57 ans d’occupation israélienne en Cisjordanie nous ont appris qu’aucune grande ville juive ne sera érigée demain à Gaza ; l’« occupation rampante » fera avancer caravane après caravane, avant-poste après avant-poste.
Lorsqu’il a annoncé mardi 20 août qu’il torpillait les négociations en vue d’un accord de cessez-le-feu avec le Hamas, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a parlé de « notre défense et de nos atouts stratégiques » – le contrôle des routes de Philadelphie et de Netzarim – qu’Israël perdrait s’il acceptait l’accord actuellement sur la table.
Le discours public en Israël se concentre sur les otages et leur sort, mais Netanyahou les considère comme une nuisance médiatique, un bélier pour ses opposants politiques et une distraction par rapport à l’objectif : une occupation prolongée de la bande de Gaza ou, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, le « contrôle de la sécurité israélienne ».
Le contrôle de la route de Philadephie et du « corridor de sécurité » le long de la frontière permet à Israël d’encercler les frontières terrestres de Gaza et de l’isoler de l’Égypte. Le contrôle de la route de Netzarim divise en pratique le nord de Gaza, où il ne reste que quelques Palestiniens dont les maisons et les infrastructures ont été détruites, de la partie sud de l’enclave côtière, qui regorge de réfugiés venus de toute la bande de Gaza.
Dans la pratique, un accord à long terme pour le « jour d’après » est en cours d’élaboration. Israël contrôlera le nord de la bande de Gaza et chassera les 300 000 Palestiniens qui s’y trouvent encore. Le général de division (réserviste) Giora Eiland, idéologue de la guerre, propose de les faire mourir de faim ou de les exiler pour vaincre le Hamas. La droite israélienne envisage une colonisation juive de la région, qui présente un vaste potentiel immobilier grâce à une topographie favorable, une vue sur la mer et la proximité du centre d’Israël.
Les 57 années d’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est montrent qu’il s’agit d’un long processus qui exige beaucoup de patience et de capacité de manœuvre diplomatique. Aucune grande ville juive ne sera construite à Gaza demain, mais les progrès se feront acre par acre, mobile home par mobile home, avant-poste par avant-poste – tout comme à Hébron, Elon Moreh et Gilad Farm.
Le sud de la bande de Gaza sera laissé au Hamas, qui devra s’occuper des habitants démunis sous le siège israélien, même lorsque la communauté internationale se désintéressera de l’histoire et passera à d’autres crises. Netanyahou est convaincu qu’après les élections américaines, l’influence des manifestants pro-palestiniens sur la politique américaine diminuera, même si la vice-présidente Kamala Harris l’emporte.
Naturellement, si Donald Trump bouleverse le jeu et revient à la Maison Blanche, Netanyahou s’attend à avoir les coudées franches à Gaza. Dans les deux scénarios, l’Amérique, avec ses porte-avions, est censée dissuader l’Iran d’une escalade générale, ou s’impliquer elle-même dans une guerre pour sauver Israël.
Ne vous méprenez pas : l’occupation est l’objectif pour lequel Netanyahou se bat, même au prix de la mort des derniers otages et au risque d’une guerre régionale. Les échafaudages qui soutiennent son régime, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich, resteront en place tant qu’il cherchera, par ses paroles et ses actes, à obtenir une occupation permanente et une annexion rampante de la bande de Gaza.
Lors de la réunion du cabinet de cette semaine, M. Netanyahu a réitéré son slogan de 1996 contre les accords d’Oslo: « Donner et prendre, pas donner et donner ». En termes plus simples : les territoires occupés ne seront pas restitués, même sous la pression internationale et même aujourd’hui, face aux appels des otages. Tel est le but de sa guerre.
Aluf Benn
Haaretz, 21/8/2024
Aluf Benn, né Bomstein (Ramat HaSharon, 1965) est depuis 2011 rédacteur en chef du quotidien israélien Haaretz, où il travaille depuis 1989. @alufbenn