La bande-annonce pour le forum des finances publiques du Fonds Monétaire International sur « l’économie de la dette » joue sur nos peurs avec la tension obsédante d’un film de Hitchcock. Une citation de Thomas Jefferson clignote sur l’écran en lettres rouge-sang : « Nous ne devons pas laisser nos dirigeants nous charger avec la dette perpétuelle ».

Nous apprenons que la dette publique des économies riches a chuté, passant de 214% du PIB à la fin de la Seconde Guerre mondiale à 29% en 1973, une époque bénie que nous avons laissée loin derrière nous.

Depuis, le poids de la dette a grimpé à un rythme soutenu de 2% par an, s’accélérant dans une spirale ascendante pour atteindre 105% du PIB après le crash de Lehman. C’est comme si nous avions connu une autre guerre mondiale.

Le baby-boom et la forte croissance de la main-d’ouvre nous ont permis de sortir de la dette par le haut dans les années 50 et 60, sans même nous en apercevoir. Rien de tel ne semble à notre portée aujourd’hui.

Le rapport du FMI sur la Perspective économique mondiale décrit une planète prostrée prise au piège d’une croissance faible, alors que la population vieillit dans tout l’Hémisphère nord, et que la productivité connaît des ratés. Mais ce malaise n’est pas confiné à l’Ouest. Le taux de fécondité s’est effondré en Extrême Orient. La main-d’ouvre chinoise se réduit de 3 millions de personnes chaque année.

Ce rapport met en garde sur une « réduction persistante » du taux de croissance mondiale depuis la Grande Récession de 2008-2009, sans le moindre signe pour l’instant d’un retour à la normale. « Une croissance potentielle plus faible rendra plus difficile la réduction des ratios élevés des dettes publiques et privées», dit ce rapport.

Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, appelle cela la « Nouvelle Médiocrité ». Le summum de l’élégance, comme toujours, apparemment inépuisable, tandis qu’une cour d’admirateurs se presse autour d’elle au siège du FMI à Washington. Lagarde a été à dure école pour comprendre que quelque chose est sacrément en panne dans le monde.

Le douloureux rituel de son mandat au FMI a consisté à admettre à chaque réunion que les prévisions précédentes étaient trop optimistes. Il y a d’abord eu la crise de la dette en Europe. A présent, c’est la Chine, le Brésil, la Russie et une foule de mini-Brics qui ont atteint les limites d’une croissance facile pour rattraper leur retard.

Cette année, la malédiction a été finalement rompue. Il n’y aura pas de réajustement à la baisse. Le FMI croise les doigts pour que la croissance mondiale se maintienne à 3,5% en 2015.

Pourtant, le message sous-jacent du FMI est que les ratios vertigineux de la dette et les populations âgées constituent un mélange dangereux, prédisposant la planète aux maladies « japonaises » de la déflation et de l’atrophie. Les amortisseurs monétaires et budgétaires sont largement épuisés. Les autorités n’ont plus grand-chose dans leur arsenal politique pour combattre le prochain ralentissement lorsqu’il se produira.

Bien sûr, il reste une façon consacrée par l’usage de se débarrasser des dettes non-remboursables et d’effacer l’ardoise. Cela s’appelle faire défaut. Quelques esprits malicieux au FMI ont choisi de terminer la bande-annonce hitchcockienne par une citation assassine, celle-ci de la poétesse et romancière canadienne Margaret Atwood, construite de façon bizarre mais lapidaire à sa manière : « Et puis, il y a la vengeance qui arrive lorsqu’ils ne sont pas remboursés ».

Cela pique au vif, car c’est plus ou moins ce qui pourrait arriver dans les semaines à venir si une Grèce en colère – mécontente d’avoir été sacrifiée pour sauver les banques européennes en 2010 – devient le premier pays développé à ne pas honorer un paiement dû au FMI, et peut-être le premier pays d’une longue liste de nations endettées à inverser les rôles vis-à-vis de ses créanciers étrangers. Athènes est là où tout commence. George Osborne [le ministre britannique des finances] a dit que l’idée d’une débâcle grecque était sur toutes les lèvres lors de la réunion de printemps du FMI, cette année. « L’humeur est notablement plus sombre, et il m’apparaît maintenant clairement qu’un faux-pas ou un mauvais calcul par un camp ou un autre pourrait facilement renvoyer les économies européennes à la sorte de situation périlleuse que nous avons connue il y a trois ou quatre ans. Il semble que la crise arrivera en mai », a-t-il dit.

Son homologue français, Michel Sapin, ne semble plus être ce protecteur avunculaire du gouvernement de la gauche radicale grecque de Syriza. « Rien n’a changé », a-t-il dit, désespéré. « Beaucoup de temps a été perdu et la patience n’est pas éternelle. Soit le camp grec n’a pas voulu travailler sérieusement, soit il ne sait pas comment le faire. Nous arrivons au moment où cela pourrait devenir difficile, et je pense que les Grecs ont besoin de se mettre cela en tête », a-t-il déclaré. Lagarde a dit sévèrement à la Grèce que tout délai dans les paiements au FMI – le sacro-saint créancier de la planète – placerait ce pays vers le statut de paria. « Ce n’est clairement pas l’action qui conviendrait ou serait recommandée », a-t-elle dit.

Comment une nation relativement riche peut-elle justifier le défaut de paiement à la famille du FMI où de nombreux membres sont dans une « situation plus périlleuse » ? a-t-elle demandé.

Le revenu de la Grèce par habitant est de 25.667 dollars, à comparer aux 780 dollars au Malawi, aux 2.498 dollars au Bangladesh, aux 5.418 dollars en Inde ou aux 11.906 dollars en Chine. La Gauche grecque a diabolisé le FMI pendant si longtemps en disant de lui qu’il est un agent d’oppression qui a du mal à regarder en face son dilemme moral ! Ainsi qu’un haut-fonctionnaire [grec] l’a dit au Daily Telegraph au début du mois, « si nous devons choisir entre le défaut vis-à-vis du FMI ou le défaut vis-à-vis de notre propre peuple, notre choix est fait ».

Syriza est tenté d’acheter du temps avec des arriérés temporaires au FMI – de courte durée ou cessation de paiement – pour donner un coup de semonce au bloc des créanciers. Athènes n’a pas assez d’argent pour payer 1,7 milliards d’euros pour les salaires et les retraites à la fin de ce mois, et ensuite pour rembourser 1 milliard d’euros au FMI début mai. Presque tout ce qui a pu être dévalisé l’a été, légalement ou non.

Cela pourrait changer si la Russie arrive avec 3 à 5 milliards d’euros de financement anticipé cette semaine pour le projet de pipeline « Turkish Stream », comme l’a rapporté Der Spiegel en Allemagne, ce qui a d’abord été réfuté. Des sources grecques ont dit au Daily Telegraph qu’il y a bien un accord de la sorte, négocié mystérieusement par Panagiotis Lafazanis, le ministre de l’énergie grec et chef de file de la plate-forme de gauche de Syriza.

D’où sa rhétorique fougueuse, samedi, disant que Syriza ne « trahirait pas son mandat populaire », quelles qu’en soient les conséquences.

« Il ne peut y avoir d’accord avec les puissances néolibérales et néo-coloniales qui dirigent l’UE et le FMI, à moins que la Grèce ne menace réellement leurs intérêts économiques et stratégiques profonds », a-t-il dit. Si la Grèce vire dans l’orbite russe – dissolvant le flanc Est de l’Otan – rien ne peut être exclu. Syriza pourrait opter de payer le FMI et à la place faire défaut sur les 6,7 milliards d’euros d’obligations, en juillet et en août, détenues par la Banque centrale européenne (BCE), considérée comme l’ennemi numéro un.

Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schaüble, reste serein. Il semble avoir pris sa décision il y a longtemps, que la Grèce n’a pas sa place dans l’Union monétaire, et il se moque des avertissements de contagion. « Ce n’est pas un élément majeur de l’économie de la zone euro. Les marchés ont déjà anticipé ce qui pourrait se produire. On ne peut voir de contagion », a-t-il déclaré.

Ce n’est pas le point de vue partagé par le Trésor américain ou par les propres experts du FMI. « On ne devrait pas sous-estimer le risque d’une sortie de la Grèce », a dit Poul Thomsen, le chef de la mission du FMI en Grèce.

La crise grecque peut éventuellement être désamorcée. Mais personne n’y peut grand-chose, avec la menace infiniment plus grande d’une « super crise aiguë », alors que la Réserve fédérale américaine augmente ses taux pour la première fois depuis huit ans, en disant que le temps des liquidités abondantes et bon marché est révolu.

Le FMI a mis en garde contre une « cascade d’ajustements perturbateurs », doublement dangereux puisque les marchés doivent encore se faire une idée ou anticiper ce qui pourrait bientôt les frapper. Cela représente un resserrement à court terme de 9.000 milliards de dollars sur la dette extérieure libellée en dollars ne relevant pas des Etats-Unis, dont la moitié est due par des sociétés en Russie, au Brésil, en Afrique du Sud, en Chine et dans le reste du réseau des marchés émergents. Agustin Carstens, le gouverneur de la banque centrale du Mexique, a dit que même les plus grosses réserves étrangères ne sont pas à l’abri. « Peut importe la quantité que vous détenez, il n’y en a jamais assez quand vous en avez besoin ».

Le FMI a dit que le monde doit se préparer à un bond soudain de 100 points de base [1%] du rendement des Bons du Trésor à 10 ans, combiné à un dollar qui monte en flèche. « Des modifications de cette ampleur peuvent générer des chocs négatifs à l’échelle mondiale. Les économies de marché émergentes sont particulièrement exposées : elles pourraient se retrouver face à une inversion des flux de capitaux », a-t-il déclaré.

Le FMI a dit que les marchés se sont laissé aller à un sentiment d’assurance excessive par les plus faibles rendements de l’histoire et une étrange absence de volatilité – « une illusion de liquidité » – apparemment fondé sur leur confiance que les banques centrales viendraient toujours à leur secours.

« Une modification brutale de l’opinion des marchés, qui dénouent leur position sur les primes compressées et envoient les rendements à la hausse, pourrait déclencher un choc de liquidités sur les marchés », a déclaré le FMI. Le « krach éclair » sur le marché obligataire américain en octobre dernier à été une première secousse, une alerte sur la façon dont les liquidités peuvent disparaître aussi rapidement.

Derrière tout ça se trouve la dette. Le monde entier a été attiré plus profondément dans un pacte faustien. Les niveaux totaux de dette publique et privée ont atteint un record de 275% du PIB dans les pays riches, et 175% sur les marchés émergents. Ils sont tous deux en hausse de 30 points depuis la crise de Lehman.

Personne ne sait avec certitude si cela est bénin ou comment ça se terminera. La peur obsédante des maîtres de la finance mondiale au siège du FMI, cette année, est que cette dette pourrait ne jamais être remboursée. Aux risques du créancier.

Par Ambrose Evans-PritchardThe Daily Telegraph, 22 avril 2015
Article original: Welcome to the « New Mediocre » of a world drowning in debt

Traduction: JFG-QuestionsCritique