Pavel Durov, arrêté à Paris, est un Français naturalisé. Depuis Dubaï, son Telegram est devenu un élément dérangeant pour Emmanuel Macron.
Durov, qui a obtenu la nationalité française en août 2021 au terme d’une procédure accélérée exceptionnelle, sans jamais avoir résidé en France (et en francisant son nom en Paul du Rove, une blague d’avril prise au sérieux par les autorités), a d’abord été courtisé par l’Occident.
Après tout, il n’avait pas seulement quitté la Russie, il avait aussi fait un doigt d’honneur au régime du président Poutine. En tant que fondateur de la plateforme de messagerie russe VKontakte (VK), il avait refusé de divulguer aux autorités russes les données des groupes d’utilisateurs des activistes ukrainiens de l’Euro-Maidan.
Un autre héros russe de la liberté en exil ?
Durov a vendu sa part de VK en 2013 à un oligarque proche du Kremlin pour 300 millions de dollars américains.
Poutine a ainsi obtenu le contrôle de la principale plateforme de messagerie en Russie.
Avec cet argent, Pavel Durov a créé avec son frère la plateforme de messagerie Telegram, connue dans le monde entier, qui a été lancée la même année.
Telegram s’est développé durant les années Covid-19, marquées par la censure et la manipulation, pour atteindre un nombre impressionnant de 900 millions d’utilisateurs dans le monde, comme alternative libre aux grandes plates-formes américaines. (Durant cette période, mon profil personnel a été entièrement et irrévocablement supprimé à deux reprises par les opérateurs de Twitter).
Monsieur du Rove, récemment rebaptisé, a été convié à plusieurs entretiens par les différents services secrets français afin de pouvoir mettre en place la fameuse « porte dérobée » pour leurs activités d’espionnage et de surveillance sur la plate-forme.
En d’autres termes, dévoiler secrètement l’identité, la localisation géographique et les données des utilisateurs.
Mais Paul du Rove a refusé et s’est conduit comme son alter ego russe Pavel Durov à l’époque.
La Liberté avant tout.
Le choix du siège de Telegram s’est porté sur Dubaï, loin des aspirations européennes et des nouvelles lois qui obligent les exploitants de plateformes de messagerie à modérer, c’est-à-dire à censurer, le contenu des messages publiés par les utilisateurs conformément à la loi.
Par la suite, Telegram est devenu de plus en plus un facteur immensément dérangeant pour le gouvernement Macron, sur le plan de la politique intérieure et également pour l’alliance atlantique dans un cadre géostratégique plus large.
Les personnes participant aux grandes manifestations en France ont utilisé Telegram pour se coordonner et mettre en place les barrages routiers qui ont paralysé le pays.
Le président Macron a appelé à plusieurs reprises l’Assemblée nationale à couper les réseaux sociaux et les plateformes sur Internet afin de mettre un terme aux protestations.
Mais la politique étrangère de la France a également été fragilisée par Telegram. La position de force dans la région du Sahel africain (Mali, Niger, Tchad), la plus grande zone d’extraction d’uranium de la France, a été fortement ébranlée par des généraux locaux insurgés ainsi que par des mercenaires russes des troupes Wagner.
De facto, la région du Sahel est actuellement perdue pour la France sur le plan militaire et économique. Aussi bien les seigneurs de guerre insurgés que le corps africain des mercenaires russes de Wagner utilisent Telegram comme moyen de communication.
Dans le conflit ukrainien, les choses semblent un peu différentes, les militaires russes ainsi que leurs adversaires ukrainiens utilisent le même service, même si les Ukrainiens doivent désormais utiliser la plateforme Signal sur ordre d’en haut.
Le summum des libertés de Telegram a ensuite été atteint avec le cyberconflit israélo-iranien.
Les Iraniens ont récemment réussi une opération de piratage de grande envergure. Des milliers de documents du ministère israélien de l’Intérieur, de l’administration militaire et du ministère de la Santé contenant des données hautement sensibles ont été récupérés par les Iraniens et rendus publics sur Telegram, tranche par tranche.
Le gouvernement israélien est intervenu sans succès auprès de l’opérateur de Telegram.
Aujourd’hui, le piège s’est refermé. Le parquet français accuse Durov de complicité en matière de terrorisme, de pédophilie, de blanchiment d’argent, de trafic de drogue ainsi que d’utilisation interdite de technologies non visibles par l’Etat.
Il risque une peine maximale de vingt ans.
Tant le nouveau propriétaire de Twitter, le magnat de la technologie américano-sud-africain Elon Musk, que le fondateur et exploitant de la plateforme Rumble, Chris Pavlovski, se sont engagés de manière véhémente et verbale en faveur de Pavel Durov.
Les juges français ont toutefois répondu favorablement à une demande d’extension de la détention à 96 heures, ce qui laisse présager une longue procédure.
Dans un acte d’altruisme apparent, le propriétaire du groupe Meta (Facebook, WhatsApp, etc.), Mark Zuckerberg, publie entre-temps une lettre adressée au Parlement américain.
Zuckerberg regrette que le gouvernement Biden-Harris se soit laissé mettre sous pression à l’époque de la pandémie de Covid et qu’il ait empêché l’apparition de thèmes spécifiques au Covid sur les plates-formes.
Il en va de même pour les messages concernant la découverte d’un ordinateur portable du fils du président américain Biden, truffé de contenus compromettants. Cela représente un coup de poignard sans précédent contre le gouvernement américain actuel et ouvre la voie à une présidence Trump pendant la campagne électorale. Mais cela montre également à quel point les plateformes et les réseaux sociaux sont désormais infiltrés et soumis à des contraintes par le pouvoir politique.
Twitter, Telegram, Rumble, Signal, Facebook, Whatsapp et tous les autres se sont substitués à un quatrième pouvoir indépendant qui n’existe plus. Un quatrième pouvoir qui, traditionnellement, dans le cadre d’Etats démocratiques, devait normalement contrôler et tenir en respect les élites politiques et économiques au service des citoyens. Mais la numérisation de la presse commerciale a finalement causé leur perte.
De moins en moins de lecteurs souhaitent payer pour des informations qui, au départ, étaient mises en ligne gratuitement dans l’espoir de générer des recettes publicitaires. Le modèle n’a pas fonctionné, car les groupes de moteurs de recherche empochent désormais la plus grande partie des recettes publicitaires.
Cela contraint finalement les maisons d’édition traditionnelles à tomber soit dans les mains d’oligarques, soit dans celles de gouvernements avides de subventions, qui contrôlent alors le flux d’informations à leur profit, le manipulent ou l’empêchent complètement.
Les petits médias indépendants comme celui-ci mènent souvent un combat inégal de David contre Goliath.
Une pléthore d’avocats des médias prêts à se battre pour le premier Goliath venu et à réclamer des dommages et intérêts faramineux. Des demandes de dommages et intérêts pour la plus petite boulette publiée, qui mettrait un tel média en faillite en très peu de temps.
C’est pourquoi nous, lecteurs et auteurs, devons apprendre (moi le premier) à lire entre les lignes et à écrire entre les lignes, à l’encre mentale invisible. Bienvenue dans la nouvelle ère.
Isabel Villalon
Isabel Villalon est une ingénieure spécialisée dans l’énergie qui observe l’actualité.
Source:https://insideparadeplatz.ch/2024/08/28/der-fall-paul-du-rove-fight-um-meinungs-hoheit/