Quand l’équipe de Yann Barthès fait le tapin
PRESQUE UN MOIS APRÈS LA CAPITULATION DES « REBELLES » À ALEP-EST ET LA LIBÉRATION DE LA VILLE QUI S’ENSUIVÎT, LA PROPAGANDE CONTINUE DE BATTRE SON PLEIN DANS LES MÉDIAS DOMINANTS.
Indigné par l’émission « Quotidien avec Yann Barthès » dans laquelle Hugo Clément interviewait régulièrement Ismael, un gentil civil qui dénonçait les « massacre » et le « génocide » dont ils étaient victimes, Pierre Le Corf, qui était durant une bonne partie du siège le dernier humanitaire français présent à Alep-Ouest avait tenté de leur indiquer que la situation n’était pas exactement ce que le dénommé Ismael leur racontait, et qu’il y avait des victimes des deux côtés. En vain, il n’a jamais eu de réponse, et a fini par se faire carrément bloquer sur leur page Facebook.
Plus croustillant encore, dans une réponse à un certain Philippe Rivière, Hugo Clément se permet de traiter Pierre le Corf de « propagandiste professionnel au service du régime ».
« Bonjour Philippe. Vous vous faites duper par la propagande de Bachar Al Assad. Ismaël a toujours dit être proche de l’armée syrienne libre. Tous ses meilleurs amis y sont ou y étaient. Il a posé à côté d’eux dans une ville en guerre où tout le monde était armé. N’écoutez pas les médias russes comme RT ou Sputnik ou les propagandistes professionnels comme Pierre Le Corf. Ce jeune homme propage la propagande du régime en connaissance de cause. Il ne faut vous fier qu’aux médias reconnus. Bien à vous. »
En quoi est-ce préoccupant ?
Hugo Clément se permet de calomnier Pierre Le Corf sur la base du simple témoignage de ce qu’il faut bien appeler un activiste, et lorsque l’intéressé se permet de répondre courtoisement pour donner un point de vue plus nuancé, se voit bloquer par les modérateurs. Drôle de couverture de l’information qui ne supporte aucune contradiction.
Or que je sache, durant les quatre années qu’on duré la bataille d’Alep, il n’y avait aucun journaliste indépendant sur place. Les informations qu’on nous a servies durant ces années l’ont été sur base du seul Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), qui est une source pour le moins sulfureuse, et par des « témoins privilégiés » tel cet Ismaël, dont la rédaction reconnaît bien volontiers qu’il était proche de l’ASL. Un activiste, donc. Notez qu’il n’y avait plus à Alep-Est que des combattants d’Al Cham [Front al-Nosra, ndlr], qui sont ce que vous voudrez mais pas modérés.
Or Pierre Le Corf, lui, travaillait à Alep-Ouest, c’est-à-dire la partie de la ville restée aux mains des forces gouvernementales, et plus particulièrement dans les zones attenantes à la ligne de front.
Et en gros, ce que nous dit Hugo Clément, c’est que le témoignage d’un humanitaire, sur place, serait de la propagande tandis que les discours d’un activiste, opposant au régime, habitant la partie Est de la ville serait de l’information. Sur la base de quels éléments objectifs ? Quelle raison aurait-on de croire moins un travailleur humanitaire (possiblement neutre) qu’un activiste pro-ASL dont on sait pour sûr qu’il est pour le renversement du régime ?
Mais peut-être faudrait-il tout simplement se fier à la version d’Ismaël parce qu’elle colle à la narration relayée en boucle par tous les médias dominants depuis quatre ans ? Notez que pendant tout ce temps, on n’a vu ni lu aucun reportage sur Alep-Ouest. Tabou ! Apparemment, il n’y avait ni morts ni blessés là-bas, ou alors c’étaient des méchants suppôts de Bachar qui ne valaient pas la peine que l’on se préoccupât de leur sort. Pourtant, les bombardements meurtriers des rebelles ont fait plus de 12.000 morts « [parmi les civils. ndlr], mais qui s’en soucie ?
« Il ne faut vous fier qu’aux médias reconnus. »
Lorsqu’on y réfléchit une seconde, la formule est malheureuse. Médias reconnus… mais par qui ? Par quoi ? D’autres médias reconnus ? Leurs actionnaires ? Par la caste autoproclamée des éditocrates détenteurs de la Vérité Vraie ? Mais qu’est-ce encore que cette farce ?
Il faudrait voir à ne pas confondre « reconnus » et « dominants ». Quand on parle de reconnaissance, il s’agit toujours de la reconnaissance des lecteurs pour la qualité d’un journal, et non pas pour le nombre d’abonnés, par ailleurs en chute libre un peu partout. Quand on parle de reconnaissance, on parle donc de sa réputation, patiemment édifiée au fil d’une relation de confiance nouée entre les lecteurs et leurs éditorialistes/reporters favoris. Des gens qui inspiraient le respect et faisaient preuve d’une éthique professionnelle irréprochable.
Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Ou sont passées les grandes dames qu’étaient Le Monde, The Guardian ou le New York Times, qui avait jugé nécessaire de s’excuser publiquement auprès de tous ses lecteurs pour le traitement indécent dont il avait fait preuve dans le cadre des élections présidentielles américaines ?
Quel média « reconnu » aurait signé ne serait-ce qu’un seul article un peu plus nuancé sur la crise en Syrie que la Doxa qu’on nous sert par tombereaux depuis quatre ans ? Est-il permis de penser que c’est là le signe infaillible qu’on ne se trouve plus en présence d’une presse libre et indépendante mais bien confrontés à de la pure propagande de guerre ?
Est-ce que ce donneur de leçons, du haut de son tabouret dans la rédaction de sa petite émission people se rend bien compte qu’aujourd’hui, moins de 15% de la population fait encore confiance aux médias mainstream ? Quel sens donner alors au mot « reconnu » ? Parce que pour le coup, les médias reconnus ne sont peut-être plus ceux auxquels il pense ?
Les médias dominants ont définitivement cessé de délivrer une analyse objective et impartiale de l’actualité pour la remplacer par une propagande destinée à formater la pensée unique. Ceci s’est accéléré de manière exponentielle à l’occasion du référendum britannique sur le Brexit, puis l’élection présidentielle américaine, et aujourd’hui avec la libération d’Alep.
Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est qu’à force de contradictions, leur crédibilité s’est érodée jusqu’au point où une majorité des gens ne savent plus que croire, tandis qu’une partie d’entre eux ont décidé de s’informer à plusieurs sources, pour faire ensuite le tri et essayer d’en dresser une synthèse qui soit plus proche de la réalité. Notez que je ne parle pas de vérité : moi je laisse ce mot aux fanatiques religieux, aux ivrognes et aux manichéens de tous poils qui s’en servent à tout bout de champ en guise d’argument ultime, ne se rendant pas compte qu’à force de l’associer à la tromperie, ils le vident de sens.
Concernant Alep, et plus généralement le conflit en Syrie, le vernis craque pourtant de toutes parts, et la réalité qui se dévoile est à mille lieues du tableau que les médias nous ont brossé durant quatre ans. Pour vous en faire une petite idée, je mets ici pèle-mêle quelques liens vers des articles ou des vidéos dignes d’intérêt :
- Dans un des e-mails de John Podesta, Directeur de campagne d’Hillary Clinton, qui avait été publié par Wikileaks suite au « piratage » du DNC, Hillary Clinton reconnaissait être au courant que le Qatar et l’Arabie Saoudite soutenaient clandestinement Daesh, alors que d’autre part ils font partie d’une « coalition » supposée lutter contre eux.
- Interview (EN) avec Vanessa Beeley (Journaliste indépendante à Alep) : « Why Everything You Hear About Aleppo Is Wrong ».
- Conférence de presse d’Eva Bartlett, journaliste indépendante de retour d’Alep aux Nations Unies (EN ST-FR).
- Un excellent article de Caroline Galactéros (Docteur en Science politique et colonel au sein de la réserve opérationnelle des Armées).
- Interview d’Éric Dénecé (docteur en science politique, chercheur spécialiste du renseignement, du terrorisme, des opérations spéciales) dénonçant sur LCI la falsification de l’information par les médias.
- Interview du député Jean Lassalle sur LCI (10.01.17)
- Interview de Thierry Mariani (député des Français de l’étranger) de retour d’Alep, sur iTélé (10.01.17).
Il devient quelque peu difficile de prétendre que tous ces gens sont des traîtres, vendus aux Russes ou au régime de Damas. Sans compter les innombrables sources sur Internet où il est possible de trouver une information plus en phase avec la réalité. Je ne prétends pas qu’elle soit dénuée elle-même de propagande, qu’elle soit pro-Russe ou pro-Syrienne, loin de là. Mais dans un monde où désormais les médias mainstream occultent et déforment systématiquement la réalité pour la faire cadrer avec la propagande dictée par les néocons de Washington, il est plus que jamais nécessaire de diversifier ses sources.
Par Philippe Huysmans |15 Janvier 2017
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