Le président américain Joe Biden et Antony Blinken en visite en Israël en 2022 (David Azagury, Ambassade des États-Unis à Jérusalem, CC BY 2.0)

Philip Giraldi, ancien responsable des opérations de la CIA, a passé plus de vingt ans au sein de l’agence, ce qui l’a amené à voyager dans le monde entier et à bien connaitre Israël. 

Qui commande vraiment?

Est-ce Israël et son puissant lobby, la Maison Blanche ou personne ?


Personne ne sera probablement surpris d’apprendre qu’il existe plusieurs points de vue parmi les critiques des guerres qui dévastent actuellement le Moyen-Orient, plusieurs courants s’affrontent pour déterminer qui encourage réellement un conflit sanglant croissant qui pourrait bientôt impliquer au moins six pays de la région. En termes simples, une école de pensée estime qu’Israël, soutenu par ses divers et puissants lobbies de la diaspora, défie l’opinion mondiale en continuant à massacrer les Palestiniens et les Libanais voisins. En d’autres termes, il s’agit pour Israël d’agir de manière malveillante et méchante. Toutefois, un autre point de vue considère que la politique étrangère des États-Unis, dominée par les néoconservateurs, exploite la brutalité d’Israël et son leadership de droite dure pour réaliser les objectifs nationaux américains dans la région, utilisant en quelque sorte Israël comme son mandataire et encourageant en fait son mauvais comportement. Parallèlement, un troisième examen plausible de l’évolution de la situation tend à fusionner les deux approches, suggérant que les États-Unis et Israël entretiennent une relation de coopération conspiratoire et sont parfaitement d’accord pour réduire le pouvoir des voisins de l’État juif. Cela ferait d’Israël la puissance militaire prééminente dominant le golfe Persique et au-delà pour contrôler une grande partie des ressources énergétiques mondiales, tout en profitant aux fabricants d’armes américains et à d’autres groupes politiques et de Wall Street.

Problème : il y a suffisamment de preuves triées sur le volet pour étayer tous les points de vue, y compris celui selon lequel la politique étrangère américaine se délite, part à la dérive et ne reflète en rien l’intérêt national des États-Unis. Pour preuve, le récent programme d’aide de 8,7 milliards de dollars accordé à un Israël belliqueux, alors que des Américains sont morts en Caroline du Nord des suites d’un ouragan dévastateur pour lequel la FEMA (Federal Emergency Management Agency, organisme gouvernemental américain voué à assurer l’arrivée des secours en situation d’urgence) n’a accordé qu’une maigre assistance, sous prétexte de manque de moyens. Le flux constant de fonds et d’armes des États-Unis vers Israël suggère que les États-Unis soutiennent, pour diverses raisons, l’expansion de la guerre contre le Hamas par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, alors que la Maison Blanche aurait pu mettre fin à la guerre du jour au lendemain en coupant le robinet. Ou bien Israël pourrait être perçu comme poursuivant son massacre en dépit d’objections américaines – vraiment peu crédibles – parce qu’il estime que son puissant lobby outre-Atlantique maintiendra Joe Biden dans le droit chemin à l’approche des élections, de peur qu’il ne prenne l’envie au dit lobby de soutenir massivement Donald Trump. Et, bien sûr, si les deux nations agissent de concert, tout cela pourrait n’être que de la poudre aux yeux, Washington et Tel-Aviv projetant cyniquement de faire le nécessaire pour remodeler le Moyen-Orient à l’avantage d’Israël. À vous de choisir le scénario qui vous convient le mieux.

Il faut déterminer ce qui justifie réellement la multiplicité des fronts, y compris la fourniture d’une couverture politique aux Nations unies, où les États-Unis interagissent pour soutenir “leur plus grand allié et meilleur ami” Israël tout en affirmant constamment et abusivement qu’ils essaient d’éviter que le conflit ne dérape en une conflagration majeure qui pourrait embraser toute la région et bien au-delà, entraînant une hausse vertigineuse des coûts de l’énergie, pour ne citer que cet aspect. Une telle co-escalade orchestrée pourrait également augmenter les risques et coûts de manière exponentielle à mesure que de nouveaux acteurs s’impliquent, si Israël choisisse éventuellement de recourir à l’arme nucléaire pour se “défendre” ou attaquer l’Iran, impliquant l’engagement de la Russie et des États-Unis un conflit nucléaire pour défendre leurs “amis” respectifs.

Alors, où est la vérité, où sont les mensonges et qui, à Washington et/ou à Tel-Aviv, mène la barque au Moyen-Orient ? Quelles sont leurs véritables intentions et comment voient-ils la fin de l’histoire ? Quatre protagonistes du gouvernement américain agissent de toute évidence sur le terrain et rencontrent les personnalités clés des pays impliqués dans les combats, ainsi que celles prétendument engagées dans ce que l’on qualifie de négociations pour mettre fin à la tuerie par un cessez-le-feu acceptable par toutes les parties. Il faut admettre que leur tâche est pour le moins ardue, car toutes les parties prenantes aux pourparlers de paix reconnaissent que les États-Unis sont loin d’être un médiateur impartial, vu leur engagement total à soutenir Israël sur le plan politique, militairement et financièrement, tout en qualifiant sans retenue les voisins et les adversaires de l’État juif de “terroristes” et d’“autocrates”. Le groupe des quatre serait composé de deux responsables incontournables, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) William Burns et le secrétaire d’État Antony Blinken, tandis qu’un troisième et un quatrième, moins connus, seraient le négociateur spécial du président Amos Hochstein et le coordinateur de la Maison Blanche pour le Proche-Orient, Brett McGurk. Burns et Blinken se sont rendus à de nombreuses reprises au Moyen-Orient et en Ukraine pour transmettre le point de vue du président et faire leur propre évaluation de la situation sur le terrain après avoir rencontré les responsables locaux. Ce rôle est plutôt inhabituel pour Burns, car un directeur de la CIA travaille normalement dans l’ombre et ne participe pas à l’élaboration des politiques, mais Burns n’est pas un directeur ordinaire en ce sens qu’il n’a aucune expérience dans le renseignement. Il était un fonctionnaire très apprécié du département d’État qui a fini par devenir ambassadeur des États-Unis en Russie. Il a travaillé avec beaucoup de rigueur sur les subtilités des relations entre les États-Unis et la Russie, et a été particulièrement apprécié pour sa capacité à restituer le point de vue du Kremlin afin que les planificateurs américains soient en mesure de bien saisir les points de vue divergents entre les deux pays. Il a décrit, par exemple, à quel point la Russie est très sensible à la question de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, mise en garde ultérieurement ignorée par le président Biden.

Blinken est bien sûr plus connu pour avoir été secrétaire d’État adjoint dans l’administration Obama, et est considéré comme un proche collaborateur de Joe Biden. En tant que secrétaire d’État, il a beaucoup voyagé au Moyen-Orient et en Ukraine. M. Blinken est juif et considéré comme un grand protecteur d’Israël, ce qui est, bien entendu, également le point de vue régulièrement exprimé par le président. Après l’assassinat par Israël de Nasrallah, chef du Hezbollah, il a déclaré que “le monde sera plus sûr sans Nasrallah…”, alors que la plupart des citoyens de cette planète préféreraient, à juste titre, que Benjamin Netanyahu soit destitué. M. Blinken semble également favorable à une attaque préventive contre l’Iran afin de détruire son programme d’énergie nucléaire, même si rien ne prouve que celui-ci soit lié à des activités de production d’armes. Il a récemment fait l’objet de critiques pour avoir menti au sujet de deux rapports du département d’État indiquant très clairement qu’Israël affame et tue délibérément les habitants de Gaza en bloquant à la frontière les produits alimentaires et les médicaments fournis par les États-Unis. Un imposant convoi de camions contenant suffisamment de vivres pour nourrir la plupart des habitants au bord de la famine a délibérément été retenu à la frontière jusqu’à ce que les produits pourrissent et doivent être détruits. M. Blinken a menti au Congrès et au peuple américain sur la politique israélienne, affirmant qu’Israël ne bloque pas les approvisionnements en nourriture. Ce mensonge a été lourd de conséquences, car des gens sont morts et continuent à mourir par sa faute, et M. Blinken s’en tire à bon compte pour ce qu’il faut bien considérer comme un crime de guerre majeur.

Le troisième stratège politique est un individu plutôt inhabituel, Amos Hochstein, né en Israël et ayant servi dans l’armée israélienne. Il a été affecté au poste d’ambassadeur itinérant personnel de M. Biden au Moyen-Orient, avec pour mission spécifique d’éviter que l’agression de Gaza ne se propage au Liban contre le Hezbollah. Il a manifestement échoué dans sa mission puisqu’Israël et le Liban se considèrent désormais en guerre. On présume que Hochstein est devenu le “pilier” de la stratégie de la Maison Blanche tendant à protéger Israël de toute menace émanant de ses voisins si abusivement malmenés. Pourquoi choisir un Israélien formé dans l’armée israélienne comme négociateur auprès des nations victimes des Israéliens depuis soixante-quinze ans, voilà qui reste un grand mystère. C’est peut-être là une nouvelle tactique de Biden pour feindre la neutralité dans le conflit tout en faisant tout son possible pour pousser Netanyahu à détruire ou à soumettre tous ses voisins.

Ce qui nous amène au quatrième planificateur probable, le coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Brett McGurk. McGurk est un personnage incontournable de la sécurité nationale et de la communauté diplomatique depuis plusieurs années. Il a la réputation d’être un “dur”, en particulier lorsqu’il traite avec les Arabes, mais n’en déduisons pas qu’il ait appris grand chose à part que, si l’on veut survivre à Washington, on gagne à aimer Israël. On notera en particulier que l’administration Biden prétend travailler dur pour obtenir un cessez-le-feu au Liban et à Gaza, mais persiste à couvrir Israël sur le plan politique et à lui fournir armes et fonds nécessaires à la poursuite de ses activités génocidaires, ainsi qu’à soutenir son plan d’occupation du Sud-Liban en vue de créer une “zone tampon”. Les médias israéliens rapportent déjà que des agences immobilières proposent des biens attractifs aux acheteurs juifs sur le territoire de ce qui est encore le Liban, tout comme le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, vante les atouts de lotissements exclusifs en front de mer à Gaza. En d’autres termes, ne vous fiez pas aux informations émanant de l’administration Biden comme s’il s’agissait de preuves tangibles, car il semble que ses “décideurs” et porte-parole soient acquis à la propension israélienne au mensonge en toute circonstance.

Politico a publié récemment un article sur Hochstein et McGurk, qui n’est pas de nature à nous rassurer sur les intentions de l’administration Biden. L’article est intitulé : “Des responsables américains ont discrètement encouragé le déploiement militaire d’Israël contre le Hezbollah, même s’ils appellent à la prudence et soulignent la nécessité de la diplomatie. Mais ils ont conclu que le moment était propice à un tel revirement militaire”. Il semble que ceux que l’administration Biden présente comme les artisans de la paix sont tout sauf cela. Politico a obtenu des informations de sources anonymes tant à Washington qu’en Israël, et appris que les collaborateurs de Joe Biden ont en fait approuvé la stratégie globale du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui consiste à recentrer l’action militaire d’Israël sur le nord du pays contre le Hezbollah. Ce changement de cap, contraire à ce que prône la Maison Blanche, a fait réagir un certain nombre de responsables du Pentagone, des services de renseignement et du département d’État, qui ont estimé qu’une telle décision entraînerait les États-Unis en guerre – la réelle intention de Netanyahu – mais le changement de cap a tout de même été approuvé. Un haut fonctionnaire américain a noté, tout en le minimisant, le vice d’une politique appelant à la paix tout en stimulant la guerre :

“Les deux sont possibles – les États-Unis peuvent être favorables à la diplomatie et soutenir les objectifs plus généraux d’Israël contre le Hezbollah. L’administration suit manifestement un cap, mais lequel…”

Malgré les inquiétudes de certains membres du gouvernement qui craignent qu’un Israël sans scrupules n’aille trop loin et déclenche une guerre régionale majeure susceptible de s’étendre au-delà du Moyen-Orient, Politico rapporte comment Hochstein et McGurk ont œuvré “en coulisses” pour encourager Israël et décrivent maintenant les opérations d’Israël au Liban, qui incluent probablement une invasion terrestre majeure, comme un “moment historique” – qui “réorganisera le Moyen-Orient pour de meilleures perspectives à long terme”. Cela semble confirmer que les États-Unis et Israël collaborent bel et bien et sont pleinement complices, Washington soutenant de facto l’intention génocidaire de Netanyahu de réaliser un nouveau Grand Israël largement épuré des Arabes. Pour les États-Unis, la défaite du Hezbollah présenterait le grand avantage d’affaiblir l’Iran, l’ennemi juré éternel des néoconservateurs de Washington, qui compte sur le Hezbollah en tant que mandataire et ressource pour asseoir sa puissance. Bien sûr, tout peut déraper et le plan combiné américano-israélien peut être anéanti. Le Hezbollah a notamment mis une raclée aux forces d’invasion israéliennes dans le sud du Liban en 2006, et il est mieux entraîné et équipé aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque. Et que se passera-t-il si l’armée israélienne est en difficulté et que les États-Unis sont contraints d’honorer leur promesse de “défendre” l’État juif, provoquant dès lors une mini guerre appelée à s’étendre et englober l’Iran et la Russie ? La balle est dans votre camp, M. Biden, ou peut-être M. Trump, ou Mme Harris. Réfléchissez bien à la manière dont vous allez la jouer, mais si le cessez-le-feu vous importe vraiment, je vous déconseille d’envoyer des Blinken, Hochstein et McGurk mener les négociations.

Philip Geraldi

Philip Giraldi est directeur exécutif du Conseil pour l’Intérêt national, une fondation éducative veille à ce que la politique étrangère des États-Unis au Moyen-Orient soit davantage axée sur les intérêts. Site web : councilforthenationalinterest.org / inform@cnionline.org.

Source: Unz.com, 10 octobre 2024