Guillaume Borel | 6 février 2015
L’Office for Net Assessment (ONA) – un laboratoire de futurologie militaire hébergé au Pentagone et chargé « d’évaluer les futures menaces » pour le département de la défense américain ainsi que les tendances militaires à long terme – a récemment organisé la fuite dans la presse d’un rapport de 2008 présentant le président russe Vladimir Poutine comme atteint d’une forme d’autisme.
L’ONA a été créé en 1973 par Richard Nixon qui a placé à sa tête, Andy Marshall, qui dirigea le bureau jusqu’en janvier 2015. Il s’agit d’un néo-conservateur historique, disciple de Leo Strauss, et qui officiait auparavant à la Rand Corporation, l’un des plus importants think tank néo-conservateurs. Selon la revue conflits, il a activement contribué à la rédaction de la doctrine Rumsfeld de « bouclier anti-missile », projet déjà porté par l’administration Reagan sous le nom de « guerre des étoiles», et étendu sous la deuxième administration Bush aux pays de l’OTAN.
Andy Marshall est également l’initiateur du concept de RMA pour Revolution in Military Affairs qui débouchera sur « l’introduction de systèmes militaires de reconnaissance et d’attaques automatisés, de moyens de contrôle électroniques et de munitions longue-portée. ». C’est dans le cadre de la RMA que s’est développée la recherche sur les drones et la doctrine de leur usage opérationnel. L’ONA est décrit comme « tentaculaire » par Christophe WASINSKI, auteur d’un article spécialisé sur le sujet pour la revue conflits, qui le présente comme « une sorte de courroie d’activation de réseaux intellectuels, qui impliquent à la fois des personnalités politiques, militaires, universitaires et de l’industrie de la Défense. » Il s’agit d’un puissant lobby néo-conservateur implanté au sein du ministère de la défense et qui vise à influer sur la doctrine militaire.
Le fait qu’un rapport de l’ONA datant de 2008 fuite dans la presse, via USA Today, au moment même d’une offensive médiatique sans précédent des milieux néo-conservateurs en faveur d’un soutien militaire au gouvernement ukrainien qui serait confronté à « une agression russe », est donc tout sauf un hasard.
Il s’inscrit dans une stratégie de stigmatisation de la Russie, présentée comme un pays agressif et belliqueux, mais également de diabolisation de Vladimir Poutine, selon les règles de la propagande de guerre. Cette stratégie avait déjà été utilisée contre Slobodan Milosevic en 1999, Mouammar Khadafi en 2011, ou encore Hugo Chavez à de multiples reprises, puis contre Bachar al-Assad. Il s’agit de représenter la cible à éliminer comme une incarnation du « mal » selon l’idéologie messianique exprimée par Georges W Bush de la guerre du « bien » menée par l’Amérique contre un « axe du mal ».
Des éléments d’un rapport de l’ONA datant de 2008, ont donc été rendus publics via un article de USA Today, établissant que le président russe Vladimir Poutine serait atteint du syndrome d’Asperger.
Disons-le tout de suite, malgré les titres des auteurs de l’étude rappelés avec force par USA Today, il s’agit de psychologie de comptoir. Les éléments de l’étude, présentés par USA Today traduisent une méconnaissance du syndrome d’Asperger, appelé aussi « autisme de haut niveau ». Selon Brenda Connors, une « experte dans l’analyse des mouvements corporels », le développement neurologique de Vladimir Poutine se serait en effet « significativement interrompu dans l’enfance » et il présenterait ainsi « une anomalie neurologique ». La description du syndrome d’Asperger renvoie ainsi à celle de Frankenstein, ce qu’apprécieront au passage tous les adultes Asperger qui doivent déjà lutter au quotidien contre les préjugés. Précisons donc à Mme Connors que l’origine du syndrome d’Asperger, si elle reste encore mal cernée par les spécialistes, serait probablement « d’origine neuro-biochimique associé à un problème génétique » selon l’association Asperger Aide France. Le développement des personnes Asperger ne s’est en aucun cas « significativement interrompu dans l’enfance », elles présentent par ailleurs fréquemment de hauts et très hauts quotients intellectuels, comme l’illustre par exemple le cas de Daniel Tammet.
Ces approximations peuvent s’expliquer par le fait que Brenda Connors est une « experte dans l’analyse des mouvements corporels » à l’école de guerre de la Marine, et non une psychiatre.
Le rapport cite également un autre collaborateur, le Dr. Stephen Porges, psychiatre à l’université de Caroline du nord, qui se montre beaucoup plus circonspect et s’est empressé de prendre ses distances avec les résultats de l’étude. Selon lui, il « n’a jamais eu accès au rapport final » et affirme que « ce serait faire marche arrière » pour lui que de conclure à un syndrome d’Asperger. Il paraît effectivement très peu probable qu’une personne réellement atteinte de ce syndrome puisse accomplir une carrière politique de ce niveau et parvenir aux plus hautes responsabilités, du fait des spécificités et handicaps inhérents à cette forme d’autisme. Les personnes Asperger présentent en effet généralement des troubles de la communication, comme une impossibilité à saisir les implicites et les marqueurs corporels du langage. On note également des difficultés à comprendre et à employer les règles du comportement social qui conduisent à des difficultés plus ou moins grandes à établir des rapports sociaux. Les caractéristiques du syndrome d’Asperger sont l’exacte antithèse des qualités de communicants nécessaires au succès d’une carrière politique et à mener une activité de représentation telle que celle d’un homme d’état. Les personnes Asperger ont ainsi beaucoup de difficultés pour s’insérer sur le marché du travail et à s’épanouir dans la vie en entreprise.
Selon Porges, « les officiels US voulaient des éléments pour leur permettre de négocier plus efficacement avec Poutine dont le comportement et les expressions révèlent quelqu’un sur la défensive ».
La vision caricaturale du syndrome d’Asperger telle que livrée par l’article de USA Today et « l’experte » Brenda Connors, pour laquelle ce « désordre autistique affecte toutes ses décisions », répond donc à un objectif de diabolisation du président russe Vladimir Poutine. Cette diabolisation, qui se prétend fondée sur une étude « scientifique » démontre une méconnaissance du syndrome d’Asperger et de ses causes, ainsi qu’une vision basée sur des clichés et des lieux communs telle qu’on peut les retrouver dans les médias grand public. Elle semble basée essentiellement sur l’apparence de froideur et de maîtrise personnelle dégagée par le président russe, c’est à dire sur une approche empruntée à la communication et au marketing politique, c’est pourquoi elle s’inscrit logiquement dans l’offensive médiatique actuelle visant à démoniser l’hôte du Kremlin et par extension la Russie, dans le cadre de l’agenda hégémonique US qui a fait de l’Ukraine un « pivot géostratégique », selon les mots de l’ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski.
La phrase clef de Brenda Connors à propos de Vladimir Poutine, affirmant que ce « désordre autistique affecte toutes ses décisions » a donc été reprise par toute les médias engagés dans la diabolisation du président russe et de la Russie, trop heureux de trouver une « expertise scientifique », même si elle provient d’une « experte » de l’école de guerre de la marine américaine fort éloignée de la recherche universitaire, pour légitimer leur russophobie primaire et leur vision fantasmatique du danger que représentait Vlad Dracula Poutine pour le monde « libre ». Le président russe est donc présenté comme un grand malade qui aurait du mal à se contrôler.
C’est le cas pour Roland Gauron, du journal Le Figaro qui conclut ainsi, confondant par ailleurs allègrement syndrome et maladie : « La maladie se traduit aujourd’hui par l’impression d’un déséquilibre physique et des difficultés dans ses relations avec les autres. »
Le journal 20 minutes va plus loin :
« Le rapport du Pentagone estime ainsi que le développement neurologique de Vladimir Poutine aurait été interrompu au cours de son enfance, émettant même l’hypothèse d’un coup reçu au ventre par la mère de Poutine quand celle-ci était enceinte du futur président. » L’autisme serait donc une conséquence de coups reçus par le fœtus dans le ventre de sa mère, merci au journal 20 minutes et au Pentagone pour leur contribution à la recherche scientifique, l’académie Nobel n’a plus qu’à se pencher sur leurs travaux…
TFI s’intéresse au « regard fixe de Poutine » qui est assurément le signe d’un trouble neurologique : « Selon le rapport du Pentagone, le regard toujours fixe de Poutine est la marque d’un défaut neurologique et d’une incapacité à faire face aux signaux extérieurs. »
Personnellement j’attends avec impatience l’analyse psychologique du Pentagone concernant Angela Merkel, mais je soupçonne déjà une hyper-psycho-rigidité à tendance maniaco-dépressive obsessionnelle (les grecs en savent quelque chose), qui est assurément la conséquence d’une enfance marquée par l’absence du père associé à un manque de vitamine C dans sa période utérine. A moins qu’il ne s’agisse d’un effet secondaire du rapprochement franco-allemand sous l’effet des radiations de la période post-Tchernobyl qui aurait gravement endommagé son développement neurologique…
Mais c’est Europe1 qui fait faire un grand bond en avant à l’investigation scientifique, par cette découverte :
« C’est en étudiant les expressions et les mouvements de son visage dans des vidéos que ces experts ont conclu que le développement neurologique de Poutine avait été perturbé dans son enfance. » D’où l’on peut conclure que certains journalistes à Europe1 semblent également avoir eu un développement psychologique perturbé…
Le journal La Tribune de Genève se désole quant à lui, faisant preuve d’un intérêt pour la méthodologie scientifique qui est tout à son honneur, que cette théorie soit difficilement vérifiable :
« cette hypothèse ne peut être confirmée que par un scanner du cerveau de Poutine, selon le rapport. » Si c’est pour la science, voilà assurément un but de guerre tout trouvé…
Guillaume Borel