Le secrétaire d’État américain Antony Blinken salue à son arrivée à l’aéroport Hongqiao de Shanghai, le 24 avril. (Département d’État américain/Chuck Kennedy)

Alors que l’Occident collectif est en proie à une crise de légitimité existentielle, la Russie et l’Iran conçoivent leur propre ordre de sécurité pour protéger le reste du monde des “génocidaires”.

L’hégémon n’a aucune idée de ce qui attend l’état d’esprit exceptionnaliste*: la Chine a commencé à remuer de manière décisive le chaudron civilisationnel sans se soucier d’une série inévitabl de sanctions à venir d’ici le début de 2025 et/ou d’un possible effondrement du système financier international.

La semaine dernière, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken -avec son catalogue d’exigences américaines délirantes- a été accueilli à Pékin par le ministre des affaires étrangères Wang Yi et le président Xi Jinping comme s’il s’agissait d’un moucheron agaçant. Wang a souligné que Téhéran était en droit de se défendre contre Israël, qui a violé la Convention de Vienne en attaquant le consulat iranien à Damas.

Au Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine remet désormais ouvertement en question non seulement l’attaque terroriste d’État contre les gazoducs Nord Stream, mais aussi le blocage par le duo États-Unis-Israël de la création d’un État palestinien. En outre, Pékin, tout comme Moscou récemment, accueille les factions politiques palestiniennes lors d’une conférence visant à unifier leurs positions.

Mardi prochain, deux jours seulement avant que Moscou ne célèbre le Jour de la Victoire, la fin de la Grande Guerre Patriotique, Xi atterrira à Belgrade pour rappeler au monde entier le 25e anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN.

La Russie, quant à elle, a fourni une plateforme à l’UNRWA – l’agence de secours de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, qu’Israël a cherché à faire disparaître – pour expliquer aux hauts représentants des BRICS-10 la situation humanitaire cataclysmique à Gaza, telle que décrite par le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini.

En bref, des affaires politiques sérieuses sont déjà traitées en dehors du système corrompu de l’ONU, alors que les Nations unies se désintègrent pour devenir une coquille vide à qui les Etats-Unis, en tant qu’actionnaire principal, dictent leurs conditions.

Encore un autre exemple clé des BRICS en tant que nouvelle ONU : le président du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrushev, a rencontré son homologue chinois Chen Wenqing à Saint-Pétersbourg en marge du 12e sommet international sur la sécurité, qui a rassemblé plus de 100 nations, dont les responsables de la sécurité de l’Iran, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, membres des BRICS-10, ainsi que de l’Irak.

Le salon de la stratégie de sécurité de l’OCS

Mais le principal événement de ces derniers jours a été le sommet sur la Défense de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s’est tenu à Astana, au Kazakhstan. Pour la première fois, le nouveau ministre chinois de la Défense, Dong Jun, a rencontré son homologue russe, Sergei Shoigu, afin de souligner leur partenariat stratégique global.

Dong a insisté sur la nature “dynamique” de l’interaction militaire entre la Chine et la Russie, tandis que M. Shoigu a renchéri en déclarant que cette interaction “établit un modèle de relations inter-étatiques” fondé sur le respect mutuel et des intérêts stratégiques partagés.

S’adressant à la totalité de l’assemblée de l’OCS, M. Shoigu a catégoriquement réfuté l’énorme campagne de propagande occidentale sur la “menace” russe pour l’OTAN.

Tout le monde était présent à la réunion des ministres de la Défense de l’OCS, y compris, et à la même table, l’Inde, l’Iran, le Pakistan et la Biélorussie en tant qu’observateur. Minsk est désireuse de rejoindre l’OCS.

Les partenariats stratégiques entre la Russie, l’Iran et la Chine ont été totalement synchronisés. Outre sa rencontre avec Shoigu, Dong a également rencontré le ministre iranien de la Défense, le général de brigade Mohammad Reza Ashtiani, qui a fait l’éloge de la condamnation par Pékin de l’attaque aérienne terroriste israélienne à Damas.

Ce qui se passe actuellement entre Pékin et Téhéran est une réédition de ce qui a débuté l’année dernière entre Moscou et Téhéran, lorsqu’un membre de la délégation iranienne en visite en Russie a fait remarquer que les deux parties avaient convenu d’une relation mutuelle de haut niveau “pour tout ce dont nous avons besoin”.

À Astana, le soutien de M. Dong à l’Iran a été sans équivoque. Non seulement il a invité Ashtiani à une conférence sur la sécurité à Pékin, reflétant ainsi la position iranienne, mais il a également appelé à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et à l’acheminement de l’aide humanitaire.

Lors de sa rencontre avec M. Ashtiani, M. Shoigu a rappelé que “la lutte commune contre le terrorisme international en Syrie est un exemple frappant de nos relations amicales de longue date”.

Le ministre russe de la Défense a ensuite prononcé son discours de clôture : “La situation militaro-politique actuelle et les menaces qui pèsent sur nos États nous imposent […] des approches communes pour instaurer un ordre mondial juste, fondé sur l’égalité de tous les participants à la communauté internationale.”

Un nouvel ordre mondial fondé sur la sécurité

L’établissement d’un nouvel ordre mondial en matière de sécurité est au cœur de la planification des BRICS-10, au même titre que le débat sur la dédollarisation. Tout cela constitue un véritable anathème pour l’Occident collectif, incapable de concevoir les partenariats multiples et imbriqués de la Russie, de l’Iran et de la Chine.

Et les échanges vont bon train. Le président russe Vladimir Poutine se rendra à Pékin dans le courant du mois. En ce qui concerne Gaza, la position de la Russie, de l’Iran et de la Chine est parfaitement synchronisée : Israël commet un génocide. Pour l’UE – et l’OTAN dans son ensemble – il ne s’agit pas d’un génocide : le bloc soutient Israël quoi qu’il arrive.

Après que l’Iran, le 13 avril, a définitivement changé la donne en Asie occidentale, sans même utiliser ses missiles hypersoniques les plus perfectionnés, la question clé pour la majorité mondiale est claire : en fin de compte, qui va freiner les génocidaires, et comment ? Des sources diplomatiques laissent entendre que cette question sera abordée en tête-à-tête entre Poutine et Xi.

Comme le remarque avec un aplomb sans pareil un intellectuel chinois : “Cette fois, les barbares sont confrontés à une civilisation écrite vieille de 5 000 ans, forte de l’Art de la guerre de Sun Tzu, de la pensée de Mao, de la stratégie à double sens de Xi, de la ‘Belt and Road’, des BRICS, de la numérisation du Renminbi, de la Russie et de la Chine unies, de l’industrie manufacturière la plus puissante du monde, de la suprématie technologique, de la puissance économique et de l’appui des pays du ‘Sud Global’.”

Tout cela face à un hégémon divisé en pleine tourmente, dont le porte-avions génocidaire en Asie de l’Ouest échappe définitivement à tout contrôle.

Les menaces américaines de “choix clair” entre mettre fin à plusieurs éléments clés du partenariat stratégique Russie-Chine ou faire face à un tsunami de sanctions ne font pas l’affaire de Pékin. Il en va de même pour les tentatives chimériques de Washington d’empêcher les membres des BRICS de se défaire du dollar américain.

Le ministre russe des affaires étrangères, Sergey Lavrov, a clairement fait savoir que Moscou et Pékin avaient presque atteint le stade où le dollar américain serait abandonné dans les échanges bilatéraux. Et le vol pur et simple des actifs russes par l’Occident collectif est la ligne rouge ultime pour les BRICS – et toutes les autres nations qui les observent avec horreur – dans leur ensemble : il s’agit définitivement d’un empire “incapable du moindre consensus”, comme Lavrov l’a souligné depuis la fin 2021.

Yaroslav Lisovolik, fondateur de BRICS+ Analytics, ne croit pas aux menaces de l’hégémon contre les BRICS, la feuille de route vers un système de paiement alternatif n’en étant encore qu’à ses débuts. Concernant le commerce entre la Russie et la Chine, la voie rapide du non-dollar a déjà quitté la gare.

Pourtant, la question clé demeure : comment la Russie, l’Iran et la Chine (RIC), en tant que leaders des BRICS, membres de l’OCS et à la fois les trois principales “menaces existentielles” pour l’Hégémon, vont-ils pouvoir entamer la mise en œuvre d’une nouvelle architecture de sécurité mondiale sans avoir à affronter les génocidaires ?

Pepe Escobar

*L’exceptionnalisme américain est une théorie politique et philosophique qui considère que les États-Unis occupent une place spéciale parmi les nations du monde en termes de sentiment national, d’évolution historique, d’institutions politiques

Source article original: La Russie, l’Iran et la Chine en quête d’un nouvel ordre de sécurité mondiale, 3 mai 2024