Le 24 novembre, Hollande en conférence de presse avec Obama a affirmé qu’Assad est responsable de la mort de plus de 300 000 Syriens. Aucune mention des Syriens tués par des groupes terroristes. Cela a été rappelé également par un des porte parole du parti socialiste sur France 24. [SC]

« Mobilisé dans l’écriture d’une analyse approfondie sur la Syrie, je n’ai guère eu le temps de publier de nouveaux articles sur mon site depuis août dernier. Néanmoins, au vu des déclarations scandaleuses de Bernard Kouchner dans le Soir 3 du 9 octobre 2015, et sachant que le présentateur n’a pas remis en cause ses propos, je me sens dans l’obligation de publier ce bref papier afin de rétablir quelques vérités utiles. Soit écrit en passant, je dédie cet article à mes amis syriens exilés en France, qui m’ont indiqué être révoltés par de telles déclarations, sachant qu’ils ont été contraints de fuir des rebelles pas aussi “modérés” qu’ils nous ont été présentés dans les médias français. N’étant pas favorables à Bachar el-Assad pour autant, ils le considèrent comme un moindre mal face aux jihadistes – à l’instar de millions de leurs concitoyens qui ont fui l’avancée des rebelles en se réfugiant dans des zones contrôlées par le régime. Cette réalité-là, Bernard Kouchner et ses camarades ne semblent pas vouloir la prendre en compte. Par conséquent, certains d’entre continuent d’exiger le départ d’el-Assad, une stratégie qui risquerait de porter les fanatiques d’al-Qaïda ou de Daech au pouvoir. »


Le 9 octobre dernier, Bernard Kouchner a été invité au Soir 3. À cette occasion, et sans que le journaliste qui l’interrogeait ne le reprenne, Monsieur Kouchner a déclaré que Bachar el-Assad « est responsable de 230 000 à 250 000 morts, à 20 000 morts près (…) Il mène la guerre contre contre son propre peuple, il a assassiné 230 000, 250 000 Syriens. Que fuient les Syriens ? Ils fuient Bachar el-Assad, ils fuient ses bombardements (…) Le plus grand bourreau de son peuple c’est Bachar el-Assad… ». Comme je vais le démontrer, ces arguments sont des contre-vérités pour le moins scandaleuses, sachant qu’elles ont été prononcées par un ancien ministre des Affaires étrangères français.

Tout d’abord, Bernard Kouchner – qui avait notamment défendu la désastreuse guerre d’Irak –, a outrancièrement simplifié et déformé le bilan humain de ce conflit. En effet, en août dernier,Challenges​ rapportait les chiffres de l’OSDH. Cette officine est réputée proche des Frères musulmans, mais elle est fréquemment citée par les médias occidentaux car elle est hostile au gouvernement syrien : « “Nous avons comptabilisé 240 381 morts depuis le début de la révolte contre le régime de Bachar al-Assad en mars 2011”, a affirmé jeudi à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH. Selon le décompte, le nombre de morts dans les rangs des civils se montent à “71 781, dont 11 964 enfants”. Ce bilan dénombre aussi 42 384 morts parmi les combattants de nationalité syrienne – rebelles, déserteurs, jihadistes et Kurdes –. Chez les jihadistes étrangers venus combattre en Syrie, il y a 34 375 morts. Mais le bilan le plus lourd se trouve du côté des forces du régime avec 88 616 morts, soit un tiers des personnes décédées durant cette guerre. Parmi eux, l’ONG dénombre 50 570 soldats morts, 33 839 miliciens des Forces de défense nationale, 903 membres du Hezbollah chiite libanais et 3 304 miliciens chiites venus d’autres pays. »

Par ailleurs, en attribuant la responsabilité unique des exodes massifs à Bachar el-Assad, Bernard Kouchner s’éloigne à nouveau de la réalité du terrain. D’après l’ancien ambassadeur belge en Syrie Philippe Jottard, « [o]n compte quatre à cinq millions de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie. Ceux d’entre eux qui prennent la route de l’Europe proviennent pour une part, mais pas seulement, de Turquie après qu’ils aient été chassés de chez eux par les combats. L’opposition en rend responsable les bombardements aériens menés par l’armée sur les zones rebelles alors que, selon Bachar el-Assad, les Occidentaux sont seuls responsables de la crise des migrants en raison de leur soutien au “terrorisme”. Quant aux déplacés internes qui constituent la moitié de la population restée au pays (soit huit millions et demi de déplacés), ils se sont réfugiés dans les zones gouvernementales devant l’avance des groupes rebelles. Ceci n’en fait pas nécessairement des partisans de Bachar-El-Assad, mais à choisir ils préfèrent la sécurité fournie par l’armée régulière. Environ 60% de la population totale se trouvent encore dans les territoires sous contrôle du régime. Les revers récents subis par les forces loyalistes affaiblies par plus de quatre ans de guerre en dépit de l’aide fournie par leurs alliés russe, iranien, chiites irakiens et libanais font craindre non pas leur effondrement, mais que des avancées majeures des rebelles terrifient la population et lancent une partie de celle-ci sur les routes de l’exil. » La réalité est donc bien plus complexe que ne le prétend Monsieur Kouchner.

Or, ce dernier s’abstiendra probablement de souligner le rôle douteux des services spéciaux occidentaux, dont ceux de la France et des États-Unis, dans le soutien de rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés dans la plupart des médias grand public. Sans surprise, il ne s’est pas indigné de la récente déclaration commune que les gouvernements des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne ont publié avec les trois États connus pour soutenir al-Qaïda en Syrie. Je fais ici référence à l’Arabie saoudite, au Qatar et à la Turquie, ce dernier pays étant même accusé d’être responsable de la montée en puissance de Daech. Pourtant, dans cette déclaration commune, ces sept États ont eu le cynisme d’affirmer que « [l]es opérations militaires [russes] constituent une nouvelle escalade et ne feront qu’attiser l’extrémisme et la radicalisation ». Ils ont donc appelé la Russie à « mettre fin à ses attaques contre l’opposition », dont les principaux éléments aujourd’hui ne sont pas des rebelles modérés et démocrates, mais les factions jihadistes de l’Armée de la Conquête. Bernard Kouchner n’a pas daigné évoquer le rôle de l’« opposition » dans le drame syrien, bien qu’elle soit à l’origine de près de 90 000 décès chez les combattants, et d’un nombre indéterminé de victimes civiles.

Enfin, il est indéniable que les troupes de Bachar el-Assad ont commis des exactions. Cette politique est certes inhumaine, mais elle l’est tout autant que les millions de morts et de blessés engendrés par les ingérences et les guerres occidentales rien qu’en Irak et en Afghanistan depuis un quart de siècle. Du fait de son activisme médiatique en faveur d’un « devoir d’ingérence » à géométrie variable (« R2P » en Libye puis en Syrie), Monsieur Kouchner – à l’image d’Alain Juppé puis de Laurent Fabius – partage une lourde responsabilité dans la situation tragique que subit la Syrie, et plus largement le Moyen-Orient. Peut-être serait-il bien inspiré de le reconnaître, comme l’avait suggéré avec humour le Gorafi, un célèbre site satirique. Mais au vu de la diabolisation persistante de Bachar el-Assad, il est politiquement moins risqué de le désigner comme unique responsable de l’ensemble des malheurs du peuple syrien.

Source: http://maximechaix.info/?p=817#more-817