« Une force armée permanente et un exécutif envahissant ne seront jamais des compagnons sains pour la liberté. »
L’Amérique est une bombe à retardement.
Tout ce qu’il reste à savoir, c’est qui – ou quoi – allumera la mèche.
Nous sommes en équilibre au sommet d’un château de cartes sur le point de s’écrouler, avec des policiers tirant sur des citoyens désarmés, des snipers tirant sur la police, une violence qui croît dans le monde et chez nous, et une épreuve de force entre deux candidats à la présidence qui font la paire en matière d’impopularité.
Les préparatifs pour les conventions républicaine et démocrate qui vont se tenir à Cleveland et à Philadelphie – viennent de s’ajouter les 50 millions de dollars de subvention fédérale extraordinaire « de sécurité » alloués à chacune des deux villes – offrent un avant-goût de la manière dont le gouvernement a l’intention de traiter tout individu ou groupe qui oserait sortir si peu que ce soit du rang : ceux qui s’y risqueront seront censurés, bâillonnés, espionnés, embastillés, intimidés, « interrogés », fichés, filés, marqués, mis en joue, arrêtés, retenus en garde à vue, détenus, mis en accusation et jugés coupables.
Par exemple, en prévision de l’agitation sociale et des manifestations de masses qu’elles redoutent lors de la convention du parti républicain, les autorités de Cleveland ont installé des prisons de fortune, des salles d’audiences supplémentaires pour y faire auditionner les manifestants éventuels, et fermé une université pour y loger 1.700 policiers anti-émeutes et leurs armes. Les tribunaux de la ville se préparent à juger jusqu’à 1.000 personnes par jour. Pour faire bonne mesure, le FBI a « interviewé » d’avance un certain nombre de militants, pour les dissuader de manifester lors des conventions.
Ne vous y trompez pas : le gouvernement est fin prêt pour un soulèvement populaire.
En fait, il y a des années que le gouvernement s’y prépare.
Un rapport de 2008 du Collège de l’Armée de Guerre révélait que « des troubles civils généralisés à l’intérieur des États-Unis forceraient le département de la défense à réorienter ses priorités in extrémis pour assurer l’ordre intérieur et la sécurité des personnes. » Les 44 pages du rapport préviennent en long et en large de ce que de tels troubles pourraient résulter d’une autre attaque terroriste, « d’un effondrement économique imprévu, d’une interruption de fonctionnement de l’ordre politique et juridique national, d’une résistance civile déterminée ou d’une insurrection, d’urgences généralisées en matière de santé publique, de catastrophes naturelles et autres désastres humanitaires. »
Des rapports ultérieurs du ministère de l’Intérieur [(« Department of Homeland Security » ou DHS, NdT] établis pour identifier, surveiller et ficher les militants de droite, de gauche et les anciens combattants comme « extrémistes » (i.e. terroristes), se sont concrétisés en véritables programmes de surveillance préventive [« pre-crime » NdT] de ces catégories. Un peu moins d’une décennie plus tard, après avoir verrouillé la nation et dépensé des milliards pour combattre le terrorisme, le DHS a conclu que la plus grande menace ne venait pas de l’ISIS mais de l’extrémisme de droite national.
Chemin faisant, le gouvernement a amassé tout un arsenal d’armes militaires à usage interne, et il a équipé puis entraîné ses « troupes » pour la guerre. Même les institutions gouvernementales à fonctions largement administratives comme la Food and Drugs Administration, le ministère des Anciens combattants et le Smithsonian Institute se sont dotés de vêtements pare-balles et de casques anti-émeutes, de boucliers, de canons lance-grenades, d’armes à feu et de munitions. À vrai dire, il y a présentement 120.000 agents fédéraux équipés de ce genre d’armement, qui sont investis du pouvoir d’arrêter n’importe qui.
Couronnant cette campagne à but lucratif destinée à métamorphoser les citoyens américains en « ennemis combattants » (et l’Amérique en un champ de bataille), le secteur technologique, en collusion avec le gouvernement, a concouru à créer un Big Brother qui sait tout, qui voit tout et auquel nul ne peut échapper. Ce ne sont pas seulement les drones, les centres de regroupement de l’information, les radars, les lecteurs de plaques automobiles à distance, les appareils Stingray et la NSA dont vous ayez lieu de vous préoccuper. Vous êtes également suivis à la trace et espionnés par les boîtes noires de vos voitures, par vos téléphones cellulaires, par les appareils de toutes sortes introduits dans vos foyers, par vos cartes de fidélité chez les commerçants, par vos comptes sur les réseaux sociaux, par vos cartes de crédit, par les services de diffusion tels que Netflix ou Amazon et par vos comptes de lecteurs d’e-books.
Tout cela s’est mis en place sous notre nez, financé par nos dollars de contribuables, sans qu’il y ait eu le moindre tollé citoyen.
C’est incroyable à quel point nous avons facilité au gouvernement sa mise de la nation dans les fers. Nous sommes même allés jusqu’à nous acclimater au bouclage occasionnel d’immeubles gouvernementaux, à des exercices militaires de type Jade Helm dans des petites villes, en sorte que les forces spéciales du gouvernement puissent bénéficier d’un entraînement réaliste [« Live Active Shooter Drill » lisez in vivo, NdT] « en milieu hostile », autrement dit puissent s’entraîner au tir à balles réelles dans des écoles, des grandes surfaces et des transports publics, exercices qui sont capables de duper et qui dupent les fonctionnaires de police ordinaires, les étudiants, les enseignants et les témoins, en leur faisant croire qu’il s’agit de vraies crises imprévues.
Les événements des dernières années – la surveillance envahissante, les extrémismes, l’agitation sociale, les manifestations, les fusillades, les attentas à la bombe, les exercices militaires en milieu vivant, les systèmes d’alerte à codes de couleur et les évaluations de menaces, les centres de regroupement de l’information, la transformation des polices locales en extensions de l’armée, la distribution d’équipement militaire et d’armes aux forces de police locales, les banques de données du gouvernement regorgeant de noms de dissidents ou d’agitateurs potentiels, ont concouru à créer un environnement dans lequel « Nous le Peuple » sommes de plus en plus méfiants et effrayés les uns par les autres, et de plus en plus dépendants du gouvernement pour nous « maintenir en sécurité ».
Bien sûr, c’est justement là la question.
Le pouvoir veut que nous nous sentions vulnérables.
Il veut que nous ayons peur les uns des autres et que nous ne comptions que sur les flingueurs mercenaires du gouvernement pour nous protéger des terroristes, des extrémistes, des djihadistes, des psychopathes, etc.
Plus que tout, le pouvoir veut que nous nous sentions impuissants à nous protéger nous-mêmes, que nous soyons au contraire complètement dépendants de lui et reconnaissants de la douteuse protection fournie par l’état policier américain.
Et sa stratégie fonctionne.
L’arbre de la liberté est en train de mourir.
Il n’y aura pas de seconde Révolution américaine.
Il n’y a pas de place dans notre nation pour la sorte de révolution armée que nos ancêtres ont faite contre une Grande Bretagne tyrannique. Un tel acte serait futile et tragique. Car nous n’avons plus affaire aujourd’hui à un monarque éloigné mais à un tyran dont nous avons-nous-mêmes accouché : à une machine bureaucratique, militarisée, technologisée et lourdement financée qui s’est mise au-dessus des lois.
Le message que cette machine envoie à la population est clair : il n’y aura pas de révolte, armée ou non.
Quiconque croit pouvoir faire la guerre à l’état policier américain – et la gagner – n’a pas bien fait attention. Ceux qui usent de violence contre le gouvernement et contre leurs compatriotes, jouent le jeu du pouvoir. La violence ne peut pas et ne sera pas le remède aux maux dont souffre l’Amérique. Qu’elle soit déclenchée par le gouvernement ou par la population, la violence ne conduira qu’à davantage de violence. Peu importe votre puissance de feu, le gouvernement en a plus que vous.
Peu importe combien de temps vous croyez pouvoir tenir en faisant fond sur vos compétences en matière de survie, sur vos tactiques de guerrilla ou simplement sur vos couilles. Le gouvernement a assez de ressources pour tenir plus longtemps que vous, pour vous affamer à son aise, pour vous décimer à l’usure, pour se procurer de nouvelles armes quand vous n’en aurez plus et en fin de compte pour vous dominer.
Ce gouvernement de loups ne sera pas défait par la force.
Nous avons, pour notre malheur, mis beaucoup trop longtemps à nous rendre compte des manigances du pouvoir.
Nous n’avons pas prévu que « Nous le Peuple » deviendrions l’ennemi. Il y a des années que le gouvernement nous met en garde contre les dangers du terrorisme, tout en construisant des systèmes de surveillance pour contrôler ses propres citoyens, tout en créant des systèmes de classement qui fichent comme « extrémistes » ceux qui osent discuter le statu quo, tout en entraînant des services de répression pour faire un « terroriste intérieur » de quiconque ose avoir des opinions contraires à celles du pouvoir.
Ce que le pouvoir ne s’est pas donné la peine de nous faire savoir, à propos des terroristes intérieurs, c’est qu’il les fabriquerait lui-même, intentionnellement ou non.
En multipliant les guerres sans fin au loin, en rapatriant les instruments de la guerre sur le sol national, en transformant la police en une extension de l’armée, en faisant d’une société libre une société suspecte, en traitant les citoyens en ennemis combattants, en décourageant et en criminalisant la libre circulation des idées, en faisant de la violence sa carte de visite sous forme de raids de SWAT Teams et d’une police militarisée, en fomentant la division et les conflits dans la population, en accoutumant cette population aux images et aux sons de la guerre, et en rendant toute forme de révolution non-violente rigoureusement impossible, le pouvoir a généré un environnement au sein duquel la violence intérieure est devenue inévitable.
Ce que nous vivons aujourd’hui est une guerre civile, conçue et en partie déclenchée par le gouvernement des États-Unis.
L’issue de ce conflit est courue d’avance : l’état policier gagnera.
Son objectif : docilité et domination absolue.
La stratégie : déstabiliser l’économie par des guerres sans fin, faire monter les tensions raciales, diviser la population, exciter les tensions par des démonstrations de force, intensifier l’usage de la violence, et alors, quand l’enfer enfin se déchaîne, réprimer à mort pour le bien du peuple et la sécurité de la nation.
Où tout cela nous mène-t-il ?
En dépit du fait que des communautés, d’un bout du pays à l’autre, sont prises en otages par un gouvernement armé jusqu’aux dents qui est plus que décidé à user de la force pour « maintenir l’ordre », la plupart des Américains n’ont pas l’air de s’inquiéter outre-mesure. Pire : nous sommes devenus si fragmentés en tant que nation, si hostiles envers ceux avec qui nous pourrions ne pas être d’accord, si méfiants envers ceux qui sont différents de nous, qu’il est incroyablement facile de nous diviser pour nous mater.
Nous avons été désensibilisés à la violence, habitués à la présence militaire permanente dans nos communautés et persuadés qu’il n’y a rien que nous puissions faire pour dévier la trajectoire apparemment sans espoir de la nation. De cette façon, l’économie chancelante, le retour de flamme de nos occupations militaires à l’étranger, les fusillades policières, nos infrastructures en pleine détérioration et toutes les autres causes de préoccupation sont devenus des non-questions pour une population facile à amuser, à distraire et à tenir en laisse.
La vue de policiers en vêtements pare-balles et masques à gaz, brandissant des armes semi-automatiques et escortant des véhicules blindés dans des rues pleines de monde, chose qu’on peut qualifier de « patrouille militaire en milieu étranger hostile » ne provoque plus aucun réflexe d’alarme dans une foule parfaitement domptée.
Nous sommes en train de devenir à grande vitesse la descendance anémique, faible et pathétiquement édulcorée de nos ancêtres révolutionnaires, incapable de mener à bien un soulèvement national contre un régime tyrannique.
S’il doit y avoir le moindre espoir de nous réapproprier le gouvernement de notre pays et de restaurer nos libertés, cela ne pourra venir que d’un genre de coup d’État très différent : non-violent, stratégique et en provenance de la base, s’écoulant pour ainsi dire goutte à goutte de bas en haut. Ces sortes de révolutions sont lentes et minutieuses. Elles sont politiques, du moins en partie, mais non par le truchement de partis et de politiciens établis.
Plus que tout, comme je le dis dans mon livre Amérique champ de bataille – La guerre au peuple américain : pour qu’elle ait une chance de succès, une révolution de ce genre exige beaucoup plus qu’un changement de politique : elle exige un changement de cœur de la part du peuple américain, un réveil de l’esprit américain, et une population qui tienne plus à ses libertés qu’à ses jeux virtuels.
John W. Whitehead – ICH – 29 juillet 2016
Né en 1946 dans le Tennessee et docteur en droit issu de l’Université d’Arkansas en 1974, John W. WHITEHEAD est aussi un auteur, qui a beaucoup écrit, débattu et pratiqué dans le domaine des lois constitutionnelles et dans celui des droits de l’homme. Son intérêt pour les persécutés et les opprimés l’a incité, en 1982, à créer l’Institut Rutherford, une organisation à but non lucratif consacrée aux droits humains et aux libertés civiles, dont le siège se trouve à Charlottesville, Virginie.
Whitehead y remplit les fonctions de président et de porte-parole, et il y tient en outre une chronique hebdomadaire, qui est mise en ligne sur le site de l’Institut www.rutherford.org
En 1997, il s’est fait connaître internationalement en défendant Paula Jones, dans l’affaire de harcèlement sexuel qui l’opposait au président William Clinton. Son adresse de contact : johnw@rutherford.org.
Article original : http://www.informationclearinghouse.info/article45180.htm