de cette personne sont placardées sur des sites qui ont compté pour elle.
J’ai surmonté mon incompréhension de cette pratique en la comparant à ma propre culture, en me disant que ces affiches étaient placardées pour indiquer où ces personnes s’étaient battues et étaient mortes pour défendre leur petit bout de colline et de vallée. Dans ces conditions, tout cela prenait un sens.
Je suis tout à fait conscient que la foi religieuse a joué un rôle très positif en Palestine et au Sud-Liban en permettant aux gens d’endurer l’insupportable et de soutenir la Résistance en dépit de circonstances désespérées. Mais force est de constater qu’il existe des différences considérables entre ma vision du monde et celle des islamistes.
L’attitude de nombreux musulmans sunnites face au renversement d’Assad en Syrie a souligné cette réalité. Selon ma vision du monde, c’est une catastrophe pour les Palestiniens. Cela a gravement et peut-être définitivement entravé l’acheminement d’armes et d’autres ressources au Hezbollah, le principal allié des Palestiniens. Et cela a permis au projet du Grand Israël de s’étendre considérablement en Syrie.
Essayez maintenant d’imaginer que vous êtes un érudit musulman sunnite qui croit que ce n’est qu’en devenant musulman sunnite qu’on peut se mettre au service de Dieu. En effet, pour vous, faire régner la loi musulmane sunnite sur la majeure partie de la Syrie présente plus d’avantages pour l’humanité que de perdre une partie de la Syrie au profit d’Israël. Vous estimez que les martyrs palestiniens tués par Israël iront de toute façon directement au paradis, de sorte que, d’un point de vue spirituel, il n’y a pas de véritable échec pour les “martyrs”.
C’est vraiment la position de nombreux dirigeants de la communauté religieuse musulmane soutenue par l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Tout comme il existe de nombreuses nuances au sein du christianisme, de nombreuses nuances sont présentes au sein de l’islam, et de nombreux musulmans, y compris des musulmans sunnites, ne partagent pas ce point de vue. Mais pour un islamiste religieux, c’est parfaitement logique.
J’ai eu un échange très intéressant avec un intellectuel musulman sur Twitter à ce sujet, mais je ne le retrouve plus car il a été noyé dans les réponses d’un fil de discussion. Il m’a taxé d’“orientalisme” pour avoir dénigré un point de vue spirituel oriental au profit d’un récit laïc occidental, en considérant le déploiement de HTS comme un revers pour la Palestine. Il a souligné que le Hamas, un mouvement islamiste sunnite, a pourtant salué la victoire de HTS.
L’échange m’a plu pour son honnêteté et son acuité intellectuelle. J’ai répondu que je ne pensais pas qu’Edward Said aurait salué l’expansion d’Israël en Syrie ou l’interruption de l’approvisionnement du Hezbollah qui en a résulté. Il a fait appel à un neveu de Said pour étayer son point de vue selon lequel mon point de vue est orientaliste.
J’y ai réfléchi longuement. Je ne pense pas que mon approche puisse être décrite comme étant “orientaliste”. La vérité est que la pensée occidentale dominante aurait entièrement souscrit à l’idée que renforcer le pouvoir d’une communauté religieuse donnée est plus important que les revers matériels qui n’affectent pas la foi des gens. Mais il y a 500 ans, la pensée occidentale se résumait à cela.
Je ne considère pas mon point de vue comme “orientaliste”. Plutôt comme “anti-médiévaliste”.
La chute du régime d’Assad était ardemment souhaitée par les néolibéraux et les sionistes occidentaux afin de le remplacer par un régime démocratique occidental, et ils feignent désespérément avoir atteint cet objectif avec al-Jolani. Alors que les atrocités contre les chiites, les alaouites et les chrétiens se multiplient en Syrie, il est indéniable qu’al-Jolani est un sioniste convaincu, puisqu’il laisse Israël occuper chaque jour un peu plus de territoire syrien et détruire une partie de ses infrastructures, sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré en réponse.
Il ne fait aucun doute que la position de la Résistance face à un projet colonial israélien expansionniste et d’apartheid s’est considérablement détériorée depuis mon arrivée au Liban en octobre. Alors qu’Israël était dans l’incapacité de mener une offensive terrestre, l’absence quasi totale de défenses aériennes au Liban lui a permis de tuer et de détruire en toute impunité depuis les airs.
Israël s’est lancé dans une campagne de dévastation de régions exclusivement civiles en les bombardant. J’en suis un témoin oculaire. Je peux affirmer de ma propre expérience que les allégations selon lesquelles les dizaines de milliers de maisons détruites auraient eu une quelconque utilité militaire sont un énorme mensonge.
Sans défense face à une campagne de bombardements incessants et après l’élimination de la plupart de ses dirigeants, le Hezbollah a été contraint d’accepter un “accord de cessez-le-feu” au déséquilibre suicidaire. Il ressort clairement de l’accord que seul un camp respectera le cessez-le-feu.
Tous les Libanais doivent respecter le cessez-le-feu sans condition, tandis qu’Israël n’est tenu “que” de suspendre ses opérations “offensives”. Israël, bien sûr, prétend que toutes ses attaques sont défensives. C’est un non-sens absolu, mais malgré plus de 500 violations de l’accord de cessez-le-feu, qui ont fait des centaines de morts, Israël n’a pas été tenu pour responsable parce que le Hezbollah a accepté un cessez-le-feu garanti par un “dispositif” piloté par un général américain.
Je pense que ma discussion sur ce point avec le porte-parole de l’ONU au Liban a été extrêmement instructive, en particulier lorsqu’il a clairement indiqué que l’accord de cessez-le-feu a été rédigé par les États-Unis. Ce lien renvoie au passage clé de l’entretien.
Les membres du “dispositif” chargés de superviser le cessez-le-feu sont les États-Unis, la France, Israël (sic) et le gouvernement libanais du général Aoun, véritable marionnette des États-Unis.
En outre, si l’accord de cessez-le-feu prévoit qu’une zone au sud du fleuve Litani soit nettoyée des armes du Hezbollah, il appelle également à son désarmement dans tout le Liban, ce que les Israéliens et les Américains ont invoqué pour justifier les nombreuses frappes israéliennes dans la vallée de la Bekaa, à la frontière syrienne et même à Beyrouth.
Le Hezbollah n’est pas partie prenante à l’accord, mais il l’a approuvé avant sa signature. Mais j’ai du mal à imaginer Nasrallah accepter de telles conditions.
Parallèlement, la position politique intérieure du Hezbollah a également été considérablement affaiblie. Il a été contraint d’accepter le général Aoun comme président, imposé par les États-Unis, alors qu’il s’y opposait depuis plus de deux ans. Il a ensuite dû accepter que Nawaf Salam, ouvertement hostile au Hezbollah, soit nommé Premier ministre.
J’ai évoqué précédemment les dispositions constitutionnelles « confessionnelles » du Liban et j’ai promis de donner plus de détails. Le Président doit être chrétien, le Premier ministre sunnite et le Président du Parlement chiite.
Mais ce n’est pas tout. Le gouvernement d’union nationale a également défini la répartition des postes ministériels. Non seulement entre sunnites, chiites et chrétiens, mais aussi avec plusieurs autres groupes, dont les plus connus sont les druzes, et d’autres, en particulier différents groupes chrétiens.
Le Hezbollah a contribué à la nomination des ministres chiites par le biais du mouvement Amal, mais il faut savoir qu’il a toujours eu des alliés de poids parmi les factions chrétiennes opposées à l’occupation israélienne, qui ont accédé à des postes ministériels clés.
Tous ces ministères illustrent la perte d’influence du Hezbollah au Liban. En prétendant nommer une administration “technocratique” et apolitique, Aoun et Salam ont en réalité exclu la majeure partie du soutien du Hezbollah.
Il est pratiquement impossible de trouver un chiite au Liban qui ne soit pas pro-Hezbollah, mais Salam et Aoun se sont certainement donné beaucoup de mal. Plus concrètement, ils ont presque totalement exclu les sympathisants du Hezbollah et les anti-sionistes de la représentation ministérielle des sunnites et des minorités diverses et des petits groupes chrétiens, tout en renforçant l’influence de facto des sympathisants fascistes des Forces libanaises.
Le Hezbollah n’a jamais été aussi faible politiquement au sein des institutions libanaises en 20 ans, voilà pourquoi la manifestation de soutien populaire de masse lors des funérailles de Nasrallah a été si importante pour eux. Cependant, le système électoral libanais étant délibérément biaisé en faveur des chrétiens, l’accumulation de soutien populaire s’avère peu utile au Hezbollah sur le plan électoral. On peut citer l’exemple de députés chrétiens élus au Parlement avec moins de 500 voix, alors que le Hezbollah pourrait obtenir 100 000 voix supplémentaires sans augmenter significativement sa représentation.
Fait crucial, la “déclaration ministérielle” des objectifs du nouveau gouvernement exclut la Résistance à Israël en tant qu’objectif – évolution majeure – et stipule le monopole de l’État sur le port d’armes, une référence au désarmement total du Hezbollah.
Enfin, bien sûr, les ennemis jurés du Hezbollah, HTS, sont désormais au pouvoir à Damas. Le Hezbollah a repoussé les attaques répétées d’Al-Qaïda/Al-Nosra/État islamique contre le Liban et est également intervenu contre leurs combattants en Syrie. L’arrivée au pouvoir d’Al-Jolani perturbe considérablement les voies d’approvisionnement du Hezbollah depuis l’Iran.
Les États-Unis et Israël tentent d’accroître cette pression en menant de fréquentes attaques aériennes sur les postes-frontières avec la Syrie et sur des membres du Hezbollah au Liban. Ils ont récemment décidé d’interdire les vols de pèlerinage à destination et en provenance d’Iran, suscitant la colère de la communauté chiite et dans le but de bloquer les approvisionnements en espèces.
Reste à savoir si le général Aoun a conclu des arrangements secrets avec le Hezbollah, et si le désarmement effectif de ce dernier dans tout le Liban, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies et à l’accord de cessez-le-feu, constitue un processus réel ou une simple façade. Sur le plan politique, Aoun et Salam ont clairement affiché leur volonté de désarmer réellement le Hezbollah.
En tout état de cause, il est indéniable que les Israéliens reçoivent en permanence des renseignements de sources libanaises sur les mouvements et positions militaires du Hezbollah, et que la campagne de bombardements intensifs menée par Israël avec l’aval des États-Unis ne montre aucun signe d’essoufflement.
On peut compléter ce triste constat d’une autre réalité : Israël a pu profiter de l’accord de cessez-le-feu pour occuper des parties du Sud-Liban que le Hezbollah avait défendues avec succès pendant la guerre, et Israël a rasé des milliers de maisons et autres bâtiments civils sous couvert du cessez-le-feu, qui viennent s’ajouter à ceux détruits pendant la guerre.
En effet, Israël continue de démolir chaque jour davantage de structures dans le Sud-Liban, et a maintenant anéanti plus de 90 000 bâtiments au Liban au total. Comme je l’avais prédit, Israël installe cinq avant-postes militaires permanents au Sud-Liban et a clairement fait savoir qu’il n’avait pas l’intention de partir.
Le gouvernement fantoche des États-Unis à Beyrouth, tout comme celui de Damas, n’a manifestement pas l’intention de prendre la moindre mesure concrète contre l’annexion de facto de son territoire par Israël. Si le Hezbollah a annoncé un retour à ses anciennes tactiques de guérilla, j’ai de sérieux doutes quant à ses capacités actuelles, tant politiques que militaires.
Je ne remets pas en cause l’héroïsme inébranlable du peuple du Sud-Liban, ni le fait qu’Israël maintienne une occupation illégale, et que le droit de ce peuple à la résistance armée soit inattaquable.
Cependant, il serait insensé de ne pas admettre qu’avec l’expansion d’Israël au Liban et en Syrie, avec les régimes fantoches soutenus par les États-Unis en Syrie et à Damas, avec le génocide sur le point de recommencer à Gaza et de s’étendre en Cisjordanie, et avec le soutien déclaré et délirant de Trump au sionisme, en réalité plus honnête que les positions pro-génocide de la grande majorité des gouvernements occidentaux, la situation actuelle s’annonce bien sombre.
L’unique raison d’espérer tient aux habitants de la région qui, à mon avis, ne vont pas tolérer bien longtemps les régimes collaborationnistes israéliens à Damas, Beyrouth et Ramallah. On pourrait en dire autant, à quelques variantes près, de l’ensemble du monde arabe.
J’espère que vous me pardonnerez ce post très personnel, qui tente de donner un sens à mes expériences et d’intégrer de nouvelles connaissances à ma vision du monde.
Je suis allé au Liban alors que je ne connaissais littéralement personne dans le pays, et avec pour seule introduction quelqu’un qui nous a aidés à immigrer, mais dont le soutien n’a pas fonctionné par la suite. C’est accompagné de Niels, en tant que cinéaste, que je me suis rendu au Liban, bien que je n’aie jamais vraiment travaillé en vidéo auparavant et que je ne sois pas très doué pour cela. De plus, nous n’avions guère de moyens financiers, à l’exception du financement participatif, qui avançait mal.
Je me rends compte aujourd’hui à quel point j’étais ignorant du Liban avant mon arrivée.
Pour tout dire, je voulais me rendre à Gaza, mais je n’ai pas trouvée le moyen d’y entrer. Je me suis alors adressé à Israël pour obtenir l’autorisation requise du COGAT pour entrer en Cisjordanie, mais ma demande a été refusée. Le Liban a donc été le seul endroit soumis à l’agression israélienne où je pouvais espérer aller pour documenter et rendre compte des atrocités commises par Israël.
Cette aventure est également née de l’impression désespérée de devoir tout de même essayer de m’impliquer. Bien que j’aie participé à la genèse de l’affaire devant la CIJ et à la campagne internationale pour la Palestine, je me sentais tellement impuissant à la vue des enfants massacrés chaque jour à Gaza sur les réseaux sociaux que j’ai ressenti le besoin de faire plus.
Avec la guerre contre les envahisseurs israéliens qui fait rage au Liban, je dois admettre que j’avais aussi besoin de partager au moins une partie des dangers que courent tous ceux qui mettent leur vie en jeu. J’avais l’impression d’être un imposteur en écrivant sur ce sujet depuis chez moi sans être prêt à en faire l’expérience.
Bon, il est vrai que nous avons parfois couru des risques au Liban, mais je suis extrêmement fier de ce que Niels et moi avons accompli. Les six mini-documentaires ont touché des millions de personnes et je pense qu’ils ont véritablement aidé à informer le public occidental. L’interview avec l’ONU a été extrêmement révélatrice et capitale et j’aurais aimé pouvoir toucher un public plus large. Nous avons aussi produit de nombreuses vidéos plus courtes, des articles et des interviews avec des médias alternatifs du monde entier, ainsi que de nombreux médias arabes grand public.
Finalement, nous avons dû partir car il s’est avéré impossible de couvrir les coûts substantiels du projet par les abonnements individuels et les dons, et j’étais à sec. Pouvoir pratiquer le journalisme de terrain que les médias traditionnels ont délaissé a été une expérience osée, mais pour continuer, il aurait fallu que je sois plus doué pour collecter des fonds ou organiser des événements.
Il ne fait aucun doute que nous avons souffert – et souffrons toujours – d’une forte restriction sur les réseaux sociaux, et ce manque de portée a paralysé nos efforts de collecte de fonds. En gros, nous demandions sans cesse aux mêmes personnes de bien vouloir faire des dons, un procédé à la fois inefficace et, je l’admets, pénible et indigne.
Je vais donc continuer mes reportages depuis mon port d’attache en Écosse, en parcourant le monde selon les besoins. Mon séjour à Beyrouth a considérablement enrichi mes connaissances. Je vais désormais revenir principalement à l’écrit plutôt qu’à la vidéo. La lutte pour la justice continue, et mon engagement tient toujours.
Craig Murray– Ancien ambassadeur britannique
Source:https://www.craigmurray.org.uk/archives/2025/02/islamic-resistance-movements-and-israel/
Traduction Spirit’s FreeSpeech