Nouveau rapport sur la manière dont l’UE finance des ONG pour faire de l’autopromotion et du lobbyisme en faveur de «plus d’Europe»
Le journaliste indépendant Thomas Fazi se fraie un chemin à travers la jungle des «Organisations non gouvernementales» (ONG) financées par l’UE pour finalement devoir constater que l’UE fait de la propagande pour son propre compte avec l’argent des contribuables, souvent en contradiction avec les intérêts des Etats membres de l’UE.
L’article de Thomas Fazi est également intéressant pour la Suisse – qui se retrouve de plus en plus dans le collimateur de l’UE –, où différentes organisations de lobbying font depuis des années des efforts ciblés pour rapprocher notre pays de Bruxelles.
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Je viens de publier un nouveau rapport sur le groupe de réflexion «MCC Brussels»1 dans lequel j’examine le complexe de propagande des ONG européennes et j’explique comment l’Union européenne a de plus en plus utilisé ses pouvoirs budgétaires ces dernières années pour promouvoir – ou imposer – le respect de ses dites «valeurs», en particulier dans les Etats membres dont les gouvernements sont considérés comme résistants ou non conformes à l’agenda politique de l’UE. Jusqu’à présent, le débat public s’est principalement concentré sur le développement de mécanismes tels que la protection de l’état de droit (introduit en 2020), qui lie le versement de fonds européens au respect de l’«Etat de droit» dans les Etats membres, tel que défini par Bruxelles, bien entendu.
Cependant, le rapport met en évidence une tendance encore plus inquiétante et peu remise en question: l’utilisation proactive du budget de l’UE par la Commission européenne, afin de faire avancer son programme pour «les droits et les valeurs» à travers une multitude d’«instruments politiques axés sur les valeurs». Ceux-ci vont des campagnes médiatiques, en ligne et hors ligne, à de nombreux projets visant à «promouvoir les valeurs de l’UE» et à «rapprocher l’Union européenne de ses citoyens».
Alors que ces programmes sont présentés comme des efforts visant à préserver l’Etat de droit et les droits fondamentaux, un examen plus approfondi révèle que des fonds publics sont utilisés pour promouvoir un agenda politique, souvent au détriment de la souveraineté et des processus démocratiques au sein des Etats membres.
L’un des exemples les plus significatifs est le programme «Citoyens, égalité, droits et valeurs» (CERV), qui transfère d’importantes sommes d’argent à des organisations de la société civile, y compris des organisations non gouvernementales (ONG) et des groupes de réflexion. De nombreux projets financés par ce programme soutiennent des causes louables et utiles. Cependant, il existe de nombreux exemples où ces fonds sont utilisés non seulement pour promouvoir une approche hautement politisée des valeurs déclarées de l’UE, ce qui est particulièrement préoccupant lorsque ces valeurs ne correspondent pas aux sensibilités culturelles nationales, mais aussi pour défendre l’UE elle-même et le principe d’intégration supranationale. En voici quelques exemples:
- RevivEU,
un projet mené par différents think tanks européens qui vise à «combattre les discours eurosceptiques déjà répandus par les élites autocratiques» et à «raviver l’attrait de l’UE dans l’esprit des citoyens du V4». Budget: 645 000 euros (2023–2024).
- Blue4EU,
un projet coordonné par l’Université Bages-Bolyai en Roumanie, qui vise à renforcer «l’esprit critique et la résistance des jeunes face aux mouvements extrémistes et anti-européens actuels» et à les inciter à «s’engager pour un avenir européen». Budget: 375 300 euros (2024–2026).
- EU TURN 2025,
un projet mené par l’Académie européenne de Berlin sur la «dénationalisation de l’engagement européen». Budget: 415 000 euros (2025).
- Hold on to Europe
est un projet coordonné par la commune tchèque de Ratiskovice en collaboration avec d’autres communes en France, en Slovaquie et en Croatie, qui vise à «renforcer l’intérêt des citoyens pour l’Europe (pour l’UE) et leur prise de conscience de la nécessité d’une intégration plus poussée dans l’UE». Budget: 27 500 euros (2023).
L’UE se sert d’ONG pour faire pression sur les Etats membres «non
alignés» – notamment en utilisant l’argent des contribuables. (Photo mad)
- Plateforme de lutte contre l’euroscepticisme,
un projet mené par plusieurs communes en Roumanie, en Serbie, en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie pour lutter contre l’euroscepticisme. Budget: 21 000 euros (2022).
De nombreuses organisations bénéficiaires s’engagent explicitement en faveur du fédéralisme européen ou de l’intégration européenne et partagent les objectifs politiques de la Commission.
- Amis de l’Europe
Ce groupe de réflexion a reçu plus de 15 millions d’euros pour la période 2024–2024. Ce montant comprend 350 000 euros pour un seul projet visant à améliorer la visibilité des «valeurs et possibilités» de l’UE aux niveaux local et national. En promouvant activement le discours de l’UE dans différentes régions, le projet est un exemple des efforts de la Commission pour influencer l’opinion publique en faveur des politiques et des priorités de l’Union.
- Forum européen de la jeunesse
L’organisation basée à Bruxelles, qui se targue d’être «la plus grande plateforme régionale de jeunesse au monde», affirme que l’un de ses principaux objectifs est «d’approfondir l’intégration européenne». Depuis 2014, elle a obtenu près de 40 millions d’euros.
- Fondation Robert Schuman
La Fondation, un groupe de réflexion français pro-européen lié au Parti populaire européen (PPE), a reçu près de 10 millions d’euros entre 2014 et 2025. Ce montant comprend 1,2 million d’euros pour la lutte contre la «mythologie eurosceptique et national-populiste» et 1,6 million d’euros pour le travail de lobbyisme de routine sous la bannière du projet «Pour l’Europe» pour la période 2022–2025.
- Centre politique européen (EPC)
L’EPC est un think tank belge qui se consacre à la «promotion de l’intégration européenne» et qui a reçu près de 30 millions d’euros au cours des dix dernières années. L’engagement de l’EPC est directement lié aux priorités de la Commission, ce qui montre comment les fonds publics sont alloués à des organisations qui promeuvent une politique axée sur l’intégration.
Le rapport affirme que ces efforts se résument à de la «propagande par procuration», la Commission finançant des ONG et des groupes de réflexion pour défendre ses politiques et ses objectifs, voire pour faire du lobbying en son nom, brouillant ainsi la frontière entre la société civile indépendante et la représentation institutionnelle des intérêts.
Cette forme de propagande déguisée peut être comparée à la manière dont le gouvernement américain, par l’intermédiaire d’organisations telles que l’USAID, achemine des fonds vers des ONG du monde entier afin de promouvoir ses intérêts géopolitiques – une pratique qui a attiré une grande attention après le gel de l’aide étrangère par Trump.
En renforçant les voix pro UE et en marginalisant les perspectives divergentes, cette stratégie consolide les récits favorables à l’intégration, tandis que les points de vue alternatifs sont discrédités ou réprimés. En conséquence, les mécanismes de financement de l’UE et les ONG elles-mêmes deviennent des instruments de propagande institutionnelle visant à promouvoir une intégration supranationale plus poussée – une vision qui non seulement ne fait pas l’unanimité en Europe, mais qui suscite également une opposition croissante de la part des citoyens.
Comme le montre le rapport, cela représente un renversement fondamental de la nature et du rôle supposés des «organisations non gouvernementales»: au lieu de relayer les aspirations de la société civile auprès des décideurs politiques, ces prétendues ONG servent de relais pour transmettre les idées et les perspectives des décideurs politiques à la société civile – en l’occurrence, en particulier celles de la Commission européenne, dont elles dépendent fortement (quoique pas totalement dans certains cas) en termes de financement. Elles sont pratiquement transformées en vecteurs de propagande institutionnelle ou d’«auto-lobbying».
Le complexe UE-ONG est lié à la théorie du triangle de fer, selon laquelle la politique repose essentiellement sur une relation mutuellement avantageuse entre trois acteurs principaux dans l’élaboration des politiques: les agences bureaucratiques (institutions gouvernementales responsables de la mise en œuvre des politiques), les comités législatifs ou les politiciens (qui élaborent les politiques et contrôlent le financement) et les groupes d’intérêt (tels que les ONG, les lobbyistes ou les entreprises privées).
Ces trois entités forment un cercle qui s’auto-renforce dans lequel chacune profite de l’autre, souvent au détriment d’une plus grande responsabilité démocratique ou de l’intérêt public. Les institutions bureaucratiques reçoivent des fonds et une légitimité, les législateurs obtiennent un soutien politique ou un appui lors des élections, et les groupes d’intérêt s’assurent des mesures politiques ou des financements qui correspondent à leurs objectifs, au lieu de promouvoir un véritable engagement civique.
Le soutien financier de la Commission européenne aux ONG qui partagent les objectifs politiques de l’UE est un exemple de ce concept. La Commission européenne joue un rôle central en tant que bras bureaucratique de ce triangle. Elle accorde des financements aux ONG dans le cadre de divers programmes qui visent des thèmes tels que les droits de l’homme, la protection du climat, la migration et l’Etat de droit – ou qui, dans la plupart des cas, promeuvent l’UE elle-même. Ces fonds sont souvent reversés à des organisations qui mettent en œuvre les politiques de l’UE ou défendent les intérêts de l’UE.
En finançant de manière stratégique des ONG dont les priorités coïncident avec les siennes, la Commission construit un réseau d’organisations qui légitiment et promeuvent sa politique. De cette manière, elle s’assure que les objectifs de l’UE sont soutenus par des acteurs «indépendants», ce qui donne l’impression d’un soutien impartial à ses initiatives.
Les législateurs, y compris les membres du Parlement européen et les décideurs politiques nationaux, utilisent les activités des ONG comme preuve du «soutien de la société civile» aux politiques de l’UE. Ces politiciens approuvent ou étendent souvent les programmes de financement sous prétexte de soutenir des initiatives locales, bien que de nombreuses organisations bénéficiaires dépendent fortement des fonds de l’UE et non de véritables contributions publiques. Ce secteur des ONG, qui bénéficie de fonds importants, crée une boucle de rétroaction dans laquelle les législateurs citent les rapports des ONG et le lobbying comme une confirmation indépendante de la politique de l’UE. En réalité, ces organisations reflètent souvent les priorités des institutions qui les financent, ce qui sape l’authenticité de leur prétendue indépendance.
Il est inquiétant de constater que ces initiatives vont souvent au-delà du simple lobbying et s’immiscent dans la politique intérieure des Etats membres. Lorsqu’elles visent des gouvernements qui sont critiques à l’égard de la politique de l’UE, ces initiatives peuvent devenir des mécanismes visant à saper, voire à renverser, des gouvernements démocratiquement élus. Cela représente une forme flagrante «d’ingérence étrangère» dans les affaires intérieures d’Etats souverains, souvent par le biais d’ONG locales qui servent de vecteur à l’influence de l’UE – un autre parallèle frappant avec les activités de l’USAID.
Le rapport tente de donner le premier aperçu complet de ce que l’on peut appeler le «complexe propagande UE-ONG» – une machinerie tentaculaire qui opère en dehors de tout contrôle démocratique significatif et qui est largement inconnue des Européens. Il examine en particulier comment les instruments budgétaires tels que le programme CERV sont utilisés non seulement pour résoudre les problèmes de gouvernance, mais aussi pour promouvoir la vision politique de l’UE.
Le recours systématique aux ONG par la Commission européenne pour promouvoir ses objectifs politiques représente un double danger. D’une part, il sape la démocratie en faussant le débat public et en marginalisant les voix dissidentes, tout en promouvant un agenda unilatéral sous couvert d’«engagement de la société civile». En utilisant ses ressources budgétaires, l’UE a en effet transformé les organisations de la société civile en armes et, sous prétexte de promouvoir des «valeurs» communes telles que la démocratie, l’Etat de droit et les droits fondamentaux, en instruments de propagande institutionnelle.
En se positionnant comme l’arbitre suprême des valeurs, l’UE s’est placée au-dessus de la responsabilité démocratique et a utilisé ses ressources financières et institutionnelles pour imposer une vision unique de la gouvernance et de l’intégration à un continent marqué par des histoires, des cultures et des systèmes politiques différents.
Au lieu de promouvoir un véritable pluralisme, l’UE a favorisé un modèle technocratique du haut vers le bas, qui donne la priorité à la conformité avec son propre agenda plutôt qu’au respect de la volonté des citoyens des différents Etats membres. De plus, comme nous l’avons vu, la Commission ne se limite pas à promouvoir une approche hautement politisée des valeurs déclarées de l’UE, mais utilise également des organisations de la société civile pour promouvoir l’UE elle-même et le principe de l’intégration supranationale – et tout cela aux frais des contribuables. J’appelle cette approche «propagande par procuration».
Sous couvert de promouvoir des valeurs et de faire respecter l’Etat de droit, ces instruments budgétaires sont utilisés comme une arme pour faire taire les opinions dissidentes et consolider l’autorité de l’UE, ce qui suscite de vives inquiétudes quant à la régression démocratique inquiétante que connaît l’Europe, en grande partie sous l’impulsion de l’UE elle-même.
Cela témoigne d’une tendance plus large et profondément inquiétante à la gouvernance antidémocratique au sein de l’UE. Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé, mais d’une stratégie délibérée visant à centraliser le pouvoir au sein des institutions supranationales, en particulier la Commission européenne, au détriment de la souveraineté et des processus démocratiques dans les Etats membres, comme je l’ai expliqué dans de précédents rapports.2
D’autre part, l’utilisation systématique des ONG par l’UE comme instruments pour promouvoir son programme met en péril la crédibilité et le travail des véritables ONG qui fournissent des services critiques et font du lobbying, car ces organisations risquent d’être entraînées dans la réaction inévitable contre le complexe UE-ONG.
Thomas Fazi est auteur, traducteur et chroniqueur pour UnHerd. Ses articles sont publiés dans de nombreux médias en ligne et imprimés. Il vit la plupart du temps à Rome, en Italie.)
2)https://www.thomasfazi.com/p/the-silent-coup-the-european-commissions?utm_source=publication-search
Source: https://www.thomasfazi.com/p/the-eus-propaganda-machine, 17 février 2025
(Traduction «Point de vue Suisse»)