Les médias qui se disent le plus préoccupés par la désinformation sont ceux qui la propagent avec le plus de facilité.
Le reportage de NBC sur Assange en est le parfait exemple.
Par Glenn Greenwald
Paru le 16 décembre 2021 sur le blog Greenwald
Joe Scarborough et Claire McCaskill de MSNBC enchaînent les mensonges pendant un prétendu reportage sur le cas de Julian Assange, le 10 décembre 2021.
La guerre contre la « désinformation » est désormais l’une des plus grandes priorités de l’establishment politique et médiatique. Elle est devenue la justification fondamentale visant à imposer un régime de censure en ligne. Dans le monde entier, de nouvelles lois sont promulguées en son nom afin de donner à l’État le pouvoir de réglementer le discours. Exploitant cette cause, une petite poignée de milliardaires travaillent à l’unisson avec les agences de sécurité de l’État occidental – sous couvert de noms à consonance neutre – comme le Conseil atlantique – pour fixer les limites (inadmissibles) de la pensée et décréter ce qui est vrai et ce qui est faux. Les médias de l’establishment tentent de réhabiliter leur image discréditée en se présentant comme le rempart contre la marée montante de la désinformation.
C’est un euphémisme de dire que cette justification est une escroquerie presque trop évidente pour nécessiter une explication. Que sa motivation est le pouvoir et le contrôle de la parole et de la pensée – pour anéantir la dissidence et discréditer la concurrence – plutôt qu’une noble quête de vérité. On ne devrait faire confiance à aucune institution humaine qui cherche à s’arroger un pouvoir intrinsèquement tyrannique, à décréter la vérité avec une telle autorité ; disant que les opinions qu’elle a décrétées « fausses » deviennent interdites, hors limites, voire dignes de punition.
L’une des idées fondamentales du siècle des Lumières était que la vérité et la fausseté sont mieux découvertes par les humains qui s’engagent dans une recherche libre et font appel à la raison et à la persuasion, plutôt que d’être captifs des décrets fantaisistes d’une autorité centralisée qui dicte aux citoyens ce qu’ils sont autorisés à croire ou non. C’est pourquoi je crois, comme je l’ai longuement écrit dans un article du Guardian en 2013, qu’au cœur de tout censeur se trouve l’orgueil démesuré : la croyance qu’ils sont si évolués, éclairés et supérieurs qu’ils se sont élevés au-dessus de l’éternelle propension humaine à l’erreur, ce qui leur permet d’établir une vérité universelle dont la validité est si inattaquable que personne ne devrait être autorisé à la remettre en question, et encore moins à s’en écarter.
Tout cela étant dit, il y a une vérité fondamentale – involontaire – qui se trouve au cœur de cette guerre des élites contre la « désinformation ». Il est absolument vrai que le discours politique américain (pas seulement, Ndlr) est noyé dans des campagnes de désinformation et des mensonges délibérés. Il est également vrai que cette épidémie de désinformation est une menace sérieuse, un fléau toxique pour notre démocratie et notre société. Sur ce point, ils ont raison.
Là où ils se sont trompés c’est dans la manière dont ils ont identifié les sources les plus dangereuses de cette désinformation. Elle n’émane pas principalement des baby-boomers de Trump sur Facebook, des groupes QAnon du dark web ou des adolescents espiègles et transgressifs sur 4Chan. Les citoyens ordinaires sont évidemment aussi capables que quiconque de croire et de diffuser de fausses assertions. Mais les campagnes de désinformation bien plus dommageables, destructrices, organisées et coordonnées proviennent des grands médias d’entreprise eux-mêmes et de leurs partenaires de l’État sécuritaire – en particulier les médias de l’establishment qui prétendent le plus fortement et de manière flamboyante être si profondément préoccupés par la désinformation qu’ils veulent censurer Internet au nom de son arrêt. Ce sont eux qui durant les cinq dernières années ils se sont attachés à inonder le pays de conspirations démentes construites par la CIA sur une soit-disant prise de contrôle des États-Unis par le Kremlin, avec chantage sexuel clandestin sur le président et autres hallucinations d’agents russes cachés sous chaque lit ; tant d’inventions ont été diffusées…
Le diffuseur le plus pernicieux et le plus prolifique des campagnes de désinformation organisées est sans doute NBC News, qui comprend son unité câblée MSNBC. Nous avons passé les derniers mois à travailler sur un mini-documentaire démontrant comment la plupart des mensonges coordonnés de l’État de sécurité américain ont été diffusés par une petite poignée d’experts, dont trois – Rachel Maddow, le porte-parole quasi officiel de la CIA Ken Dilanian et l’ancienne porte-parole de Bush/Cheney Nicolle Wallace – travaillant pour NBC News. Ce rapport sera publié prochainement.
Le 10 décembre, MSNBC a diffusé une séquence dans l’émission Morning Joe – un prétendu reportage mettant en scène son animateur Joe Scarborough, ancien député républicain de Floride, et sa collaboratrice régulière rémunérée Claire McCaskill, ancienne sénatrice démocrate du Missouri ayant fait deux mandats – qui a enchaîné les mensonges en deux petites minutes. Le duo prétendait expliquer à son public les implications de la décision rendue la semaine dernière par un tribunal britannique approuvant la demande du ministère de la Justice de M. Biden d’extrader Julian Assange vers les États-Unis pour qu’il y soit jugé pour espionnage dans le cadre de la publication en 2010 par WikiLeaks, en partenariat avec de nombreux médias grand public, d’une série de documents secrets révélant divers crimes de guerre, mensonges et corruptions de la part des gouvernements américain et britannique et de leurs alliés.
En l’espace de deux minutes, ces personnalités de NBC ont raconté quatre mensonges flagrants sur l’affaire Assange. Je ne veux pas dire qu’elles ont émis des opinions douteuses, des récits contestables ou même des affirmations trompeuses. Je veux dire qu’elles ont carrément menti sur quatre sujets distincts qui sont essentiels pour comprendre la tentative d’extradition et de poursuite d’Assange par l’administration Biden. Ces mensonges n’étaient pas seulement trompeurs, mais pernicieux, car ils étaient conçus non seulement pour induire le public en erreur, mais aussi pour lui faire croire que l’une des plus graves attaques contre la liberté de la presse depuis des années – l’emprisonnement d’un journaliste pour le crime de rapporter des informations vraies et exactes sur les crimes des centres de pouvoir – est quelque chose que les téléspectateurs devraient applaudir plutôt que dénoncer.
Nous avons pris le temps de disséquer cette séquence et d’amasser les preuves de leurs multiples mensonges, non pas parce que nous pensons que Scarborough et McCaskill en paieront le prix ou devront se rétracter. Bien sûr qu’ils ne le feront pas. Ils font leur travail, qui consiste à mentir d’une manière qui flatte les idées préconçues idéologiques des téléspectateurs de NBC, qui détestent Assange en raison du rôle que ses rapports ont joué pour nuire au Parti démocrate pendant l’élection de 2016, ce qui, selon Hillary Clinton elle-même, a été l’une des deux principales raisons de sa défaite.
Nous avons réalisé ce reportage vidéo afin d’illustrer la facilité et le réflexe de mensonge de ces médias d’entreprise, de démontrer que l’opinion du public selon laquelle ces médias sont totalement indignes de confiance et méprisables est valable et correcte, et de rétablir la vérité sur l’affaire Assange. Nous sommes conscients que tous les abonnés ne souhaitent pas regarder une vidéo d’une heure, et pour cette raison – comme nous le faisons pour tous les reportages vidéo que nous produisons – nous publierons prochainement une transcription écrite de l’émission pour nos abonnés Substack. Mais j’espère vraiment que les gens prendront le temps de regarder cette vidéo en particulier : puisque les mensonges se présentaient sous la forme d’une vidéo, nous avons donc conclu que l’utilisation de la vidéo pour mettre en évidence la gravité et l’intentionnalité de ces mensonges était le moyen le plus efficace de démontrer à quel point ils sont vraiment nocifs.
Source: Greenwald.substack.com