Apprécié pour la rigueur et la justesse de ses analyses le canadien Mahdi Darius Nazemroaya (*), 30 ans, s’est imposé comme un des meilleurs connaisseurs de l’OTAN. Ses investigations, traduites en de nombreuses langues, ont acquis une audience internationale et son ouvrage « The globalisation of NATO » [«La mondialisation de l’OTAN »] fait aujourd’hui référence *.

Mahdi Darius Nazemroaya

Trump tente de contrecarrer l’expansion de l’Iran en contestant le Plan global d’action conjoint (JCPOA) sur le nucléaire iranien 

La stratégie américaine en faveur d’un changement de régime à Damas a échoué. Bien que les choses n’aient pas évolué dans le sens souhaité par Israël et les Etats-Unis, on peut affirmer, selon le langage en usage chez les experts en géostratégie, que la Syrie a “été mise sur la touche”. Ce qui ne signifie pas que la Syrie va rester sur la « touche » indéfiniment.

Par Mahdi Darius Nazemroaya | 25.10.2017  | Strategic-culture

En Irak, où le gouvernement fédéral est venu à bout du soit-disant “Etat” Islamique, des demandes de retrait de l’armée américaine commencent à être exprimées. Au Levant, les Palestiniens ont réussi à former un gouvernement d’unité nationale qui va changer la donne dans leurs négociations avec Israël ; dans le même temps, le Hezbollah et ses alliés représentent au Liban une force politique plus puissante que jamais. Et, au Yémen, les Houthis et leur branche politique, Ansarallah, ont réussi à repousser les Saoudiens.

D’un point de vue géostratégique plus global, ce sont les Etats-Unis et leurs alliés qui sont régulièrement “mis sur la touche”. C’est pourquoi Washington se retourne maintenant contre ce qui constitue l’appui stratégique de la Syrie, de l’Irak, du Liban, des Houthis et des Palestiniens, à savoir, la République Islamique d’Iran.

Bienvenue dans la nouvelle architecture de sécurité du Moyen-Orient : l’Iran propulsé sur le devant de la scène

Chaque action entraîne une réaction. Les tentatives américano-israéliennes de “mettre la Syrie sur la touche” ont contraint l’Iran à s’engager au Moyen-Orient. L’armée iranienne est maintenant présente en Irak et en Syrie, jusqu’à la rive orientale de la Méditerranée. Pour noircir le tableau [du point de vue des USA et israël, ndlr], aux forces iraniennes, se sont jointes celle de la Russie, autre puissance rivale des Etats-Unis à avoir été “mise sur la touche”.

Les forces iraniennes ont travaillé étroitement avec les forces irakiennes pour anéantir l’Etat Islamique, une organisation soutenue par les Etats-Unis selon les accusations d’officiels irakiens, iraniens et russes. Les forces militaires iraniennes ont largement coopéré avec l’armée irakienne, sur une zone allant de la frontière Iran-Irak à la frontière Irak-Syrie. Les quatre pays alliés  – Iran, Russie, Syrie et Irak – ont même mis sur pied  à Bagdad un centre anti-terroriste opérant dans les différents domaines de l’Armée, du Renseignement et de la Sécurité. Ce qui explique pourquoi c’est depuis Bagdad qu’un général russe a averti le gouvernement américain, par un message écrit transmis à l’ambassade américaine en Irak, que la Fédération de Russie s’apprêtait à intervenir militairement en Syrie le 30 septembre 2015.

La Turquie a également opéré un revirement en faveur de l’Iran. Ankara et Téhéran se sont liguées en faveur du Qatar, contre l’Arabie Saoudite. Par suite de ce revirement, la Turquie a, de concert avec l’Iran et la Russie, établi des zones de désescalade en Syrie et coordonné les négociations qui se sont déroulées à Astana au Kazakhstan, entre le gouvernement et les mouvements d’opposition syriens. Pour couronner le tout, les gouvernements et les forces militaires d’Irak, d’Iran et de Turquie se sont coordonnées pour empêcher le Gouvernement Régional du Kurdistan au nord de l’Irak, autrement dit le Kurdistan irakien, de faire sécession avec l’Irak. C’est à cet effet que le Chef des Forces Armées iraniennes, le Major-Général Mohammad Baqeri, est venu le 15 août dernier à Ankara pour rendre visite à son homologue turc, le Major-Général Hulusi Akar, et que ce dernier s’est à son tour déplacé à Téhéran le 2 octobre.

Au Liban, un changement s’est produit à la suite d’une modification du rapport des forces politiques en présence à Beyrouth. Signe de ce changement :  l’accession de Michel Aoun, allié de l’Iran, à la Présidence du pays le 31 octobre 2016. Dans ce pays où les puissances étrangères sont partie prenante des discussions au moment de la formation des gouvernements, ce choix de Aoun par le Parlement traduit l’influence croissante des Iraniens au Liban, au détriment de celle des Américains et des Saoudiens.

La volonté politique affichée par Beyrouth de renforcer ses liens sur le plan militaire et sécuritaire avec la Syrie et l’Iran s’est exprimée dans le cadre d’un accord de sécurité iranien pour le Moyen-Orient. Cet accord porte en partie sur la nécessaire coordination, au cours d’opérations de sécurité ou de guerre menées par l’Armée libanaise, avec les forces militaires syriennes et le Hezbollah. A cet égard, Israël a même annoncé qu’il ne ferait aucune distinction entre le Hezbollah et l’Armée libanaise s’il devait dans le futur attaquer le Liban.

Le déploiment de l’Iran en Irak et au Levant préoccupe tout autant Israël que les Etats-Unis. L’armée iranienne est maintenant reliée à un réseau de milices locales; celle-ci jouent un rôle essentiel de structuration pour les forces irakiennes et syriennes. Les informations faisant état d’installations iraniennes de construction navale et aéronautique, adjacentes à celles de son allié russe sur la base aérienne  d’Hmeymin en Syrie, renforcent cette omniprésence iranienne. Dans l’une de ses éditions de novembre 2016, le Shargh Daily News a même fait état d’une déclaration du Major-Général Mohammad Baqeri, selon laquelle l’armée iranienne avait besoin d’établir des bases navales en Syrie et au Yémen.

Ce chef militaire s’est même rendu en Syrie le 17 octobre dernier, pour y effectuer une visite de quelques jours sur la ligne de front proche d’Alep et s’entretenir avec le Président syrien, Bachar El-Assad, et avec le Chef d’Etat-Major de l’Armée Arabe Syrienne, Ali Ayyoub. Le militaire iranien a adressé, depuis Damas, un message à Israël, l’avertissant qu’il stopperait tout bombardement de sa part contre la Syrie en vertu de la nouvelle phase de coopération militaire entre Téhéran et Damas.

En  réaction à cette perspective de bases militaires iraniennes en Syrie, Israël a menacé de prendre des mesures pour empêcher l’Iran d’y établir des bases permanentes. Tel Aviv a également essayé de faire pression sur la Russie pour qu’elle intervienne en ce sens, et ce point a été au centre des discussions entre le gouvernement israélien et le Ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, lors de la première visite que celui-ci a entamée en  Israël le 15 octobre dernier. En dehors de l’évolution de la situation syrienne, Israël ne pourra plus justifier le blocus qu’il impose aux habitants de la Bande de Gaza, dans la mesure où, sous la médiation de l’Egypte, le Hamas a accepté de former un gouvernement d’unité nationale avec l’Autorité Palestinienne.

Cette nouvelle architecture de sécurité qui se met en place au Moyen-Orient, dont le centre de gravité est l’Iran, et qui défend les intérêts de la Russie, inquiète beaucoup Israël et les Etats-Unis. C’est à cause d’elle et du déploiement de l’Iran que le gouvernement américain envisage ouvertement de qualifier les Gardiens de la Révolution Islamique d’organisation terroriste. Dans ses efforts répétés pour “mettre l’Iran sur la touche”, le gouvernement américain a réclamé l’accès aux sites militaires iraniens et affirme que les essais militaires iraniens, qui mettent en jeu des missiles balistiques, constituent une violation de la Résolution 2231 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

L’intervention US auprès des Nations Unies pour contrer l’Iran

C’est dans ce contexte que “Nikki” – pour Nimrata Haley -, ambassadrice américaine aux Nations-Unies, a déclaré devant le Conseil de Sécurité que l’Iran était impliqué dans toutes les crises du Moyen-Orient. Haley et son homologue israélien, Danny Danon, ont d’ailleurs passé toute la session du Conseil de Sécurité du 18 octobre dernier, dont l’ordre du jour portait sur le conflit israélo-palestinien, à vilipender l’Iran et à mettre en cause le Plan d’Action Conjoint (JCPOA).

De nombreux diplomates ont vivement critiqué la façon dont les Etats-Unis et Israël s’étaient servis du forum consacré à la décision de réunification des instances politiques palestiniennes pour s’en prendre à l’Iran et présenter le programme des représailles de Washington contre Téhéran. Parmi eux, figurait Vasily Nebenzia, ambassadeur de Russie aux Nations Unies. “La Russie est gravement préoccupée par le fait que les Etats-Unis et Israël n’ont pas prononcé une seule fois le mot “Palestine“. Nebenzia a également livré ce commentaire à l’Agence Tass : “Cette affaire est préoccupante et affligeante, car nous  constatons qu’il n’y aucune avancée dans le règlement de la question israélo-palestinienne, et, fait encore plus grave, qu’il n’y est même pas fait référence”. Selon l’Agence Tass, il s’est ensuite étendu sur les agissements américains et israéliens aux Nations unies.

La réunion du Conseil de Sécurité portant sur la situation en Palestine faisait suite à l’annonce diffusée le 13 octobre par la Maison Blanche que le gouvernement américain refusait de ratifier l’Accord sur le Nucléaire. Alors que tous les signataires de cet accord, à savoir l’Agence Internationale de l’Energie Atomique basée à Vienne, la Commission Européenne, les différents représentants de l’Administration américaine, Rex Tillerson, Secrétaire d’Etat et James Mattis, Secrétaire à la Défense, sont tous publiquement tombés d’accord sur le respect des clauses du  JCPOA  par l’Iran, le Président Trump a refusé cette certification en précisant  que les Etats-Unis ne prévoyaient pas de sortir du JCPOA (Plan Global d’Action Conjoint). Bien que ce Plan soit un traité international que les Etats-Unis ne peuvent modifier unilatéralement, Trump a lui, unilatéralement ouvert une brèche, qui offre au Congrès américain la possibilité de formuler de nouvelles demandes sur l’Iran et d’imposer des sanctions à son encontre.

Une coalition contre l’Iran s’est constituée entre les Etats-Unis, Israël et le Royaume d’Arabie Saoudite. Avec l’appui de ses deux alliés, l’Administration Trump commence à dérouler sa stratégie. Ces deux Etats alliés ont ouvertement soutenu le refus américain de certification du JCPOA et s’alignent sur les Etats-Unis dans le domaine international.

Israël a d’ailleurs emboîté le pas aux Etats-Unis en se retirant de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture). Les Etats-Unis ont interrompu leurs paiements à l’UNESCO depuis 2011, date à laquelle l’UNESCO et ses Etats membres ont pris conjointement la décision d’admettre la Palestine en leur sein. En dépit de leurs protestations, ni les Américains ni les Israéliens n’ont quitté l’organisation.

L’approche globale du président Donald Trump à l’égard de l’Iran

“Si l’on se contente de regarder l’Iran à travers le prisme étroit de l’Accord sur le nucléaire, on ne saisit pas la vraie nature de la menace”, a déclaré l’ambassadrice Haley devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, le 18 octobre dernier. “L’Iran doit être appréhendé dans la globalité de son comportement belliciste, déstabilisant et illégal” a-t-elle ajouté. C’est le mot “globalité” qu’il faut surtout retenir parce qu’il s’applique à l’approche que les Etats-Unis entendent avoir sur  l’Iran.

Les prétendues inquiétudes de Washington quant à la nature pacifique du programme iranien sur l’énergie nucléaire ont toujours servi de prétexte pour justifier son hostilité envers ce pays et le contraindre à servir ses propres intérêts. En d’autres termes, les Etats-Unis veulent que l’Iran baisse la garde et renonce à ses velléités régionales d’hégémonie sur le Moyen-Orient et l’Asie Centrale. C’est cette préoccupation que le gouvernement de Washington a en tête depuis le début, et qu’il dissimule opportunément derrière ses prétendues inquiétudes à propos du programme nucléaire iranien.

Ce à quoi Trump s’emploie présentement, c’est d’exiger des Iraniens qu’ils s’alignent sur le scénario américain au Moyen-Orient et en Asie centrale et qu’ils se mettent au diapason de ses objectifs de politique extérieure. Dans cet ordre d’idée, il veut que l’Iran cesse de soutenir les gouvernements légitimes de Syrie et d’Irak, les mouvements libanais et palestiniens de résistance contre Israël ainsi que les Houthis qui luttent contre les agressions de l’Arabie Saoudite. Et par la même occasion, il veut que l’Iran renonce à son droit d’utiliser des missiles balistiques dans un cadre de légitime défense. Tel est le  programme que l’Administration US appelle une “approche globale”.

Les Etats-Unis veulent mettre presque tout, si ce n’est tout, sur la table. Une entente globale, sinon rien. Au lieu d’envisager chaque dossier dans sa spécificité, ils veulent négocier la “totalité” d’entre eux. Régler tout à la fois les questions de l’Afghanistan, du Golfe Persique, de l’Irak, de la Syrie, du Liban, de la Palestine, du Yémen, de l’énergie, du commerce et des stratégies militaires iraniennes. L’Iran a contrecarré sur plusieurs fronts les ambitions des Etats-Unis, de l’Arabie Saoudite et d’Israël, et sa puissance grandissante est devenue intolérable pour Washington. C’est ce qui explique les pressions exercées par Trump en vue d’une réécriture du JPOA, dont les modifications et les addendas traiteraient de questions régionales qui “mettraient internationalement l’Iran sur la touche”.

Par Mahdi Darius Nazemroaya | 25.10.2017

Article original en anglais: https://www.strategic-culture.org/news/2017/10/25/trump-task-reverse-roll-out-iran-challenging-jpcoa.html

Traduit par Sylvie Jolivet pour Arrêt sur info

[*] https://arretsurinfo.ch/mahdi-darius-nazemroaya-lotan-namene-que-destruction-insecurite-et-misere-elle-doit-etre-abolie/