Imam Khomeini Street in central Tehran, Iran, 2012. Credit: Shutterstock/Mansoreh


Savoir d’où l’on vient… pour savoir faire la part des choses

Un récit rédigé en 2012 


Par  Andrea Duffour, professeur

« Qu’est-ce que tu veux aller faire en Iran ? »

Dans un monde dominé par la prolifération et les menaces de guerres envers les peuples des pays non-alignés, par la manipulation grossière de l’information (1) – guerre faite aux peuples des pays alignés – et par la récupération et le contrôle des mouvements de résistance des peuples de tous les deux, il ne reste qu’une chose à faire : aller voir soi-même sur place.

L’occasion se présente un beau matin dans une agence de voyage où, en passant, je me renseigne sur les prix d’avion pour l’Iran : on me propose un vol Zurich-Istanbul-Téhéran pour le mois d’août pour un peu plus de 400 euros. Un coup de fil à l’ambassade d’Iran plus tard, me voilà rassurée : une voix très sympathique me confirme que je peux acheter ce billet sans souci et – autre bonne nouvelle – que je peux sans problème m’y rendre en sandales (la seule chose qui m’inquiétait vraiment). Effectivement, je reçois mon visa sans encombre.

A la question « Qu’est-ce que tu veux aller faire en Iran ? » j’ai souvent répondu simplement : « Quand les médias disent une chose, il m’arrive de penser le contraire… » Bien sûr, il y a eu d’autres éléments qui m’ont donné envie d’aller connaître ce pays, entre autres le fait que l’Iran sera à la tête du Mouvement des pays non-alignés pour ces prochaines années et reçoit en ce mois d’août les représentants des 120 états membres, qui représentent 55% de la population mondiale, et qui se réunissent tous depuis leur création avec ce besoin d’autodétermination en commun. Ce qui me rapprochait aussi du peuple iranien était le fait que son gouvernement actuel a toujours soutenu la cause du peuple palestinien.

Pour la suite (j’exagère un peu, mais pas trop), et en sous-titrant les mises-en garde de certaines personnes de mon entourage, tout le monde ne semble pas du même avis…

« Tu ne pourras pas voyager sans l’autorisation de ton mari »

Partir légère, sans plan, sans adresse, sans téléphone, sans contacts, a toujours été ma façon préférée pour découvrir un pays. Je m’imaginais un peuple très hospitalier et ouvert – et je n’ai pas été déçue. Je profite du vol pour apprendre à prononcer quelques mots et à compter en farsi. Montrer une photo de famille (avec mon mari et mes 4 ados qui sont restés en Suisse) est un bon moyen pour entrer en communication avec des femmes de mon âge qui ne parlent pas l’anglais. Pour trouver un cyber-café, une gare ou un bureau, je me fais écrire les indications en farsi sur un bout de papier, car je ne peux pas lire les enseignes… Je me fais souvent aborder, en priorité par des jeunes entre 20 et 28 ans qui m’offrent spontanément leur aide sans jamais s’imposer, soit pour me montrer leur grande richesse en biens culturels ou soit parce qu’ils ont tout simplement envie de pratiquer leur anglais. Souvent, en partant, ils me laissaient leur numéro de téléphone : « si tu as des problèmes de traduction, appelle-moi, je ferai l’interprète ». C’est un service que je n’ai évidemment jamais eu besoin d’utiliser parce que je faisais partout de nouvelles rencontres.

Après quelques jours, j’avais expérimenté tous les moyens de locomotion possibles : moto-taxi improvisé, bus public, métro (espace femmes ou espace mixte), taxi collectif et train. Le premier taxi, de l’aéroport de Téhéran au centre-ville à 4h du matin, m’a coûté plus cher que le train de nuit entre Yazd et Kerman et le bus de nuit VIP entre Kerman et Shiraz réunis. Le prix du pétrole est effectivement assez cher pour le transport individuel (700 tuman/7000 rials le litre), ce qui revient à env. 20 dollars les 500 km, alors qu’en bus, le même trajet ne coûte que 5 US dollars (août 2012). Je n’ai croisé qu’une douzaine de touristes européens au cours de ces 3 semaines. Il parait que le tourisme a beaucoup baissé depuis les derniers 4 ou 5 ans.

« Tu ne pourras pas aller dans un hôtel toute seule »

Je n’ai fait que deux fois une demande de logement via le site de couchsurfing, qui m’est familier et qui fonctionne aussi très bien en Iran, même si ce n’est pas vu d’un bon œil du côté du gouvernement qui préfère que les gens logent dans des hôtels payants. Sinon, je me fais souvent inviter spontanément par des rencontres du jour.

Le fait de voyager léger et de ne rien réserver à l’avance me permet d’accepter ces invitations. Si je choisis de loger dans une auberge, il arrive que le réceptionniste lui-même m’invite à venir dans sa famille pour un repas ou même pour y dormir. Je peux me permettre d’arriver en pleine nuit dans certaines villes, en me sentant plus en sécurité qu’en Suisse car, au pire, il me resterait toujours la possibilité de m’allonger en plein centre-ville dans un parc public aux côtés de ces familles de touristes iraniens qui y plantent leurs tentes en toute légalité.

C’est donc le pays pour voyager en tant que femme seule, avec une hospitalité non calculée inédite, et protégée par l’islam des avances de la gente masculine.

« Tu ne pourras pas boire de l’alcool »

C’est vrai. Comme dans tous les pays musulmans, l’idée de boire de l’alcool ne me traverse pas l’esprit ici – même à moi, qui adore le vin ! Arrivée presque au début du ramadan, j’ai côtoyé beaucoup de musulmans pratiquants, jeunes et moins jeunes. Tous les cafés et restaurants sont fermés durant la journée et il faudra dénicher des vitrines couvertes de journaux ou entrer dans des petits magasins afin de s’approvisionner de quelque chose de comestible avant le coucher du soleil. Dans ce contexte, et peut-être à cause de la température, l’idée de manger ne me traverse étonnement pratiquement jamais l’esprit. J’ai quelques noix dans mon sac et je bois de l’eau aux robinets. J’ai toujours quelque chose de plus passionnante à faire que de penser à manger et encore moins à boire de l’alcool. D’ailleurs, mes 4 semaines de séjour me paraîtront deux fois plus longues car je ne dors que peu, n’étant pas fatiguée – est-ce un effet de l’abstinence ? – et discute souvent jusqu’à 4h du matin avec mes interlocuteurs pour prendre directement le safar (petit déjeuner avant l’aube). Deux fois, il m’arrive de jeûner complètement, c’est-à-dire sans boire de l’eau, en solidarité avec la personne avec laquelle je me trouvais, malgré leur insistance que je n’y étais pas obligée – juste pour faire l’expérience. Ce n’était finalement pas une bonne idée car les deux fois, j’ai eu mal à la tête pendant 2 heures vers la fin de journée. Par contre, je peux désormais compatir et repérer les pratiquants d’après leur regard et la façon qu’ils ont de se mouiller la bouche sans boire.

Islam

Il y a beaucoup de passages du Coran qui ressemblent à la Bible, avec la différence que les musulmans ne croient pas que Jésus soit le fils de Dieu mais simplement un de ses prophètes car, pour eux, le concept de la trinité correspondrait à une forme de polythéisme. Ils ne croient pas non plus au péché originel dont le sacrifice de Jésus sur la croix serait la rédemption. Ils croient à la responsabilité de chacun, selon ses actes.

Vie religieuse – vie profane

Les règles religieuses qui concernent la vie quotidienne et qui dans un monde non islamique sont souvent considérées comme désagréables ou imposées par la force ou restrictives, ne paraissent pas être ressenties par les pratiquants comme négatives ni comme des limitations à leurs libertés. La vie religieuse ou spirituelle et la vie des plaisirs matériels ont l’air de faire bon ménage. Ceux qui ne pratiquent pas le jeûne le font discrètement par égard aux autres. Souvent, les musulmans expliquent que les règles du Coran sont très logiques et adaptées à une vie saine, comme par exemple le fait de ne pas boire de l’alcool, de ne pas manger du porc, de se laver avant chaque prière, etc.

« Qu’est-ce que tu vas faire chez les musulmans pendant le ramadan ? »

Les repas après le coucher du soleil sont de grands moments de joie de vivre. Le ramadan se termine par le ‘Id al-Fitr, fêté en famille.

D’ailleurs, les iraniens ne souffrent pas de stress et emportent souvent leur grand tapis persan dans le coffre de leur voiture pour s’arrêter sous un arbre aux heures chaudes pour faire une sieste, boire du thé, manger des raisins ou fumer le narguilé. Les journées de voyage sont exemptées du jeûne, mais doivent être rattrapées avant le prochain ramadan.

Les chiites

En Iran, c’est le chiisme qui est majoritaire, contrairement aux autres pays islamiques, mais jamais, je n’ai entendu des propos négatifs contre les sunnites ou contre les chrétiens.

L’imam est un érudit qui connaît les lois, chez les chiites, avec un ayatollah à leur tête. « L’Imam Khomeini a reçu le titre d’iman honoraire après son décès. Il fut un Guide, un père, un enseignant, un espoir et le bien-aimé de la nation iranienne, il symbolisait l’espoir de tous les opprimés du monde, particulièrement parmi les musulmans », m’explique le guide dans le modeste Khomeiny house à Qom et m’offre le livre Governance of the jurist:  Islamic government, une compilation des écrits de Khomeini où il argumente sur la nécessité de former un gouvernement islamique dans lequel tous les problèmes sociétales sont déjà réglementés. Ainsi, la république islamique fut instaurée en 1979 par un référendum.

Aujourd’hui, ils sont nombreux à reprocher à leur président, Ahmadinejad, de ne pas être assez diplomatique avec les pays impérialistes et d’ainsi ramasser des sanctions économiques. Beaucoup voient en lui la cause de la montée des prix. Aussi, ils se plaignent que le pétrole est trop cher, contrairement aux promesses faites par le gouvernement. Il y a aussi beaucoup d’Iraniens qui considèrent que la religion ne devrait pas être mêlée à la politique, que la pratique du ramadan et d’autres pratiques religieuses sont des bonnes choses en soi, mais ne devraient pas être plus ou moins imposées par leur gouvernement. Idem pour le code vestimentaire.

« Tu devras porter le voile »

Eh ben, oui ! Alors que beaucoup de femmes n’ont pas du tout envie de se séparer de leur foulard décoratif, elles trouvent que cela devrait être leur libre choix. De l’autre côté, elles sont contentes que leur mari ne puisse pas voir les jambes d’autres jeunes femmes. Elles se sentent plus protégées ainsi, car elles pensent que les hommes ont toujours des désirs. Pour ma part, la chaleur du mois d’août m’est bien plus agréable en manches longues. Je me suis aussi vite habituée au foulard, même si je m’en serais passé parfois, et je suis généralement invitée à me mettre à l’aise dès que j’entre dans une maison. Le rosari (foulard) se porte partout par toutes les femmes, les cheveux dépassent plus ou moins selon l’âge ou selon la région (ville ou campagne), le maqnei (voile plus formel qui ressemble un peu au voile de nos religieuses) est porté par les fonctionnaires, sur certains lieux de travail, à la télé, etc., et a l’avantage de ne pas devoir être remis en place régulièrement. Souvent, des femmes âgées se voilent en plus avec le djador complet qui, pour les autres, n’est obligatoire que dans certaines mosquées où il peut être emprunté à l’entrée, et certaines personnes âgées tiennent en permanence un bout du voile dans la bouche pour cacher la moitié de leur visage. A la maison ou entre elles, les femmes se mettent à l’aise, et j’en ai même vu venir faire la sieste dans la partie des femmes des mosquées où, après la dernière prière du soir, un petit casse-croûte (iftar) est distribué à tout le monde. L’hygiène est un autre point où la vie religieuse et la vie profane se retrouvent, et c’est toujours un plaisir de trouver un hamman publique pour se faire un gommage hebdomadaire, même si la plupart des femmes le font chez elles à la maison. J’ai aussi croisé de nombreuses iraniennes qui apparemment venaient d’effectuer une chirurgie plastique pour montrer un nez parfait, une pratique apparemment assez répandue.

« En Iran, on ne respecte pas les femmes »

Je n’ai pas eu cette impression. Par contre, mes interlocutrices étaient choquées quand je leur ai dit que chez nous, une femme gagne souvent 20 à 25 % de moins pour le même travail effectué par un homme. Elles sont très bien représentées dans tous les domaines, les places dans les garderies sont faciles à obtenir et je n’ai jamais entendu un homme siffler derrière une femme ou vu un client taper une serveuse sur son derrière. J’ai rencontré un très grand nombre de femmes ingénieurs, médecins, avocates, journalistes, etc. Il parait qu’elles représentent plus de 60% à l’université. Ayant entendu à mon retour de voyage que l’Iran comptait à nouveau fermer l’accès aux femmes à certains branches, j’ai posé la question à une de mes nouvelles connaissances par mail. Voici sa réponse (pas tout à fait convaincante à mon avis) : « Oui, j’ai aussi entendu qu’il y aura certaines branches où les hommes auront priorité. Le fait d’avoir plus de femmes que d’hommes à l’Université est effectivement devenu un problème et on aura beaucoup d’hommes au chômage, ce qui peut devenir un danger pour tout le monde. Malgré le fait que les filles sont d’excellentes étudiantes, il y a certains emplois qui se prêtent mieux aux hommes. Par contre, il n’y aura aucune limitation d’accès des femmes à l’université. Mais, je pense que ce déséquilibre en faveur des femmes en Iran doit être un peu corrigé, ce qui sera mieux pour tout le pays. »

« Tu vas être prise pour une espionne européenne »

Suivi de « Prends avec toi l’adresse de l’ambassade Suisse« , le deuxième n’allant pourtant pas très bien avec le premier, alors que l’ambassade Suisse fait aussi office de représentation des intérêts des Etats-Unis et que la Suisse venait d’offrir de l’argent à l’opposition syrienne peu avant mon départ… Bon, je n’ai pas suivi ce conseil non plus, et les fonctionnaires me font une bonne impression. D’abord les douaniers qui m’accueillent avec un « Welcome in Iran  », puis des policiers iraniens qui m’aident à attraper un bus entre deux villes et m’offrent de l’eau en plein ramadan, tout en s’excusant qu’elle n’est pas assez fraîche et finalement à ma deuxième sortie définitive (en revenant en transit à l’aéroport de Téhéran, après une petite virée improvisée en Arménie et en Géorgie. Je suis obligée de leur demander de m’organiser une carte d’embarquement à l’extérieur, car je n’ai plus de visa, ce qu’ils font pour moi en pleine nuit).

Toutefois, j’ai été surveillée lors de la grande manifestation à Quods et qui a lieu chaque dernier vendredi du ramadan en soutien à la Palestine pour dénoncer l’ingérence des impérialistes et des sionistes. Alors que j’étais en train de parler avec un Japonais équipé d’une énorme caméra, deux policiers en civil m’ont demandé gentiment de leur montrer mes photos prises pendant la manifestation. Ils m’ont rassuré que je ne devais pas avoir peur d’eux et que c’était juste un jour très sensible pour eux et qu’ils ne souhaitent pas que nos médias diffusent n’importe quoi. Je les ai rassurés de mon côté qu’eux non plus, ne doivent pas avoir peur de moi et on a bien rigolé ensemble. Toutes mes photos ont passées la censure.

« Tu vas ramasser une bombe israélienne »

Nous savons tous que le refus d’Israël de signer le traité de non-prolifération des armes nucléaires est un sérieux obstacle à la paix mondiale, tout comme ses déclarations belligérantes et odieuses envers ce peuple pacifique. Le silence consentant de l’Europe n’y aide pas non plus.

Les réponses de mes interlocuteurs par rapport à leur évaluation d’une éventuelle agression par Israël se résument à peu près ainsi : Nous entendons ces discours et ces menaces depuis 30 ans. Nous sommes un peuple très paisible. Utiliser la bombe atomique est contre notre religion. Nous n’avons jamais attaqué personne, mais nous saurons très bien nous défendre. Nous avons le droit de faire des recherches dans l’énergie nucléaire civile. Israël possède 200 ogives. Personne ne s’indigne. Nous avons aussi des missiles d’une portée de plus de 2600 km. Le petit Israël n’aura jamais les moyens pour nous attaquer tout seul, cela serait suicidaire de leur part, mais ils en sont capables. Ce serait la plus grosse erreur de leur histoire. S’ils le font avec l’aide des USA, ce sera le déclenchement de la dernière guerre mondiale. Ici, nous vivons tranquillement et personne ne pense à une guerre….

Ces réponses correspondent aux discours de l’Ayatollah Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique qui a succédé à Khomeini, et que l’on peut souvent voir à la télévision durant ce mois de ramadan. Bien-sûr, que je ne comprends pas ce qu’il dit mais voici ce que j’ai trouvé sur le net :

Dans un des sermons de la prière de l’Aïd-ul-Fitr :

« La République islamique d’Iran considère l’utilisation des armes nucléaires, chimiques et à destruction massive comme un péché impardonnable. Nous avons proposé le slogan « Un Moyen-Orient sans armes nucléaires » que nous respectons. Cela ne veut pas dire que nous sommes prêts à renoncer à l’énergie nucléaire pacifique et à la production de combustible. Conformément aux accords internationaux, l’utilisation de l’énergie nucléaire pacifique est un droit pour tous les pays. » (3)

Une guerre massive de 8 ans fut imposée à ce peuple paisible par Saddam Hussein, soutenu par le bloc occidental et oriental. L’Iran a ainsi perdu beaucoup de ses hommes, ce qui baisse considérablement la moyenne d’âge et explique peut-être entre autres, pourquoi en Iran on peut prendre sa retraite après 20 à 30 ans de vie active, et non pas après 42 ans comme chez nous en Suisse.

Sous blocus depuis 30 ans, une partie du peuple reproche à son gouvernement être à l’origine de la hausse des prix (le pain par exemple a augmenté de 100 à 500 rials (25ct) en 2 ans). « Si notre président était un peu plus diplomatique avec les pays de l’Ouest, on n’aurait pas toutes ces sanctions ». Aussi la phrase « On n’a pas le droit de critiquer », que j’ai entendue trois fois, prononcée à voix haute (!) dans des transports en commun.

« Pourtant, tu viens de le faire… », j’ai répondu.

Depuis l’instauration de la république islamique, les Iraniens sont allés une trentaine de fois aux urnes. Le 12 juin 2009, avec 85% de participation, sous la vigilance du monde entier, ils ont voté pour Ahmadinejad, issu du peuple. Moussavi, soutenu depuis l’étranger, a réclamé de nouvelles élections et il y a eu des manifestations violentes, soutenues aussi par l’étranger. Le budget consacré à la déstabilisation de la révolution iranienne de 400 millions de US$ par an a dû être augmenté cette année-là (2009). (Étant membre de l’association Suisse-Cuba depuis vingt ans, je connais la même politique appliquée à un tout petit pays nommé Cuba). Mais pour ces élections, plus de 2600 points d’inspection dans plus de 145 lieux choisis par les inspecteurs eux-mêmes n’ont apparemment pas suffi. Pourquoi ne peut-on pas laisser à ce pays sa souveraineté ? Pourquoi toute cette désinformation ?

Que quelqu’un puisse déclencher une guerre contre un peuple si paisible m’est tout simplement impensable. Oui, je sais, je suis naïve : ce ne sont jamais les peuples qui veulent la guerre mais leurs gouvernements. Seulement voilà : chez nous, ces derniers ne se gênent pas pour la réclamer haut et fort, ce qui n’est pas du tout le cas en Iran. (2)

De retour dans mon pays, les mass-médias continuent à propager les propos belliqueux des pays impérialistes, de mettre de l’huile sur le feu de la guerre en cours en Syrie et d’analyser le Moyen Orient dont ils ne comprennent pas grand-chose. Les spécialistes analystes du Moyen Orient prolifèrent dans nos médias pour attiser la haine contre l’Islam : tous les moyens sont bons pour justifier une guerre contre des peuples innocents. La commémoration du massacre des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila n’est pas un thème pour eux et la parole est donnée uniquement aux opposants, rarement aux concernés.

La population iranienne, contrairement à certains européens, connaît aussi les atrocités commises par une partie de l’opposition syrienne et leur financement depuis extérieur. Pour eux, la Syrie représente un allié important, ensemble avec le Liban et la Palestine.

Je n’ai pas osé aller en Syrie mais, par contre, je vous propose un résumé de lettres de Syriens vivant en Syrie que j’ai pu interviewer. (4)

Andrea Duffour, Octobre 2012, Fribourg

(1) On n’a pas toujours l’occasion d’aller voir sur place, mais on peut toujours faire des recherches sur un auteur avant de lire son article… Envie de passer une nuit blanche ? Il suffit de chercher dans google ou dans Youtube dans toutes les langues que tu connais, avec tes propres mots clefs, comme par exemple désinformation – média-mensonge- faux reportage – manipulation de l’info- stratégie du choc, stratégie du chaos + Syrie, Iran, Venezuela, Cuba, etc. Envie de te faire ta propre idée sur un « dictateur »? L’important est de toujours chercher ses discours ou des textes écrits PAR lui et non pas SUR lui.

(2) voir aussi le clip Youtube intitulé « ni Israël, ni rayé, ni carte » dénonçant une fois de plus le média-mensonge Ni Israel, ni rayé ni carte, la traduction littérale étant : « que ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps. »

(3) sermons de la prière de l’Aïd-ul-fitr.  Discours intégraux de Khamenei en français.

(4) Lettres depuis la Syrie, voir article qui suit.

*****

LETTRES DE SYRIE (2012)

Par Andrea Duffour

Étant choquée par la désinformation qui circule autour de l’Iran et de la récupération des mouvements de résistance1 en Syrie, je me suis décidée d’aller voir par moi-même sur place. Un voyage en Iran cet été (2012), ainsi qu’un échange épistolaire commencé au début octobre avec une vingtaine de Syriens que j’ai choisi au hasard sur un réseau social (couchsurfing), pour leur demander leur analyse personnelle de la situation sur place m’ont permis de me forger ma propre opinion.

Inutile de dire, que de me rendre en Iran – malgré les découragements de mon entourage, car voyageant seule, en plein Ramadan, sans aucune connaissance ni réservation sur place – a été sans doute l’une des plus belles et riches expériences que j’ai faite2, et je suis convaincue que ce peuple hospitalier, pacifique et instruit n’entamera jamais une guerre, mais saura très bien se défendre en cas d’attaque. Même s’ils sont nombreux à critiquer le côté non diplomatique de leur gouvernement qui, selon beaucoup d’entre eux, représente la cause des sanctions internationales et de la hausse des prix, leur cœur bat aussi pour leurs peuples frères, notamment les Palestiniens et les Syriens.

C’est à ces derniers que j’aimerais maintenant sans tarder donner la parole, en choisissant un interlocuteur pour chaque type de réponses (mises en évidence par l’auteure) :


Réponse depuis LATAKIA (3 oct. 2012)

Je ne peux pas répondre à toutes tes questions, car je ne suis pas très intéressé à la politique. Personne ne sait ce qui se passe vraiment. Il y a beaucoup de mensonges qui circulent.  Disons que la vie est normale ici à Latakia, je vais au boulot tous les jours et je vois mes amis après le travail ou les w-e. Si tu passes en Syrie, tu seras la bienvenue à Latakia et je peux te faire visiter la ville ou t’aider, si tu en as besoin. 

Hasan* from Latakia, Syria   (et 6 autres réponses dans le même style, dont 3 qui me conseillent de ne pas venir en Syrie en ce moment)


Réponse depuis ALEP (4 oct. 2012)

 (..) Je viens d’arriver en Turquie depuis Alep, le point le plus chaud en batailles et violences. Je ne suis toujours pas installé ici à Gaziantep et je suis préoccupé pour ma famille qui ne pouvait pas me rejoindre parce qu’elle n’avait pas de passeports. J’espère pouvoir vous écrire plus quand on sera installé et que j’aurai trouvé un travail. Merci, aussi pour la chaleur humaine et la préoccupation que vous démontrez envers mon peuple.

Tarik* de Alep, Syria  (ainsi qu’un deuxième interlocuteur qui est en train de partir pour la Turquie et un autre qui a quitté pour les USA)


Réponse depuis DAMAS (7 et 9 oct. 2012)

 Mon meilleur ami est mort, il a été tué par un sniper dans son appartement. Il avait préparé une rencontre entre des étudiants pro-régime et des étudiants opposants. Le père d’un autre ami a été kidnappé et personne ne sait où il se trouve. Beaucoup de personnes innocentes sont mortes, des milliers de maisons brulée. Combien de morts le monde aura-il encore besoin avant d’agir ? C’est une guerre pour prendre le contrôle sur la Syrie et nous, le peuple, sommes les victimes. On continuera à saigner et à mourir jusqu’à ce que le monde décide s’il veut nous sauver ou nous laisser dans un futur obscur.

Wael* de Damas, Syrie (et 2 autres dans le même style, notamment celui qui est parti aux USA)


Analyse extensive depuis LATAKIA (3 et 7 oct)

 Chère Andrea, je ne suis pas très actif sur [ce réseau], mais je pense pouvoir vous aider dans vos recherches. Quoi qu’il en soit, Latakia, dans sa majorité, est pro-régime, puis viennent les neutres, et puis vous avez la masse presque silencieuse des opposants (la plupart d’entre eux ont un background islamique). 

Ici à Latakia, nous n’avons pas (encore) souffert comme à Homs ou Alep, mais la situation peut s’envenimer à n’importe quel moment (…) Dans les forêts autour, il y a beaucoup de batailles entre les forces du gouvernement et « les rebelles ».

Voici mon analyse succincte des deux côtés de la Syrie (analyse simplifiée, bien sûr) :



A) Les Pro-Régimes : 

1-Les éléments positifs : Des bons citoyens, « clean » en général, ils croient en Bachar Al- Assad. Ils ne croient pas que les forces de sécurité puissent commettre des crimes contre les citoyens, et ils ne peuvent pas voir les choses positives émanant de l’opposition. Ils croient que ce qui se passe aujourd’hui est un simple résultat d’un complot, et qu’il n’a pas de raisons internes.  



2 – Les simples citoyens : Ils soutiennent le président et son régime (à mon avis, le régime est le régime de son père) parce que le groupe (une espèce de clan ou famille) auquel ils appartiennent le soutiennent. 



3 – Les corrompus : Ce sont les seuls responsables de toutes les atrocités et des crimes commis par le « régime » et ils forment une masse énorme dans le « régime ». Certains d’entre eux soutiennent le « régime » pour maintenir leurs privilèges, tandis que d’autres ont pris la décision rejoindre la « Révolution » quand ils ont senti que le « régime » devait bientôt s’effondrer.

B). L’opposition : 



1 – Les opposants positifs : Ce sont ceux qui ont toujours été debout contre la corruption, l’oppression et l’injustice commises par le « régime ». Certains d’entre eux étaient des prisonniers politiques ou activistes auparavant. Ils rêvent d’un meilleur pays où il n’existe pas de monopole du pouvoir, d’injustice, de corruption et de terreur. 



2 – Les simples citoyens : Ce sont ceux qui se dressaient contre le « régime » parce que les groupes auxquels ils appartiennent (clan, famille) l’ont combattu. Ceci peut être attribué à des injustices dont certains individus ont souffert sous le « régime ». Ensuite, des personnalités influentes de ces groupes ont motivé les foules à se battre contre le statu quo, suite à la souffrance de ces individus. 



3 – Les personnes d’origine musulmane : Ils varient entre les simples citoyens et les fanatiques. Les fanatiques luttent contre le « régime », car ils pensent que c’est un « régime infidèle » qui devrait être détruit afin de mettre en place un régime islamique. Ils profitent de la situation actuelle pour faire avancer leur cause. Ils forment la majorité de l’opposition armée pour le moment. Cela signifie que la plupart des « rebelles armés » sont des islamistes ou ont ce background en général. Bien sûr, il est à noter qu’une énorme masse des « rebelles » armés ne sont pas du tout syriens.  



C. Autres facteurs

Certaines parties externes, comme certains États du Golfe, les Etats-Unis, ou encore le gouvernement turc ont tenté de profiter de la situation pour leur propre bénéfice, ce qui a aggravé la situation. Ils ont fourni des armes aux « rebelles » et les ont motivés à lutter contre le gouvernement, ce qui est une raison importante pour laquelle certaines villes sont devenues des champs de batailles réels, parce que dans beaucoup de ces endroits, ce n’étaient PAS les forces gouvernementales qui ont commencé la lutte (comme à Al Haffa, ville de Latakia, la bataille a été lancée par les « rebelles »). À mon avis, l’armement de la « Révolution » n’apportera rien de bon aux Syriens, cela ne fera qu’ouvrir que plus large la « Porte du Diable ». 



Pour résumer, il y a éléments radicaux des deux côtés et il existe de l’incompréhension entre les forces positives des deux côtés, c’est- à-dire, les « pro-régimes » paisibles ne voient que les éléments radicaux du coté de « l’opposition » et les opposants paisibles ne voient que les éléments négatifs des pro-régimes. Les forces positives des deux côtés n’arrivent pas à se mettre ensemble pour maintenir la paix.  *

Tamman de Latakia, Syria


Re-bonjour, 

Merci pour votre réponse et pour expliquer de quelle manière pensent les gens en Europe concernant la Syrie.  Comme je m’y attendais, la première catégorie que vous avez mentionnée (ceux qui pensent que l’opposition est de 100% clean) est la plus importante, à part ceux qui ne se soucient pas du tout de nous.  

Si vous me le demandez, je crois que je m’intègre le mieux dans la catégorie du milieu en Syrie. Ici, on nous appelle la « face grise » parce que nous n’avons rejoint aucun des deux opinions dominantes « noir » ou « blanc ». 

Quoi qu’il en soit, j’ai l’habitude de ne pas parler de la question car généralement, cela ne génère que des problèmes, Nous avons une sorte de « Spasma mentale », si on peut appeler cela ainsi. Il est difficile pour la plupart des gens d’accepter ce que les autres pensent. –

C’était mon analyse personnelle, oui, et s’il vous plaît, n’hésitez pas à me citer, mais je préfère ne pas parler en mentionnant mon vrai nom. 

– Pour les guillemets, oui vous avez raison, cela signifie que je veux dire « soi-disant » car ce n’est pas la façon dont je voudrais vraiment l’appeler. 

– Je suis d’accord sur les facteurs externes que vous avez mentionnés. En fait, si l’Etat de la Syrie (non seulement le régime) tombait entre les mains de l’  «ouest » (vous savez, je veux dire «l’Occident» politiquement), ceci changerait la donne. C’est pourquoi l’actuel « régime » – quelle que soit sa relation avec son peuple – est censé de tomber pour que l’OTAN, les sionistes et certains dirigeants du Golfe, etc., puissent mettre les mains dessus contre l’Iran, la Chine, la Russie, et les pays BRIC.  Je suis d’accord avec vous, il a des dimensions internationales et mondiales, non seulement nationales. 



– Troisième guerre mondiale ! C’est ce qui me fait vraiment peur, la région est très sensible pour la paix internationale. En fait, je pense que vous êtes d’accord qu’une guerre régionale peut prendre un caractère international. Surtout quand personne ne veut céder afin de maintenir la paix. Je crains que la prophétie de 2012 (je n’y crois pas) pourrait commencer en Syrie, à moins que quelque chose d’inattendu se produise.  Si l’Occident attaque l’Iran, les Iraniens vont attaquer le Golfe et Israël, et la boîte de Pandore sera ouverte.

– Comment nous aider depuis l’Europe ? Je pense que le meilleur moyen est d’étendre la sensibilisation sur les différentes facettes de la situation syrienne, et sur ses complications internationales et les effets sur l’équilibre et la paix mondiale, expliquer qu’il n’y a pas un régime ou une opposition « blanc ou noir » – Cette idée est vraiment dangereuse pour tout le monde, et il faut penser à toutes ces dimensions avant d’agir ou s’y associer.

* Tamman de Latakia  – Syrie


Et voici une voix qui dit à peu près le contraire :


Une autre réponse depuis Damas (9 oct 2012)

Chère sœur : tout d’abord, merci pour ton attention à notre problème. Avant de t’expliquer ce qui arrive à notre patrie chérie, j’aimerais te dire que je ne suis ni de l’un ni de l’autre côté, parce que les deux vont sur le faux chemin. Ils sont les deux trop fixés sur leur position : le président ne quittera pas sa fonction et l’opposition ne lâchera pas avant qu’il ne quitte. Je peux pourtant constater que des endroits qui sont contrôlés par l’armée libre souffrent moins de la hausse des prix alors que là où le gouvernement a le contrôle, elle se poursuit sans que personne n’y fasse rien. (…) Ma famille habite à Altabkaa en Alrkaa, une bouteille de gaz lui revenait à 1500 s.p. alors que le prix du gouvernement est de 400 s.p, tout a augmenté sauf le pain, et l’hiver est devant la porte… Je pense que vous êtes du bon côté, du côté de ceux qui n’aimeraient pas entrer dans une guerre civile. L’armée libre est faite par des officiers qui n’acceptent pas d’être impliqués dans des tueries de manifestants, ils ont déserté, puis instauré ce qu’on appelle l’armée libre. C’est eux maintenant les responsables qui défendent les civils et les manifestants. Je ne pense pas qu’il y ait des étrangers dans l’armée civile, mais je suis sûre qu’il y a des étrangers dans l’armée du gouvernement comme en Iran et au Liban. Si je vous disais comment l’armée libre a obtenu au début leurs armes, vous allez rire : ils les ont achetés à l’armée syrienne, puis ont volé des magasins d’armes.  Je ne pense pas qu’ils reçoivent des armes depuis l’étranger.

Zaid* from Damascus, 9th of October


Réponse depuis Alep, (12 oct 2012)

J’habite à Nubiie Alzahra, une petite ville à 21 km d’Alep, avec une population de 60000 habitants, dont la plupart font partie de la minorité shiite. Les rebelles (Free Syrian Army) ont considéré tous les habitants comme des défendeurs du gouvernement et ont commencé un siège injuste envers toute la population pendant plus de 3 mois. Personne ne peut entrer ni sortir sans être kidnappé ou tué, plus de 200 personnes ont ainsi été kidnappé et personne ne sait ce qu’elles sont devenues, il manque tous les produits de base depuis 3 mois, en un mot, ma ville est devenue h o r r i b l e. Je pense que les Syriens sont un bon peuple avec un cœur blanc, même les occupants de ma ville, mais il y a beaucoup de malentendus produits par des terribles politiciens et médias qui nous font nous entretuer entre nos propres voisins. Cette opposition a commencé avec une demande paisible et justifiée pour plus de liberté et a tout de suite été transformée en une révolte armée qui a perdue toutes ses revendications de vue et qui n’est plus du tout représentative pour le peuple syrien. J’appelle les politiciens horribles du monde entier (USA, Europe, Russie China et Iran) : Arrêtez de jouer avec notre sang !

Ahmed* depuis Alep


J’arrête ici. Les réponses continuent à envahir ma boîte e-mail et il est évident que ce n’est pas que chez nous que règne le chaos de l’information. La seule chose qui est certaine, c’est que, malgré tous les avis de nos « analystes-spécialistes » du Moyen-Orient, il n’y aura jamais qu’une seule vérité. Une partie d’un peuple persécuté par un gouvernement sanguinaire qui tuerait son propre peuple et qui cherche du soutien à l’étranger, avec une armée qui vend ses armes à sa propre opposition ? Une lutte paisible intérieure qui a été récupérée par d’autres intéressés, des forces islamistes, puis l’OTAN et ses mercenaires pour faire plonger la Syrie dans le chaos et ainsi mieux pouvoir s’attaquer à l’Iran et prendre le contrôle de la région ?   Ou, comme Tamman le dit, un peu de tout cela ?  Après le chaos, un embrasement de toute la région, peut-être le déclenchement d’une dernière guerre mondiale ? A qui profite le crime ? Une seule chose est sûre : Ce seront toujours les peuples qui verseront leur sang. Et le principe reste plus ou moins toujours le même : à un moment donné, on commence par déshumaniser une personne ou une population pour pouvoir ensuite justifier l’injustifiable. Nous ne devons jamais en devenir complice, ni en mettant de l’huile sur le feu ni par notre silence.

Fin

Andrea Duffour
Fribourg, Suisse

Arrêt sur info, 30 septembre 2024

(Mis à jour le 1er octobre 2014 à 14.10 par Arrêt sur info)

Photo: Paysage Lattakia. D.R.