1948 – Image de la Nakba, l’expulsion des Palestiniens de leur terre ancestrale par les milices sionistes – Photo : Archives
Comment l’absence d’un article dans une résolution a été exploité par Israël pour justifier son occupation.
Par Ramzy Baroud | 21 novembre 2017
Lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2334 en décembre 2016, les dirigeants israéliens ont bouilli. Leur fureur a été dûment interprétée comme produite par ce qu’ils ont perçu comme une trahison sans précédent de la part des les États-Unis.
Mais ce n’était pas du tout, puisque la résolution 2334 – qui affirmait que les colonies israéliennes n’avaient aucune validité juridique et constituaient une violation flagrante des droits de l’homme – était en partie fondée sur la résolution 242 de 1967 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cela signifie que 50 ans de tentatives israéliennes incessantes pour se libérer de tout engagement envers le droit international ont échoué, et sans rémission.
La résolution 242, qui stipulait que l’armée israélienne doit se retirer des territoires occupés par la guerre de 1967, a été citée dans divers accords entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et plus tard avec l’Autorité palestinienne (AP), mais uniquement pour dire que ces accords étaient juridiquement contraignants. Les citations ne reconnaissaient pas le contexte juridique dans son ensemble, les obligations et les dédommagements liés au droit international tels que stipulés dans la résolution.
Au lieu de cela, les Accords d’Oslo de 1993 et les accords ultérieurs ont donné à Israël l’occasion d’utiliser son influence pour contourner le droit international : signer un accord de paix sans mettre fin à son occupation militaire est devenu son objectif.
Puis, au fil du temps, Oslo et le « processus de paix » qui a suivi ont développé un vocabulaire à sens unique et servi d’initiative juridique indépendante, gérée et interprétée par le gouvernement américain comme bon lui semblait.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ait été très choqué d’assister au fait que le réengagement à la résolution 242 l’année dernière au Conseil de Sécurité n’ait pas suscité l’opposition des États-Unis. En fait, cette résolution de longue date a gagné en substance et en vigueur.
Réécrire l’histoire
La résolution 242 n’a pas toujours été bien accueillie par les Palestiniens car elle est née de la défaite arabe de la guerre de juin 1967. Le soutien militaire européen et américain dans cette guerre a assuré la victoire d’Israël en même temps que l’effondrement des systèmes arabes de défense dans une bataille qui a augmenté de près trois fois les terres arabes sous contrôle israélien.
Comme on s’y attendait, les Arabes sont tombés dans une profonde division politique dont ils ne se sont toujours par remis.
Cette division a été mise en évidence de façon plus frappante lors du sommet de Khartoum, en août 1967, au cours duquel les dirigeants arabes se sont affrontés sur le choix de leurs priorités. Un dilemme majeur était de savoir s’il fallait laisser les gains territoriaux d’Israël redéfinir le statu quo et si les Arabes devaient se concentrer sur le retour aux frontières d’avant 1967 ou sur la situation avant 1948, lorsqu’un État juif fut imposé sur les ruines de la Palestine historique.
Avant cette guerre, deux résolutions des Nations Unies définissaient le cadre juridique international pour la Palestine et Israël : la Résolution 181 concernait la partition de la Palestine historique en États juifs et arabes et la Résolution 194détaillait le droit au retour des réfugiés palestiniens chassés de Palestine, leur terre ancestrale, pendant la Nakba de 1948 (la catastrophe).
Mais les conquêtes territoriales d’Israël en 1967 ont imposé une nouvelle réalitéaux Palestiniens, à présent dans un nouveau cadre de référence qui visait à mettre de côté les résolutions 181 et 194 comme étant hors de propos et historiquement dépassées.
Alors que les Arabes se querellaient sur les priorités, l’administration américaine de Lyndon Johnson capitalisait sur la défaite du camp arabe et soviétique et poussait à l’adoption de la résolution 242 le 22 novembre 1967.
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont également manigancé pour omettre l’article « the » devant les « territoires » d’une phrase critique de la résolution qui exigeait le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés dans le récent conflit ».
Ce seul fait a fourni à Israël un argument qu’il a avancé sans relâche depuis, selon quoi la Résolution 242 n’exigeait pas un retrait complet.
De plus, sous la pression américaine, la Résolution 242 ne mentionne pas les Résolutions 181 et 194, comme s’il s’agissait d’une déclaration d’une ère nouvelle où le conflit arabo-israélien devait être géré par un tout nouveau mode de pensée imposé par les États-Unis et ses alliés.
Cela a été précisé dans une disposition de la Résolution 242 qui appelle à « la cessation de toutes les revendications ou états de belligérance et au respect et à la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État dans la région et de leur droit de vivre en paix, avec des frontières sûres et reconnues exemptes de menaces ou d’actes de force ».
Considérant que la souveraineté d’aucun pays arabe n’a jamais été mise en question et que les Palestiniens n’ont jamais été mentionnés dans la résolution, cette condition a été insérée pour faciliter la future reconnaissance arabe d’Israël, dans ce qui est devenu la formule « la terre contre la paix« .
Pour Israël, la résolution 242 était un outil permettant de conclure des accords unilatéraux avec les pays arabes sans faire de concessions sur son occupation militaire de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Aujourd’hui, 50 ans après l’adoption de la résolution 242, l’occupation militaire israélienne s’est retranchée dans tous les territoires palestiniens occupés.
Coopter les Arabes
La guerre de 1967 et ses conséquences ont également entraîné des changements fondamentaux dans les discours et les alliances. Elle relégua à l’arrière le rôle de l’Union soviétique tout en renforçant le pouvoir et l’influence des États-Unis.
Le discours politique arabe changeait aussi.
Le message panarabe du président égyptien Gamal Abdel Nasser semblait, pour la première fois, confus et peu convaincant. Il démissionna, pour ensuite revenir au pouvoir après une série de manifestations populaires. Mais il mourut trois ans plus tard sans jamais reprendre le rôle central qu’il avait autrefois assuré en tant que leader du mouvement nationaliste arabe.
Il est vrai que les gouvernements arabes avaient rejeté les résultats de la guerre et annoncé les fameux « trois non » – pas de négociations, pas de reconnaissance et pas de paix avec Israël – mais il est également vrai que la guerre avait redéfini les relations des arabes avec la lutte palestinienne.
Les modifications exprimées dans la Résolution 242 alarmaient les Palestiniens qui se rendaient compte que tout règlement politique à venir ignorerait probablement la situation qui prévalait avant la guerre, et ne répondrait pas sur le fond aux griefs actuels.
La faction palestinienne du Fatah tira alors la conclusion que la situation nécessitait une reprise rapide de la lutte armée. Elle fit en sorte en 1969 de consolider son pouvoir sur l’OLP, dont les objectifs étaient jusqu’à présent largement conformes aux souhaits de l’Égypte.
Quand Anouar Sadate devint le président de l’Égypte après la mort de Nasser, il proposé un règlement de paix avec Israël sur le modèle de la résolution 242 de l’ONU qui, plus ou moins, avait cimenté la victoire militaire d’Israël.
A la même période en mars 1969, le nouveau Premier ministre israélien, Golda Meir prenait ses fonctions et rejetait toutes les offres de paix formulées à l’époque.
La paix qui n’a jamais existé
La position pro-israélienne de Washington s’est transformée en soutien inconditionnel avec Henry Kissinger, qui a servi comme conseiller de sécurité nationale et plus tard secrétaire d’État dans l’administration de Richard Nixon.
Kissinger a maintenu une pression intense sur l’Égypte pour qu’elle désavoue ses alliés soviétiques. Lorsque Sadate, en 1972, ordonna brusquement à plus de 25 000 conseillers et experts militaires soviétiques de quitter l’Égypte, il avait peut-être espéré que les États-Unis rendraient leur pareille en adoptant une approche plus équilibrée du conflit au Moyen-Orient.
Tout ce qu’il a gagné, cependant, était une vague promesse américaine de mettre un terme à la violence dans la région, conformément à la résolution 242 des Nations Unies.
La guerre d’octobre 1973 – entre Israël et une coalition d’États arabes dirigée par l’Égypte – a conduit à l’adoption de la résolution 338, qui réaffirmait le caractère central de la résolution 242 comme base d’une paix future entre Israël et les pays arabes.
Lorsque l’Égypte s’est désengagée du conflit avec Israël, après la signature du traité de paix de Camp David en 1979, l’OLP a été abandonnée à naviguer dans un front arabe maintenant éclaté. Alors que le paysage politique dans le monde arabe se rapprochait du camp américain, l’OLP a finalement cédé à la nouvelle réalité.
Le 12 novembre 1988, le Conseil national palestinien (CNP) de l’OLP s’est réuni à Alger pour approuver une stratégie politique fondée sur les résolutions 242 et 338 – qui étaient alors devenues la condition habituelle des États-Unis pour s’engager politiquement avec l’OLP.
Quelques années plus tard, alors que les dirigeants palestiniens négociaient un accord basé sur les résolutions 242 et 338 avec leurs homologues israéliens à Madrid, le président de l’OLP Yasser Arafat et quelques responsables du Fatah négocièrent à Oslo un accord secret : les fameux « Accords d’Oslo ».
Les combines des Israéliens pour rabaisser encore plus les droits des Palestiniens, semblaient finalement avoir réussi.
Mort et résurrection
La guerre de juin 1967 fut la plus grande victoire militaire d’Israël, et la résolution 242 consacra un nouvel ordre au Moyen-Orient, dans lequel les États-Unis et Israël régnaient en maîtres.
C’est pourquoi la résolution 2334 a été un tremblement de terre politique, car elle a invalidé tous les changements sur le terrain qu’Israël avaient imposés en 50 ans d’occupation illégale des terres palestiniennes.
La résolution appelait à « deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivant côte à côte en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ».
Et contrairement à la Résolution 242, la Résolution 2334 ne laissait aucune place à une mauvaise interprétation : elle faisait référence aux lignes d’avant juin 1967, par l’annulation de l’occupation israélienne et de toutes les colonies illégales construites par Israël depuis lors.
La résolution citait même la Quatrième Convention de Genève, la Charte des Nations Unies et l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice de juillet 2004, qui indiquait que la barrière israélienne en Cisjordanie était illégale et devait être démantelée.
On peut faire valoir que la résolution 2334 est une solution beaucoup plus convaincante que la résolution 242, manipulée politiquement. La première confère à cette dernière plus de crédibilité et de substance et un cadre juridique clair.
Cependant, il est possible que ce soit également arrivé trop tard, car 50 ans de colonisation juive totalement illégale ont modifié la réalité physique de Jérusalem et de la Cisjordanie d’une manière qui pourrait être irrémédiable.
Il semble que malgré tout ce qu’Israël peut tenter pour détourner l’attention de son occupation, des mauvais traitements infligés aux Palestiniens et des violations du droit international, le passé sera toujours présent – ne serait-ce que pour rappeler une justice pour laquelle une solution dans la justice reste à imposer.
Ramzy Baroud | 21 novembre 2017 – Al-Jazeera
Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie.
Source : Chronique de Palestine