John Mearsheimer est professeur émérite de sciences politiques à l’université de Chicago et est l’auteur de The Tragedy of Great Power Politics. Stephen Walt est professeur émérite des relations internationales à la Kennedy School of Government d’Harvard et est l’auteur du livre intitulé Taming American Power : The Global Response to US Primacy

Depuis ces dernières décennies, et en particulier depuis la guerre des Six Jours en 1967, la pièce maîtresse de la politique moyen-orientale des États-Unis a été sa relation avec Israël. La combinaison du soutien constant à Israël et de l’effort lié pour répandre la « démocratie » dans toute la région a enflammé l’opinion arabe et islamique et a compromis non seulement la sécurité des États-Unis mais aussi celle d’une grande partie du reste du monde.

Cette situation n’a pas d’égal dans l’histoire politique américaine. Pourquoi les États-Unis ont-ils été prêts à mettre de côté leur propre sécurité et celle de plusieurs de leurs alliés pour soutenir les intérêts d’un autre État ? On pourrait supposer que la relation entre les deux pays était basée sur des intérêts stratégiques communs ou des impératifs moraux irrésistibles, mais aucune de ces interprétations ne peut expliquer le niveau remarquable du soutien matériel et diplomatique que fournissent les États-Unis.

Au lieu de cela, l’impulsion de la politique des États-Unis dans la région dérive presque entièrement de la politique domestique, et en particulier des activités du « lobby israélien ». D’autres groupes avec des intérêts particuliers sont parvenus à biaiser la politique étrangère, mais aucun lobby n’est parvenu à la détourner aussi loin de ce que l’intérêt national pourrait suggérer, tout en convainquant simultanément les Américains que les intérêts des États-Unis et ceux de l’autre pays – dans ce cas-ci, Israël – sont essentiellement identiques.

Depuis la guerre d’octobre 1973 [guerre du Kippour, ndlr], Washington a fourni à Israël un soutien en diminuant celui qui était donné aux autres États. Israël a été le plus grand bénéficiaire de l’aide économique directe et de l’assistance militaire annuelles depuis 1976, et est au total le plus grand bénéficiaire depuis la Seconde Guerre mondiale, pour un montant de plus de 140 milliards de dollars (en 2004). Israël reçoit environ 3 milliards de dollars par an en aide directe, soit environ un cinquième du budget de l’aide étrangère, et une somme d’environ 500 dollars par an par Israélien. Cette largesse heurte particulièrement depuis qu’Israël est maintenant un État industriel riche avec un revenu par personne à peu près égal à celui de la Corée du Sud ou de l’Espagne.

D’autres bénéficiaires obtiennent leur argent par des acomptes trimestriels, mais Israël reçoit la totalité de sa dotation au début de chaque exercice budgétaire et peut donc empocher dessus des intérêts. La plupart des bénéficiaires de l’aide attribuée à des fins militaires doivent la dépenser en totalité aux États-Unis, mais Israël est autorisé à utiliser environ 25 % de son attribution pour subventionner sa propre industrie de la défense. C’est le seul bénéficiaire qui n’a pas à expliquer comment l’aide est dépensée, ce qui rend pratiquement impossible d’empêcher l’argent d’être utilisé pour des besoins auxquels les États-Unis s’opposent, comme la construction de colonies en Cisjordanie. D’ailleurs, les États-Unis ont fourni à Israël presque 3 milliards de dollars pour développer des systèmes d’armements, et lui ont donné l’accès des armements top niveau comme les hélicoptères Black Hawk et les jets F-16. Enfin, les États-Unis donnent à Israël l’accès aux renseignements qu’ils refusent à ses alliés de l’OTAN et ferment les yeux sur l’acquisition par Israël d’armes nucléaires.

Washington fournit également à Israël un soutien diplomatique constant. Depuis 1982, les États-Unis ont mis leur veto à 32 résolutions du Conseil de sécurité critiquant Israël, soit plus que l’ensemble des vetos formulés par tous les autres membres du Conseil de sécurité. Il bloque les efforts des États arabes pour mettre l’arsenal nucléaire israélien sur l’agenda de l’AIEA. Les États-Unis viennent à la rescousse en temps de guerre et prennent le parti d’Israël dans les négociations de paix. L’administration Nixon l’a protégé contre la menace d’une intervention soviétique et l’a réapprovisionné pendant la guerre du Kippour. Washington s’est profondément impliqué dans les négociations qui ont mis fin à cette guerre, comme pendant toute la durée du processus « étape par étape » qui a suivi, tout comme il a joué un rôle clé dans les négociations qui ont précédé et suivi les accords d’Oslo de 1993. Dans chaque cas, il y avait des frictions occasionnelles entre les responsables américains et israéliens, mais les États-Unis ont uniformément soutenu la position israélienne. Un participant américain à Camp David en 2000 a dit ensuite : « Beaucoup trop souvent, nous agissions… en tant qu’avocat d’Israël. » Eenfin, l’ambition de l’administration Bush de transformer le Moyen-Orient a au moins en partie pour but l’amélioration de la situation stratégique d’Israël.

Cette générosité extraordinaire pourrait être compréhensible si Israël possédait des atouts stratégiques vitaux ou s’il y avait une raison morale irrésistible pour un soutien américain. Mais aucune de ces explications ne convainc. On pourrait arguer du fait qu’Israël était un atout pendant la Guerre froide. En servant de représentant de l’Amérique après 1967, il a aidé à contenir l’expansion soviétique dans la région et a infligé des défaites humiliantes aux clients de l’Union soviétique comme l’Égypte et la Syrie. Il a de temps en temps aidé à protéger d’autres alliés des États-Unis (comme le roi Hussein de Jordanie) et ses prouesses militaires ont forcé Moscou à dépenser plus pour soutenir ses propres États-clients. Il a également fourni des renseignements utiles sur les capacités soviétiques.

Le soutien à Israël ne fut pas bon marché, cependant, il a compliqué les relations de l’Amérique avec le monde Arabe. Par exemple, la décision de donner 2,2 milliards de dollars en aide militaire d’urgence pendant la Guerre d’Octobre a déclenché un embargo sur le pétrole de l’OPEP qui a infligé des dégâts considérables sur les économies occidentales. Pour tout cela, les forces armées israéliennes n’étaient pas en mesure de protéger les intérêts américains dans la région. Les États-Unis n’ont pas pu, par exemple, compter sur Israël quand la révolution iranienne en 1979 soulevait des inquiétudes au sujet de la sécurité des approvisionnements en pétrole, et ils ont dû créer leur propre force de déploiement rapide.

La première guerre du Golfe a montré à quel point Israël devenait un fardeau stratégique. Les États-Unis ne pouvaient pas utiliser des bases israéliennes sans rompre la coalition anti-irakienne, et ont dû détourner des ressources (par exemple des batteries de missiles Patriot) pour empêcher que Tel Aviv fasse quoi que ce soit qui pourrait nuire à l’alliance contre Saddam Hussein. L’histoire s’est répétée en 2003 : bien qu’Israël fût pressé d’une attaque de l’Irak par les États-Unis, Bush ne pouvait pas lui demander de l’aide sans déclencher une opposition arabe. Ainsi Israël est encore resté sur la ligne de touche.

Au début des années 90, et encore plus après le 11 Septembre, le soutien des États-Unis a été justifié par l’affirmation que les deux États étaient menacés par des groupes terroristes originaires du monde arabe et musulman, et par des « États voyous » qui soutiennent ces groupes et qui sont à la recherche d’armes de destruction massive. Cela signifiait que non seulement Washington devait laisser les mains libres à Israël face aux Palestiniens et de ne pas insister pour qu’il fasse des concessions jusqu’à ce que tous les terroristes palestiniens soient emprisonnés ou morts, mais aussi que les États-Unis devaient s’en prendre à des pays comme l’Iran et la Syrie. Israël est donc vu comme un allié crucial dans la guerre contre le terrorisme, parce que ses ennemis sont les ennemis de l’Amérique. En fait, Israël est un handicap dans la guerre contre le terrorisme et dans l’effort plus large de s’occuper des États voyous.

Le « terrorisme » n’est pas un seul adversaire, mais une stratégie utilisée par un grand nombre de groupes politiques. Les organisations terroristes qui menacent Israël ne menacent pas les États-Unis, sauf quand ils interviennent contre eux (comme au Liban en 1982). D’ailleurs, le terrorisme palestinien n’est pas une violence dirigée par hasard contre Israël ou « l’Occident » ; c’est en grande partie une réponse à la campagne prolongée d’Israël pour coloniser la Cisjordanie et la bande de Gaza.

Plus important, dire qu’Israël et les États-Unis sont unis par une menace terroriste commune a derrière un lien de cause à effet : les États-Unis ont un problème de terrorisme en grande partie parce qu’ils sont de si proches alliés d’Israël, et non le sens inverse. Le soutien à Israël n’est pas la seule source du terrorisme anti-américain, mais il est important, et cela rend la guerre contre le terrorisme plus difficile à gagner. On ne doute pas que de nombreux chefs d’Al-Qaida, y compris Oussama Ben Laden, sont motivés par la présence d’Israël à Jérusalem et par la situation difficile des Palestiniens. Le soutien inconditionnel à Israël aide les extrémistes à rallier un soutien populaire et à attirer des recrues.

Quant aux prétendus États voyous du Moyen-Orient, ils ne sont pas une grande menace pour les intérêts vitaux des États-Unis, sauf dans la mesure où ils sont une menace pour Israël. Même si ces États acquerraient des armes nucléaires – ce qui est évidemment indésirable – ni l’Amérique ni l’Israël ne pourrait faire l’objet d’un chantage, parce que le maître-chanteur ne pourrait pas mettre la menace à exécution sans souffrir de représailles terribles. Le danger d’un approvisionnement en nucléaire aux terroristes est également écarté, parce qu’un État voyou ne pourrait pas être sûr que le transfert ne serait pas détecté ou qu’il ne serait pas blâmé et puni ensuite. La relation avec Israël rend réellement aux États-Unis la tache plus difficile pour s’occuper de ces États. L’arsenal nucléaire d’Israël est l’une des raisons pour lesquelles une partie de ses voisins désire des armes nucléaires, et les menacer d’un changement de régime ne peut qu’augmenter ce désir.

Une dernière raison pour remettre en cause la valeur stratégique d’Israël, c’est qu’il ne se comporte pas comme un allié fidèle. Les responsables israéliens ignorent fréquemment les demandes américaines et renoncent à leurs promesses (y compris les engagements à cesser la construction de colonies et à s’abstenir d’« assassinats ciblés » de responsables palestiniens). Israël a fourni une technologie militaire sensible à des rivaux potentiels comme la Chine, dans ce que l’inspecteur-général du département d’État a appelé « un modèle systématique et croissant des transferts non-autorisés ». Selon le General Accounting Office, Israël a également « mené des opérations d’espionnage plus agressives contre les Etats-Unis que n’importe quel allié ». En plus de l’affaire Jonathan Pollard, qui a donné à Israël de grandes quantités de matériel secret au début des années 80 (qu’il aurait transmis à l’Union soviétique en échange de visas de sortie supplémentaires pour les juifs soviétiques), une nouvelle polémique a éclaté en 2004 quand il a été révélé qu’un haut responsable du Pentagone appelé Larry Franklin avait passé des informations secrètes à un diplomate israélien. Israël n’est pas le seul pays qui espionne les États-Unis, mais sa bonne volonté à espionner ses principaux protecteurs font plus que douter de sa valeur stratégique.

La valeur stratégique d’Israël n’est pas le seul problème. Ses supporters arguent également du fait qu’il mérite un soutien total parce qu’il est faible et entouré d’ennemis ; c’est une démocratie ; les Juifs ont souffert des crimes du passé et méritent donc un traitement spécial ; et la conduite d’Israël a été moralement supérieure à celle de ses adversaires. À y regarder de près, aucun de ces arguments n’est persuasif. Il y a une forte raison morale pour soutenir l’existence d’Israël, mais elle n’est pas en péril. D’un point de vue objectif, sa conduite passée et présente n’offre aucune base morale pour le privilégier face aux Palestiniens.

Israël est souvent dépeint comme David confronté à Goliath, mais l’inverse est plus proche de la vérité.

Contrairement à la croyance populaire, les sionistes avaient des forces plus grandes, mieux équipées et mieux dirigées pendant la guerre d’Indépendance de 1947-49, et les forces de défense israéliennes ont gagné des victoires rapides et faciles contre l’Égypte en 1956 et contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie en 1967 – tout cela avant que l’immense aide américaine commence à affluer. Aujourd’hui, Israël est la force militaire la plus puissante du Moyen-Orient. Ses forces conventionnelles sont de loin supérieures à celles de ses voisins et c’est le seul État dans la région qui possède des armes nucléaires. L’Égypte et la Jordanie ont signé des traités de paix avec lui, et l’Arabie Saoudite a offert de le faire. La Syrie a perdu son protecteur soviétique, l’Irak a été dévasté par trois guerres désastreuses et l’Iran est à des milliers de kilomètres. Les Palestiniens ont à peine une force de police efficace, encore moins une armée qui pourrait constituer une menace pour Israël. Selon une estimation du Centre Jaffee pour les études stratégiques de l’université de Tel Aviv en 2005, « l’équilibre stratégique favorise décidément Israël, qui continue à élargir le fossé qualitatif entre ses propres capacités militaires et son pouvoir de dissuasion et celles de ses voisins ». Si soutenir l’opprimé était un motif irrésistible, les États-Unis soutiendrait les adversaires d’Israël.

Qu’Israël soit une démocratie amie entourée par des dictatures hostiles ne peut pas expliquer le niveau actuel de l’aide : il y a beaucoup de démocraties dans le monde, mais aucune ne reçoit un soutien aussi somptueux. Les États-Unis ont par le passé renversé des gouvernements démocratiques et soutenu des dictateurs quand cela pouvait faire avancer ses intérêts – ils ont de bonnes relations avec un certain nombre de dictatures aujourd’hui.

Quelques aspects de la démocratie israélienne sont en désaccord avec les valeurs de base des Américains.

À la différence des États-Unis, où les gens sont censés avoir une égalité des droits indépendamment de leur race, leur religion ou leur appartenance ethnique, Israël a été explicitement fondé en tant qu’État juif et la citoyenneté est basée sur le principe de la parenté de sang. Étant donné ceci, il n’est pas étonnant que ses 1,3 millions d’Arabes soient traités comme des citoyens de seconde zone, ou qu’une récente commission du gouvernement israélien ait constaté qu’Israël se comporte d’une façon « négligeante et discriminatoire » envers eux. Son statut démocratique est également miné par son refus d’accorder aux Palestiniens leur propre État viable ou l’intégralité de leurs droits politiques.

Une troisième justification est l’histoire de la souffrance des juifs dans l’Occident chrétien, en particulier pendant l’Holocauste. Puisque les Juifs ont été persécutés pendant des siècles et qu’ils ne peuvent se sentir en sécurité que dans une patrie juive, beaucoup de gens pensent maintenant qu’Israël mérite un traitement spécial de la part des États-Unis. La création du pays était assurément une réponse appropriée au long registre des crimes contre les juifs, mais cela a également provoqué de nouveaux crimes contre un tiers en grande partie innocent : les Palestiniens.

Cela avait été bien compris par les premiers responsables d’Israël. David Ben-Gourion avait indiqué à Nahum Goldmann, le président du Congrès juif mondial :

« Si j’étais un leader arabe je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays… Nous venons d’Israël, mais il y a deux mille ans, et qu’est-ce que c’est pour eux ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais quelle est leur faute ? Ils voient seulement une chose : nous sommes venus ici et nous avons volé leur pays. Pourquoi devraient-ils accepter cela ? »

Depuis lors, les responsables israéliens ont à plusieurs reprises cherché à nier les « ambitions nationales » des Palestiniens. Quand elle était Premier ministre, Golda Meir a fait cette fameuse remarque :

« Il n’y a jamais eu ce qu’on appelle les Palestiniens. »

La pression de la violence extrémiste et la croissance de la population palestinienne ont forcé les responsables israéliens au désengagement de la bande de Gaza et à envisager d’autres compromis territoriaux, mais même Yitzhak Rabin ne voulait pas offrir aux Palestiniens un État viable. La soi-disant « offre généreuse d’Ehud Barak » à Camp David leur aurait donné seulement un ensemble de Bantustans désarmés sous contrôle israélien. L’histoire tragique des Juifs n’oblige pas les États-Unis à aider Israël aujourd’hui quoi qu’il fasse.

Les supporters d’Israël le dépeignent également comme un pays qui a cherché la paix dès qu’il pouvait et qui a montré beaucoup de retenue même lorsqu’il était provoqué. On dit que les Arabes, en revanche, agissent avec une grande méchanceté. Pourtant, sur le terrain, les actes d’Israël ne se distinguent pas de ceux de ses adversaires. Ben-Gourion a reconnu que les premiers sionistes étaient loin d’être bienveillants envers les Arabes palestiniens, qui ont résisté à leurs usurpations – ce qui est à peine étonnant, étant donné que les sionistes essayaient de créer leur propre État sur la terre arabe. De la même manière, la création d’Israël en 1947-48 a impliqué des actes de nettoyage ethnique, y compris des exécutions, des massacres et des viols par les juifs, et la conduite ultérieure d’Israël a souvent été brutale, démentant tout supériorité morale. Entre 1949 et 1956, par exemple, les forces de sécurité israéliennes ont tué entre 2 700 et 5 000 Arabes qui revenaient en s’infiltrant ; la grande majorité d’entre eux n’étaient pas armés. Elles ont assassiné des centaines de prisonniers de guerre égyptiens dans les guerres de 1956 et 1967, alors qu’en 1967, elles expulsaient entre 100 000 et 260 000 Palestiniens de la Cisjordanie nouvellement conquise, et ont conduit 80 000 Syriens hors des hauteurs du Golan.

Pendant la Première Intifada, Tsahal distribuait à ses troupes des matraques et les encourageait à briser les os des protestataires palestiniens. La section suédoise de Save the Children a estimé qu’entre « 23 600 et 29 900 enfants ont eu besoin de soins médicaux pour leurs blessures suite aux tabassages lors des deux premières années de l’Intifada ». Presque d’un tiers d’entre eux étaient âgés de 10 ans ou moins. La réponse à la Seconde Intifada a été bien plus violente, menantHa’aretz à déclarer que « Tsahal se transforme en machine à tuer dont l’efficacité inspire la crainte, et choque pourtant. » L’Armée de défense d’Israël a tiré un million de balles pendant les premiers jours du soulèvement. Depuis lors, pour chaque Israélien perdu, Israël a tué 3,4 Palestiniens, dont la majorité étaient des spectateurs innocents ; la proportion entre les enfants Palestiniens et les enfants Israéliens tués est encore plus élevée (5,7 pour 1). Il est également intéressant de garder à l’esprit que les sionistes utilisaient des bombes terroristes pour faire partir les Anglais de la Palestine, et que Yitzhak Shamir, au début, terroriste et ensuite Premier ministre, avait avoué que « ni l’éthique juive ni la tradition juive ne peut éliminer le terrorisme comme moyens de combat ».

Le recours des Palestiniens au terrorisme est mauvais mais n’est pas étonnant. Les Palestiniens pensent qu’ils n’ont aucune autre moyen de forcer les Israéliens à faire des concessions. Comme Ehud Barak l’a un jour admis, s’il était né Palestinien, il « aurait rejoint une organisation terroriste ».

Donc, si ni les arguments stratégiques ni les arguments moraux ne peuvent justifier le soutien de l’Amérique à Israël, comment l’expliquer ?

L’explication est le pouvoir inégalé du lobby israélien. Nous utilisons « le Lobby » comme raccourci pour la coalition floue [loose coalition] d’individus et d’organisations qui travaille activement pour orienter la politique étrangère des États-Unis dans une direction pro-israélienne. Ceci n’est pas censé suggérer que « le Lobby » est un mouvement uni avec une direction générale, ou que les individus qui en font partie ne sont pas en désaccord sur certaines questions. Tous les Américains juifs ne font pas partie du Lobby, parce que Israël n’est pas un sujet proéminent pour bon nombre d’entre eux. Dans une enquête de 2004, par exemple, environ 36 % des juifs américains ont déclaré qu’ils étaient « pas vraiment » ou « pas du tout » émotionnellement attachés à Israël.

Les Américains juifs se différencient également sur des politiques israéliennes spécifiques. Plusieurs des principales organisations du Lobby, telles que le Comité aux affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC) et la Conférence des présidents des principales organisations juives, sont dirigées par des intransigeants qui soutiennent généralement la politique expansionniste du parti du Likoud, y compris son hostilité au processus de paix d’Oslo. La majeure partie des juifs américains est par contre plus encline à faire des concessions aux Palestiniens, et quelques groupes – tels que Jewish Voice for Peace – préconisent fortement de telles initiatives. En dépit de ces différences, les modérés et les intransigeants sont tous en faveur d’un soutien absolu à Israël.

Sans surprise, les leaders juifs américains consultent souvent les responsables israéliens, pour s’assurer que leurs actions font avancer les objectifs israéliens. Comme l’a écrit un activiste d’une importante organisation juive, « Nous disons souvent : “C’est notre politique sur une certaine question, mais nous devons vérifier ce que pensent les Israéliens.” Nous, en tant que communauté, le faisons tout le temps. » Il y a un gros préjudice à critiquer la politique israélienne, et faire pression sur Israël est considéré comme hors de question. Edgar Bronfman Sr, Président du Congrès juif mondial, a été accusé de « perfidie » quand il a écrit une lettre au président Bush mi-2003 l’invitant à persuader Israël de limiter la construction de sa « barrière de sécurité » controversée. Ses critiques ont dit qu’il « est toujours obscène que le président du Congrès juif mondial incite le président des États-Unis à résister à la politique promue par le gouvernement israélien ».

De même, quand le président du forum politique d’Israël, Seymour Reich, a conseillé à Condoleezza Rice en novembre 2005 de demander à Israël de rouvrir un passage des frontières critique dans la bande de Gaza, son action a été dénoncée comme « irresponsable » : « Il n’y a, ont dit ses critiques, absolument aucune place dans le principal courant juif pour une prospection active contre la politique liée à la sécurité… d’Israël. » Reculant devant ces attaques, Reich a annoncé que « le mot “pression” n’est pas dans mon vocabulaire quand il s’agit d’Israël ».

Les Américains juifs ont créé un nombre impressionnant d’organisations pour influencer la politique étrangère américaine, dont l’AIPAC, la plus puissante et la mieux connue. En 1997, le magazine Fortune a demandé à des membres du Congrès et à leurs équipes d’énumérer les lobbies les plus puissants à Washington. L’AIPAC a été placée en seconde place derrière l’Association américaine des retraités (AARP), mais devant l’AFL-CIO et la National Rifle Association (NRA). Une enquête du National Journal en mars 2005 a tiré la même conclusion, en plaçant l’AIPAC en seconde place (à égalité avec l’AARP) dans le « classement des muscles » à Washington.

Le Lobby comprend également des chrétiens évangélistes bien connus comme Gary Bauer, Jerry Falwell, Ralph Reed et Pat Robertson, tout comme Dick Armey et Tom Delay, d’anciens chefs de la majorité à la Chambre des Représentants, qui tous croient que la renaissance d’Israël est l’accomplissement d’une prophétie biblique et soutiennent son agenda expansionniste ; agir autrement, pensent-ils, serait contraire à la volonté de Dieu. Des gentils (non-juifs) néo-conservateurs tels que John Bolton ; Robert Bartley, l’ancien rédacteur de journal Wall Street ; William Bennett, l’ancien secrétaire de l’Éducation ; Jeane Kirkpatrick, ancien ambassadeur de l’ONU ; et l’influent chroniqueur George Will en sont également des fermes défenseurs.

La forme du gouvernement américain offre aux activistes de nombreuses façons d’influencer le processus politique. Les groupes d’intérêt peuvent inciter les représentants élus et les membres du bureau exécutif, apportent des contributions de campagne, votent aux élections, tentent de façonner l’opinion publique, etc. Ils se réjouissent de leur influence disproportionnée quand ils s’engagent sur une question à laquelle la majeure partie de la population est indifférente. Les politiciens auront tendance à satisfaire ceux qui s’intéressent au sujet, même si leurs nombres sont petits, persuadés que le reste de la population ne les pénalisera pas pour avoir agi ainsi.

Dans son fonctionnement de base, le lobby israélien n’est pas différent du lobby des fermiers, de celui des syndicats de l’acier ou du textile, ou d’autres lobbies ethniques. Il n’y a rien d’abusif concernant le fait que les juifs américains et leurs alliés chrétiens essayent d’influencer la politique américaine : les activités du Lobby ne sont pas une conspiration telle qu’elle est représentée dans des appareils comme les Protocoles des sages de Sion. Pour la plupart, les individus et les groupes qui en font partie font seulement ce que d’autres groupes d’intérêt font, mais le font beaucoup mieux. En revanche, les groupes d’intérêt pro-Arabes, pour autant qu’ils existent, sont faibles, ce qui rend la tâche encore plus facile au lobby israélien.

Le Lobby poursuit deux grandes stratégies.

D’abord, il utilise son influence significative à Washington, en faisant pression sur le Congrès et le bureau exécutif. Quelle que soit l’opinion d’un législateur ou d’un politicien, le Lobby tente de faire que le soutien à Israël soit le « bon » choix. En second lieu, il tâche de s’assurer que le discours public dépeigne Israël sous un jour positif, en répétant des mythes au sujet de sa création et en défendant son point de vue dans des débats politiques. Le but est d’empêcher que des commentaires critiques puissent obtenir une audience équitable dans l’arène politique. Le contrôle de la discussion est essentiel pour garantir le soutien américain, parce qu’une discussion sincère sur les relations américano-israéliennes pourrait mener les Américains à favoriser une politique différente.

Un pilier clé de l’efficacité du Lobby est son influence au Congrès, où Israël est pratiquement immunisé contre les critiques. C’est en soi remarquable, parce que le Congrès évite rarement les sujet de controverse. Quand Israël est concerné, cependant, les critiques potentielles disparaissent. Une des raisons est que certains des membres principaux sont des sionistes chrétiens, comme Dick Armey, qui a dit en septembre 2002 : « Ma priorité numéro 1 dans la politique étrangère est de protéger Israël. » On pourrait penser que la priorité numéro 1 de tout membre du Congrès devrait être de protéger l’Amérique. Il y a également des sénateurs et des membres du Congrès juifs qui travaillent pour s’assurer que la politique étrangère des États-Unis soutienne les intérêts d’Israël.

Une autre source du pouvoir du Lobby est son utilisation du personnel pro-israélien du Congrès. Comme l’a admis un jour Morris Amitay, un ancien chef de l’AIPAC :

« Il y a beaucoup de types à des postes de cadres ici – sur Capitol Hill – qui s’avèrent justement être juifs, qui sont disposés… à voir certains sujets en termes de leur appartenance à la communauté juive… Ce sont tous des types qui sont en mesure de prendre une décision dans ces domaines pour ces sénateurs… On peut vous mener une vie affreuse juste au niveau de l’équipe. »

Cependant, l’AIPAC lui-même forme le cœur de l’influence du Lobby au Congrès. Son succès est dû à sa capacité de récompenser les législateurs et les candidats au Congrès qui soutiennent son ordre du jour, et de punir ceux qui le défient. L’argent est critique dans les élections américaines (comme nous le rappelle le scandale sur les affaires douteuses du lobbyiste Jack Abramoff), et l’AIPAC s’assure que ses amis obtiennent une forte aide financière des nombreux comités d’action politique pro-israéliens. Toute personne qui est vue comme hostile à Israël peut être sûre que l’AIPAC orientera des contributions de campagne à ses adversaires politiques. L’AIPAC organise également des campagnes d’écriture de lettres et encourage les rédacteurs de journaux à approuver les candidats pro-israéliens.

Il n’y a aucun doute sur l’efficacité de ces stratégies. Voici un exemple : aux élections de 1984, l’AIPAC a aidé à battre le sénateur Charles Percy de l’Illinois, qui, selon un haut responsable du Lobby, avait montré « de l’insensibilité et même de l’hostilité envers nos intérêts ». Thomas Dine, le chef de l’AIPAC à l’époque, a expliqué ce qui s’est produit :

« Tous les Juifs en Amérique, d’une côte à l’autre, se sont réunis pour évincer Percy. Et les politiciens américains – ceux qui occupent des positions publiques maintenant, et ceux qui y aspirent – ont reçu le message. »

L’influence de l’AIPAC sur la colline du Capitole va même encore plus loin. Selon Douglas Bloomfield, un ancien membre de la direction de l’AIPAC, « il est commun pour les membres du Congrès et leurs équipes de se tourner d’abord vers l’AIPAC quand ils ont besoin d’information, avant d’appeler la Bibliothèque du Congrès, le service de recherches du Congrès, le personnel du comité ou des experts en matière d’administration ». Plus important, il note que l’AIPAC « est souvent invité à rédiger des discours, à travailler sur la législation, à conseiller sur des stratégies, à effectuer des recherches, à rassembler des co-sponsors et des votes de marshal ».

Le résultat est que l’AIPAC, agent d’un gouvernement étranger, a la mainmise sur le Congrès, avec comme conséquence : la politique américaine envers Israël n’y est pas discutée, bien que cette politique ait des conséquences importantes pour le monde entier. En d’autres termes, une des trois principales branches du gouvernement est fermement investie dans le soutien à Israël. Comme le remarquait un ancien sénateur Démocrate, Ernest Hollings, en quittant le bureau : « Vous ne pouvez pas avoir une politique israélienne autre que celle que l’AIPAC vous donne ici. » Ou comme ce qu’a dit un jour Ariel Sharon à un public américain : « Quand les gens me demandent comment ils peuvent aider Israël, je leur dis : “Aidez l’AIPAC.” »

Grâce en partie à l’influence qu’ont les électeurs juifs sur les élections présidentielles, le lobby a également un pouvoir significatif sur l’exécutif. Bien qu’ils constituent moins de 3 % de la population, ils font de grosses donations de campagne aux candidats des deux partis. LeWashington Post a par le passé estimé que les candidats démocrates à l’élection présidentielle « dépendent des partisans juifs, qui fournissent au moins de 60 % de l’argent ».

Et parce que les électeurs juifs ont des taux élevés de participation aux élections et sont concentrés dans les États clés comme la Californie, la Floride, l’Illinois, New York et la Pennsylvanie, les candidats à la présidence vont loin pour ne pas les contrarier. Les principales organisations du Lobby travaillent à s’assurer que les critiques d’Israël n’obtiennent pas de postes importants en politique étrangère. Jimmy Carter voulait que George Ball soit son premier secrétaire d’État, mais il savait que Ball était connu comme un critique d’Israël et que le Lobby s’opposerait à sa nomination. De cette façon, tout aspirant politicien est encouragé à devenir un défenseur d’Israël manifeste, c’est pourquoi les critiques publics de la politique israélienne sont devenus des espèces en danger dans l’establishment de la politique étrangère.

Quand Howard Dean a appelé les États-Unis à prendre un rôle « plus équitable » dans le conflit arabo-israélien, le sénateur Joseph Lieberman l’a accusé de vendre Israël et a dit que sa déclaration était « irresponsable ». Pratiquement tous les principaux démocrates à la Chambre des Représentants ont signé une lettre critiquant les remarques de Dean, et le Chicago Jewish Star a rapporté que : « Des activistes anonymes… encombrent les boites mails des responsables juifs du pays, pour prévenir – sans beaucoup de preuve – que Dean serait plutôt mauvais pour Israël. »

Cette inquiétude était absurde ; Dean est, en fait, tout à fait pro-Israélien : son co-responsable de campagne était un ancien président de l’AIPAC, et Dean a déclaré que ses propres opinions sur le Moyen-Orient étaient plus proches de celles de l’AIPAC que celles des plus modérés que sont Americans for Peace Now. Il avait simplement suggéré que « en réunisant les deux parties », Washington agirait en tant qu’intermédiaire honnête. C’est une idée difficilement perceptible comme radicale, mais le Lobby ne tolère pas l’impartialité.

Pendant l’administration Clinton, la politique moyen-orientale était en grande partie façonnée par des responsables ayant des liens étroits avec Israël ou d’importantes organisations pro-israéliennes ; parmi eux, Martin Indyk, l’ancien directeur adjoint de la recherche à l’AIPAC et le co-fondateur du pro-israélien Washington Institute for Near East Policy (WINEP) ; Dennis Ross, qui a rejoint le WINEP après avoir quitté le gouvernement en 2001 ; et Aaron Miller, qui a habité en Israël et visite souvent le pays. Ces hommes étaient parmi les conseillers les plus proches de Clinton au sommet de Camp David en juillet 2000. Tous les trois soutenaient le processus de paix d’Oslo et privilégiaient la création d’un État palestinien ; mais ils l’ont fait seulement dans les limites de ce qui semblerait acceptable pour Israël. La délégation américaine a pris ses consignes auprès d’Ehud Barak, a coordonné à l’avance avec Israël ses positions de négociation, et n’a pas offert de propositions indépendantes. Sans surprise, les négociateurs palestiniens se sont plaints qu’ils « étaient en pourparlers avec deux équipes israéliennes – l’une affichant un drapeau israélien, et l’autre un drapeau américain ».

La situation [était] bien plus prononcée dans l’administration Bush, dont les rangs comprenaient des avocats aussi fervents de la cause israélienne comme Elliot Abrams, John Bolton, Douglas Feith, I. Lewis (« Scooter ») Libby, Richard Perle, Paul Wolfowitz et David Wurmser. Comme nous le verrons, ces responsables ont uniformément poussé pour des politiques privilégiées par Israël et soutenues par des organisations du Lobby.

Le Lobby ne veut pas de débat public, naturellement, parce que cela pourrait mener les Américains à remettre en cause le niveau de soutien qu’ils fournissent. En conséquence, les organisations pro-israéliennes travaillent dur pour influencer les institutions, qui font tout ce qu’elles peuvent pour façonner l’opinion populaire.

La perspective du Lobby règne dans les médias traditionnels : « Le débat parmi les experts du Moyen-Orient, écrit le journaliste Eric Alterman, est dominé par des gens qui ne peuvent pas imaginer critiquer Israël. » Il énumère soixante et un « chroniqueurs et commentateurs sur lesquels on peut compter pour soutenir Israël par réflexe et sans qualification ». En revanche, il a trouvé seulement cinq experts qui critiquent uniformément les actions israéliennes ou approuvent les positions arabes. Les journaux publient de temps en temps des articles d’invités critiquant la politique israélienne, mais l’équilibre de l’opinion favorise clairement l’autre côté. Il est difficile d’imaginer un média traditionnel aux États-Unis publier un article comme celui-ci.

« Shamir, Sharon, Bibi – tout ce que veulent ces types me semble très bien », a un jour remarqué Robert Bartley. Il n’est pas étonnant que, son journal, le Wall Street Journal, ainsi que d’autres journaux importants comme le Chicago Sun-Times et le Washington Times, publient régulièrement des éditoriaux qui soutiennent fortement Israël. Des magazines comme le Commentary, le New Republic et le Weekly Standard défendent Israël à chaque fois.

On trouve également des éditoriaux partiaux dans des journaux comme le New York Times, qui critique de temps en temps la politique israélienne et concède parfois que les Palestiniens ont des revendications légitimes, sans pour autant être équitable. Dans ses mémoires, l’ancien directeur de la rédaction du journal, Max Frankel, reconnaît l’impact que sa propre attitude a eu sur ses décisions éditoriales :

« J’ai été bien plus profondément dévoué à Israël que je n’ai osé l’affirmer.. Enrichi par ma connaissance d’Israël et de mes amitiés là-bas, j’ai moi-même écrit la plupart de nos commentaires sur le Moyen-Orient. Comme l’ont reconnu plus de lecteurs arabes que de juifs, je les ai écrits d’une perspective pro-israélienne. »

Les nouveaux reportages sont plus équitables, en partie parce que les journalistes tâchent d’être objectifs, mais également parce qu’il est difficile de couvrir des événements dans les territoires occupés sans reconnaître les actions d’Israël sur le terrain. Pour décourager les reportages défavorables, le Lobby organise des campagnes d’écriture de lettres, des manifestations et des boycotts des nouvelles publications dont le contenu est considéré comme anti-israélien. Un directeur de CNN a dit qu’il reçoit parfois 6 000 courriels en une seule journée pour se plaindre d’une histoire. En mai 2003, le pro-israélien Committee for Accurate Middle East Reporting in America (CAMERA) a organisé des manifestations à l’extérieur des stations de National Public Radio dans trente-trois villes ; il a également essayé de persuader les donateurs de suspendre le soutien au NPR jusqu’à ce que sa couverture moyen-orientale devienne plus sympathique à Israël. La station du NPR de Boston, WBUR, aurait perdu plus d’un million de dollars de contributions suite à ces efforts. D’autres pressions sur la NPR sont venues des amis d’Israël au Congrès, qui ont demandé un audit interne de sa couverture moyen-orientale ainsi que plus de surveillance.

Le côté israélien domine également les think tanks qui jouent un rôle important dans le façonnage du débat public ainsi que dans la politique actuelle. Le Lobby a créé son propre think tank en 1985, quand Martin Indyk a aidé à créer le WINEP. Bien que le WINEP garde secret ses liens avec Israël, en affirmant qu’il fournit une perspective « équilibrée et réaliste » sur les questions du Moyen-Orient, il est financé et dirigé par des individus profondément engagés dans la progression de l’agenda d’Israël.

Cependant, l’influence du Lobby se prolonge bien au delà du WINEP. Au cours des 25 dernières années, les forces pro-israéliennes ont installé une présence dominante à l’American Enterprise Institute, au Brookings Institution, au Center for Security Policy, au Foreign Policy Research Institute, à l’Heritage Foundation, à l’Hudson Institute, à l’Institute for Foreign Policy Analysis et au Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA). Ces think tanks formulent peu de critiques du soutien américain à Israël, voire aucune.

Prenons le Brookings Institution. Pendant de nombreuses années, son principal expert sur le Moyen-Orient était William Quandt, un ancien fonctionnaire du NSC avec une réputation bien méritée d’impartialité. Aujourd’hui, la couverture de Brookings est menée par le Saban Center for Middle East Studies, qui est financé par Haim Saban, un homme d’affaires israélo-américain et sioniste ardent. Le directeur du centre est l’omniprésent Martin Indyk. Ce qui était par le passé un institut de politique indépendant fait maintenant partie du chœur pro-israélien.

Là où le Lobby a eu la plus grosse difficulté, c’est dans l’étouffement du débat sur les campus d’université.

Dans les années 90, quand le processus de paix d’Oslo était en cours, il y avait seulement une légère critique d’Israël, mais elle s’est développée avec l’effondrement d’Oslo et l’accès au pouvoir de Sharon, devenant tonitruante quand Tsahal a réoccupé la Cisjordanie au printemps 2002 et qu’elle a utilisé une force énorme pour maitriser le Deuxième Intifada.

Le Lobby a agi immédiatement pour « reprendre les campus ». Des nouveaux groupes ont pris naissance, comme la Caravan for Democracy, qui a fait venir des intervenants israéliens dans les universités américaines. Des groupes établis comme le Jewish Council for Public Affairs et Hillel s’y sont joints, et un nouveau groupe, l’Israël on Campus Coalition, a été constitué pour coordonner les nombreux organismes qui cherchent maintenant à aborder le cas d’Israël. Enfin, l’AIPAC a plus que triplé ses dépenses dans des programmes pour surveiller les actions dans les universités et pour former de jeunes avocats, dans le but « d’augmenter énormément le nombre d’étudiants impliqués sur les campus… dans le cadre de l’effort national pro-israélien ».

Le Lobby surveille également ce que les professeurs écrivent et enseignent. En septembre 2002, Martin Kramer et Daniel Pipes, deux néo-conservateurs passionnément pro-israéliens, ont créé un site internet (Campus Watch) qui affiche des dossiers sur des universitaires suspects et encourage les étudiants à relater les remarques ou les comportements qui pourraient être considérés comme hostiles à Israël. Cette tentative transparente de mettre sur une liste noire et d’intimider les professeurs a provoqué une sévère réaction et Pipes et Kramer ont plus tard enlevé les dossiers, mais le site Internet invite toujours les étudiants à rapporter toute activité « anti-israélienne ».

Des groupes du Lobby ont fait pression sur des universitaires et des universités particuliers. Columbia a été une cible fréquente, sans aucun doute en raison de la présence du défunt Edward Said dans son corps enseignant. « On pouvait être sûr que toute déclaration publique en soutien aux Palestiniens faite par l’éminent critique littéraire Edward Said récolterait des centaines d’e-mails, de lettres et de compte-rendus journalistiques nous invitant à dénoncer Said et soit à le sanctionner soit à le renvoyer », rapportait Jonathan Cole, son ancien principal. Quand Columbia a recruté l’historien Rashid Khalidi de Chicago, la même chose s’est produite. Ce fut un problème que Princeton a également affronté quelques années plus tard quand il a envisagé de courtiser Khalidi pour qu’il parte de Columbia.

Une illustration classique de l’effort pour maintenir l’ordre dans le milieu universitaire s’est produite vers la fin 2004, quand le Projet David a produit un film alléguant que les membres du corps enseignant du programme d’études moyen-orientales de Columbia étaient antisémites et intimidaient les étudiants juifs qui se positionnaient pour Israël. Columbia a été sur des charbons ardents, mais un comité du corps enseignant qui a été assigné pour enquêter sur les accusations n’a trouvé aucune preuve d’antisémitisme et le seul incident éventuellement notable était qu’un professeur avait « répondu âprement » à la question d’un étudiant. Le comité a également découvert que les universitaires en question avaient été eux-mêmes la cible d’une campagne manifeste d’intimidation.

L’aspect peut-être le plus inquiétant dans tout cela, ce sont les efforts faits par les groupes juifs pour pousser le Congrès à établir des mécanismes pour surveiller ce que disent les professeurs. S’ils parviennent à le faire voter, des universités considérées comme ayant une tendance anti-israélienne pourraient se voir refuser un financement fédéral. Leurs efforts n’ont pas encore abouti, mais cela indique l’importance placée sur le contrôle du débat.

Un certain nombre de philanthropes juifs ont récemment créé des programmes d’études d’Israël (en plus des quelque 130 programmes d’études juifs existant déjà) afin d’augmenter le nombre d’élèves amis d’Israël sur les campus. En mai 2003, l’université de New York (NYU) a annoncé la création du Taub Center for Israël Studies ; des programmes semblables ont été créés à Berkeley, Brandeis et Emory. Les administrateurs universitaires soulignent leur valeur pédagogique, mais la vérité est qu’ils ont en grande partie pour objectif de favoriser l’image d’Israël. Fred Laffer, directeur de la Taub Foundation, indique clairement que sa fondation a financé le centre de NYU pour aider à contrer « le point de vue [sic] arabe » qu’il pense être répandu dans les programmes moyen-orientaux de NYU.

Aucune discussion sur le Lobby ne serait complète sans examen d’une de ses armes plus puissantes : l’accusation d’antisémitisme. Toute personne qui critique les actions d’Israel ou argue du fait que les groupes pro-Israéliens ont une influence significative sur la politique moyen-orientale des États-Unis – un hommage à l’influence de l’AIPAC – a une forte chance d’être traitée d’antisémite. En effet, toute personne qui affirme simplement qu’il y a un lobby israélien court le risque d’être accusée d’antisémitisme, bien que les médias israéliens fassent référence au « lobby juif » en Amérique. En d’autres termes, le Lobby se vante d’abord de son influence et attaque ensuite toute personne qui attire l’attention sur lui. C’est une stratégie très efficace : l’antisémitisme est quelque chose dont personne ne veut être accusé.

Les Européens ont été plus disposés que les Américains à critiquer la politique israélienne, ce que certains attribuent à une réapparition de l’antisémitisme en Europe. « Nous arrivons à un point, déclarait l’ambassadeur américain auprès de l’Union Européenne début 2004, qui est aussi abominable que ce qui se passait dans les années 30. » Mesurer l’antisémitisme est une chose compliquée, mais le poids des preuves montrent la direction opposée. Au printemps 2004, quand les accusations d’antisémitisme européen se sont répandues en Amérique, différents sondages d’opinion publique européenne menés par l’Anti-Defamation League basée aux États-Unis et le Pew Research Center for the People and the Press ont constaté qu’en fait il diminuait. Dans les années 30, en revanche, l’antisémitisme était non seulement répandu parmi les Européens de toutes classes, mais était considéré comme tout à fait acceptable.

Le Lobby et ses amis dépeignent souvent la France comme le pays le plus antisémite d’Europe. Mais en 2003, le chef de la communauté juive française a déclaré que « la France n’était pas plus antisémite que l’Amérique ». Selon un article récent paru dans Ha’aretz, la police française a rapporté que les incidents antisémites avaient diminué de près de 50 % en 2005 ; et cela bien que la France ait la plus grande population musulmane d’Europe. Enfin, quand un juif français a été assassiné à Paris le mois dernier par un gang musulman, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues pour condamner l’antisémitisme. Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont tous les deux assisté à l’office commémoratif de la victime pour montrer leur solidarité.

Personne ne nierait qu’il y a de l’antisémitisme parmi les musulmans européens, en partie provoquée par la conduite d’Israël envers les Palestiniens et une partie parce qu’il y a tout simplement du racisme. Mais c’est une question distincte de celle consistant à savoir si oui ou non l’Europe est aujourd’hui comme l’Europe des années 30. Personne ne nierait qu’il reste quelques antisémites autochtones virulents en Europe (comme il y en a aux États-Unis) mais ils ne sont pas nombreux et leurs opinions sont rejetées par la grande majorité des Européens.

Quand ils sont pressés d’aller au delà de la seule affirmation, les avocats d’Israël prétendent qu’il y a un « nouvel antisémitisme », qui équivaut à une critique d’Israël. En d’autres termes, critiquez la politique israélienne et vous êtes par définition un antisémite. Quand le synode de l’Église anglicane a récemment voté pour désinvestir de Caterpillar Inc. parce qu’il fabrique des bulldozers utilisés par les Israéliens pour démolir les maisons palestiniennes, le Grand Rabbin s’est plaint que cela « aurait des répercussions les plus défavorables sur… les relations entre les Juifs et les Chrétiens en Grande-Bretagne », tandis que le rabbin Tony Bayfield,à la tête du Mouvement de Réforme, disait : « Il y a un net problème d’attitudes antisionistes – à la limite de l’antisémitisme – émergeant de la base et même des catégories au centre de l’Église ». Mais l’Église était simplement coupable de protestation contre la politique du gouvernement israélien.

Des critiques sont également accusés de mésestimer Israël à un niveau injustifié ou de remettre en cause son droit à exister. Mais ce sont de fausses accusations aussi. Les critiques occidentaux d’Israël ne remettent presque jamais en cause son droit à exister : ils remettent en cause son comportement envers les Palestiniens, tout comme les Israéliens eux-mêmes. Israël n’est pas non plus jugé injustement. Le traitement des Palestiniens par les Israéliens attire la critique parce qu’il est contraire aux notions largement admises des droits de l’homme, au droit international et au principe de l’autodétermination nationale. Et c’est difficilement le seul État à avoir affronté de vives critiques pour ces raisons.

En automne 2001, et particulièrement au printemps 2002, l’administration Bush a tenté de réduire le sentiment anti-américain dans le monde arabe et de saper le soutien aux groupes terroristes comme Al-Qaida en stoppant la politique expansionniste d’Israël dans les territoires occupés et en préconisant la création d’un État palestinien. Bush avait à sa disposition des moyens de persuasion très significatifs. Il aurait pu menacer de réduire le soutien économique et diplomatique à Israël, et les Américains l’auraient presque certainement soutenu.

Un sondage de mai 2003 indiquait que plus de 60 % des Américains étaient disposés à retenir l’aide si Israël résistait à la pression des États-Unis pour régler le conflit, et que le nombre atteignait 70 % parmi « les politiquement actifs ». En effet, 73 % ont dit que les États-Unis ne devraient pas favoriser l’une ou l’autre partie.

Pourtant, l’Administration n’a pas changé la politique israélienne, et Washington a fini par la soutenir. Avec le temps, l’Administration a également adopté les propres justifications d’Israël sur sa position, de sorte que la rhétorique des États-Unis a commencé à imiter la rhétorique israélienne. En février 2003, un titre du Washington Post résumait la situation : « Bush et Sharon presque identiques sur la politique du Moyen-Orient. »

La raison principale de ce changement était le Lobby.

L’histoire commence en septembre 2001, quand Bush a commencé à inviter Sharon pour qu’il montre de la retenue dans les territoires occupés. Il l’a également pressé de permettre au ministre des Affaires étrangères israélien, Shimon Peres, de rencontrer Yasser Arafat, quoiqu’il (Bush) ait fortement critiqué le leadership d’Arafat. Bush a même dit publiquement qu’il soutenait la création d’un État palestinien. Alarmé, Sharon l’a accusé de tenter « d’apaiser les Arabes à nos frais », en avertissant qu’Israël « ne sera pas la Tchécoslovaquie ».

Bush était soi-disant furieux d’avoir été comparé à Chamberlain, et le secrétaire de presse de la Maison Blanche a qualifié les remarques de Sharon d’« inacceptables ». Sharon a présenté des excuses, mais il a rapidement réuni ses forces à celles du Lobby pour persuader l’Administration et les Américains que les États-Unis et Israël affrontaient une menace terroriste commune. Des responsables israéliens et des représentants du Lobby ont insisté sur le fait qu’il n’y avait aucune véritable différence entre Arafat et Oussama Ben Laden : les États-Unis et Israël, ont-ils dit, devraient isoler le chef élu des Palestiniens et ne rien avoir à faire avec lui.

Le Lobby est également allé travailler au Congrès.

Le 16 novembre, 89 sénateurs ont envoyé une lettre à Bush en le félicitant d’avoir refusé de rencontrer Arafat, mais en demandant également que les États-Unis ne retiennent pas Israël de représailles contre les Palestiniens ; l’administration, écrivaient-ils, doit déclarer publiquement qu’elle se tient derrière Israël. Selon le New York Times, la lettre « provenait » d’une réunion qui s’était déroulée deux semaines auparavant entre les « responsables de la communauté juive américaine et les principaux sénateurs », en ajoutant que l’AIPAC avait été « particulièrement actif en fournissant des conseils au sujet de la lettre ».

Fin novembre, les relations entre Tel Aviv et Washington s’étaient considérablement améliorées. C’était grâce en partie aux efforts du Lobby, mais également grâce à la victoire initiale de l’Amérique en Afghanistan, qui a réduit le besoin détecté d’un soutien arabe dans l’affrontement avec Al-Qaida. Sharon s’est rendu à la Maison Blanche début décembre et a eu une réunion amicale avec Bush.

En avril 2002, des problèmes ont encore éclaté, après que Tsahal a lancé l’opération Bouclier Défensif et qu’il ait repris le contrôle de pratiquement tous les principaux secteurs palestiniens de Cisjordanie. Bush savait que les actions d’Israël endommageraient l’image de l’Amérique dans le monde islamique et mineraient la guerre contre le terrorisme, donc il a exigé que Sharon « cesse les incursions et commence le retrait ». Il a souligné ce message deux jours plus tard, en disant qu’il voulait qu’Israël « se retire sans tarder ». Le 7 avril, Condoleezza Rice, conseiller à la Sécurité nationale de Bush à l’époque, a déclaré aux journalistes : « “Sans tarder” signifie sans tarder. Cela signifie maintenant. » Le même jour, Colin Powell partait pour le Moyen-Orient afin de persuader toutes les parties de cesser de combattre et de commencer à négocier.

Israël et le Lobby sont entrés en action.

Les membres pro-israéliens du bureau du vice-président et du Pentagone, ainsi que des experts néo-conservateurs tels que Robert Kagan et William Kristol, ont mis la pression sur Powell. Ils l’ont même accusé d’avoir « pratiquement effacé la distinction entre des terroristes et ceux qui combattent les terroriste ». Bush lui-même était pressé par des leaders juifs et des évangélistes chrétiens. Tom DeLay et Dick Armey étaient particulièrement francs sur la nécessité de soutenir Israël, et DeLay et le chef de la minorité au Sénat, Trent Lott, se sont rendus à la Maison Blanche pour avertir Bush de ne pas insister.

Le premier signe que Bush cédait est survenu le 11 avril – une semaine après qu’il ait dit à Sharon de retirer ses forces – quand le secrétaire de presse de la Maison Blanche a dit que le président pensait que Sharon était « un homme de paix ». Bush a répété cette déclaration publiquement au retour de Powell de sa mission ratée, et a indiqué aux journalistes que Sharon avait répondu d’une manière satisfaisante à son appel pour un retrait total et immédiat. Sharon n’avait jamais fait une telle chose, mais Bush ne voulait plus en faire un problème.

Pendant ce temps, le Congrès se préparait également à soutenir Sharon. Le 2 mai, il a passé outre les objections de l’Administration et a voté deux résolutions réaffirmant un soutien à Israël. (Le vote du Sénat était de 94 contre 2 ; la version de la Chambre des Représentants a été votée par 352 contre 21.) Les deux résolutions affirmaient que les États-Unis « se positionnent comme solidaires d’Israël » et que les deux pays étaient, pour citer la résolution de la Chambre, « maintenant engagés dans une lutte commune contre le terrorisme ». La version de la Chambre condamnait également « le soutien continu et la coordination du terrorisme par Yasser Arafat », qui a été dépeint comme une partie centrale du problème du terrorisme. Les deux résolutions ont été élaborées avec l’aide du Lobby. Quelques jours plus tard, la délégation bipartite du Congrès d’une mission exploratoire sur Israël a déclaré que Sharon devrait résister à la pression américaine pour négocier avec Arafat. Le 9 mai, un sous-comité de dotation de la Chambre s’est réuni pour envisager de donner à Israël 200 millions de dollars supplémentaires pour combattre le terrorisme. Powell s’y est opposé mais le Lobby a soutenu le sous-comité et Powell a perdu.

En bref, Sharon et le Lobby s’en sont pris au président des États-Unis et ont triomphé. Hemi Shalev, un journaliste du journal israélien Ma’ariv, a rapporté que les collaborateurs de Sharon « ne pouvaient pas cacher leur satisfaction en raison de l’échec de Powell. Sharon a regardé le Président Bush dans le blanc des yeux, se sont-ils vantés, et le président a baissé les yeux le premier. » Mais c’étaient les champions d’Israël aux États-Unis, non Sharon ou Israël, qui ont joué un rôle clé dans la défaite de Bush.

La situation a peu changé depuis lors. L’administration Bush a toujours refusé de traiter avec Arafat. Après sa mort, elle a embrassé le nouveau responsable palestinien, Mahmoud Abbas, mais n’a pas fait beaucoup pour l’aider. Sharon a continué à développer son plan pour imposer un règlement unilatéral aux Palestiniens, basé sur le « désengagement » de Gaza couplé à l’expansion continue en Cisjordanie . En refusant de négocier avec Abbas et en faisant en sorte qu’il lui soit impossible de fournir des avantages réels aux Palestiniens, la stratégie de Sharon a contribué directement à la victoire électorale du Hamas. Avec le Hamas au pouvoir, Israël a une autre excuse pour ne pas négocier. L’administration américaine a soutenu les actions de Sharon (et celles de son successeur, Ehud Olmert). Bush a même approuvé les annexions unilatérales israéliennes dans les territoires occupés, inversant la politique déclarée de tout président depuis Lyndon Johnson.

Les responsables américains ont légèrement critiqué quelques actions israéliennes, mais n’ont pas fait grand chose pour aider à la création d’un État palestinien viable. Sharon a « accroché Bush autour de son petit doigt », a déclaré l’ancien conseiller à la Sécurité nationale, Brent Scowcroft, en octobre 2004. Si Bush essaye d’éloigner les États-Unis d’Israël, ou même de critiquer des actions israéliennes dans les territoires occupés, il est sûr d’avoir à affronter la colère du Lobby et de ses défenseurs au Congrès. Les candidats Démocrates à l’élection présidentielle comprennent que ce sont des choses de la vie, c’est la raison pour laquelle John Kerry s’est donné beaucoup de mal pour montrer un soutien sans faille à Israël en 2004, et c’est pourquoi Hillary Clinton fait la même chose aujourd’hui.

Maintenir un soutien américain à la politique d’Israël contre les Palestiniens est essentiel en ce qui concerne le Lobby, mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. Il veut également que l’Amérique aide Israël à rester la puissance régionale dominante. Le gouvernement israélien et les groupes pro-Israéliens aux États-Unis ont travaillé ensemble pour façonner la politique de l’administration envers l’Irak, la Syrie et l’Iran, ainsi que son grand programme pour réorganiser le Moyen-Orient.

La pression d’Israël et du Lobby n’était pas le seul facteur derrière la décision d’attaquer l’Irak en mars 2003, mais elle était critique.

Quelques Américains pensent que c’était une guerre pour le pétrole, mais il y a peu de preuve directe pour soutenir cette affirmation. Au lieu de cela, la guerre a été motivée, en grande partie, par un désir de rendre Israël plus sûr. Selon Philip Zelikow, un ancien membre du Foreign Intelligence Advisory Board du Président, le directeur exécutif de la Commission du 11 Septembre, et maintenant conseiller de Condoleezza Rice, la « véritable menace » de l’Irak n’était pas une menace pour les États-Unis. La « menace non-dite » était la « menace pour Israël », a déclaré Zelikow devant un public de l’université de Virginie en septembre 2002. « Le gouvernement américain, a-t-il ajouté, ne veut pas trop appuyer là-dessus de façon rhétorique, parce que ce n’est pas un argument populaire. »

Le 16 août 2002, 11 jours avant que Dick Cheney lance la campagne pour la guerre avec un discours devant les Vétérans des guerres étrangères, le Washington Post indiquait qu’« Israël poussait les responsables américains à ne pas retarder une attaque militaire contre l’Irak de Saddam Hussein ». Grâce à cela, selon Sharon, la coordination stratégique entre Israël et les États-Unis a atteint « des dimensions sans précédent », et les responsables des renseignements israéliens ont donné à Washington une variété de rapports alarmants au sujet des programmes du WMD de l’Irak. Comme l’a dit plus tard un général à la retraite israélien : « Les renseignements israéliens étaient associés à part entière dans l’image présentée par les renseignements Americains et Britanniques concernant les capacités non conventionnelles de l’Irak. »

Les leaders israéliens furent profondément affligés quand Bush a décidé de demander l’autorisation du Conseil de sécurité pour la guerre, et furent encore plus inquiets quand Saddam a accepté de laisser entrer des inspecteurs de l’ONU. « La campagne contre Saddam Hussein est un must », a déclaré Shimon Peres aux journalistes en septembre 2002. « Les inspections et les inspecteurs sont bons pour les gens honorables, mais les gens malhonnêtes peuvent les surmonter facilement. »

Au même moment, Ehud Barak écrivait un éditorial dans le New York Times avertissant que « le plus grand risque se situe maintenant dans l’inaction ». Son prédécesseur, en tant que Premier ministre, Benyamin Netanyahu, publiait un article semblable dans le Wall Street Journal, intitulé : « La question du renversement de Saddam ». « Aujourd’hui il n’y a rien d’autre à faire que de démanteler son régime, déclarait-il. Je crois pouvoir parler pour la majorité écrasante des Israéliens en soutenant une frappe préventive contre le régime de Saddam. » Ou comme Ha’aretzl’a rapporté en février 2003 : « Le leadership militaire et politique aspire à une guerre en Irak. »

Comme l’a suggéré Netanyahu, pourtant, le désir d’une guerre n’était pas limité aux leaders israéliens. Indépendamment du Koweït, que Saddam avait envahi en 1990, Israël était le seul pays au monde où les politiciens et le public étaient en faveur de la guerre. Comme l’observait à l’époque le journaliste Gideon Levy : « Israël est le seul pays en Occident dont les responsables soutiennent la guerre sans réserves et où aucune opinion alternative n’est exprimée. » En fait, les Israéliens étaient tellement va-t-en-guerre que leurs alliés en Amérique leur ont demandé de réduire leur rhétorique, ou cela serait vu comme si la guerre était engagée au nom d’Israël.

Aux États-Unis, la principale force motrice derrière la guerre était une petite bande des néo-conservateurs, dont beaucoup avaient des liens avec le Likoud. Mais les chefs des principales organisations du Lobby prêtaient leurs voix à la campagne.

« Alors que le président Bush essayait de vendre… la guerre en Irak, rapportait The Forwardles plus importantes organisations juives d’Amérique se sont rassemblées pour ne faire qu’un et le défendre. Déclaration après déclaration, les chefs de la communauté ont souligné la nécessité de débarrasser le monde de Saddam Hussein et de ses armes de destruction massive. »

L’éditorial continue en disant que : « L’inquiétude pour la sécurité d’Israël a été un facteur légitime dans les discussions des principaux groupes juifs. »

Bien que les néo-conservateurs et d’autres leaders du Lobby aient été désireux d’envahir l’Irak, la majeure partie de la communauté juive américaine ne l’était pas. Juste après que la guerre ait commencé, Samuel Freedman a signalé que « une compilation des sondages d’opinion dans tout le pays effectué par le Pew Research Center montre que les juifs sont moins enclins à soutenir la guerre contre l’Irak que la population dans son ensemble, 52 % contre 62 % ». En clair, il serait erroné de blâmer la guerre en Irak sur « l’influence juive ». Par contre, c’était en grande partie dû à l’influence du Lobby, et en particulier à celle des néo-conservateurs qui en ont font partie.

Les néo-conservateurs étaient déterminés à renverser Saddam même avant que Bush soit élu président. Ils ont causé une agitation, début 1998, en publiant deux lettres ouvertes à Clinton, demandant le renversement de Saddam du pouvoir. Les signataires, dont beaucoup avaient des liens étroits avec les groupes pro-Israéliens comme le JINSA ou WINEP, et qui incluaient Elliot Abrams, John Bolton, Douglas Feith, William Kristol, Bernard Lewis, Donald Rumsfeld, Richard Perle et Paul Wolfowitz, avaient quelques problèmes à persuader l’administration Clinton d’adopter l’objectif général d’évincer Saddam. Mais ils ne pouvaient pas vendre une guerre pour atteindre cet objectif. Ils ne furent pas non plus capables de générer l’enthousiasme pour envahir l’Irak pendant les premiers mois de l’administration Bush. Ils avaient besoin d’aide pour atteindre leur but. Cette aide est arrivée avec le 11 Septembre. Précisément, les événements de ce jour-là ont mené Bush et Cheney à changer de direction et à devenir de forts partisans d’une guerre préventive.

Lors d’une réunion clé avec Bush à Camp David le 15 septembre, Wolfowitz a préconisé d’attaquer l’Irak avant l’Afghanistan, quoiqu’il n’y ait eu aucune preuve que Saddam était impliqué dans les attaques contre les États-Unis et que l’on savait que Ben Laden était en Afghanistan. Bush a rejeté son conseil et a choisi d’aller attaquer l’Afghanistan, mais la guerre avec l’Irak était maintenant envisagée comme une possibilité sérieuse et le 21 novembre, le Président a chargé les planificateurs militaires de développer des plans concrets pour une invasion.

D’autres néo-conservateurs étaient pendant ce temps au travail dans les couloirs du pouvoir. Nous n’avons pas encore l’histoire complète, mais des professeurs comme Bernard Lewis de Princeton et Fouad Ajami de Johns Hopkins auraient joué des rôles importants en persuadant Cheney que la guerre était la meilleure option. Cependant des néo-conservateurs de son équipe – Eric Edelman, John Hannah et Scooter Libby, le chef d’état-major de Cheney et l’un des individus les plus puissants dans l’administration – ont également joué leur rôle. Début 2002, Cheney avait persuadé Bush ; et avec Bush et Cheney à bord, la guerre était inévitable.

À l’extérieur de l’administration, des experts néo-conservateurs n’avaient pas perdu de temps à rendre l’invasion de l’Irak une chose essentielle pour gagner la guerre contre le terrorisme. Leurs efforts étaient conçus en partie pour maintenir la pression sur Bush, et pour triompher en partie d’une opposition à la guerre à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement. Le 20 septembre, un groupe de proéminents néo-conservateurs et leurs alliés ont publié une autre lettre ouverte : « Même si aucune preuve ne lie directement l’Irak à l’attaque, dit-elle, toute stratégie visant l’extirpation du terrorisme et ses commanditaires doit inclure un effort déterminé pour renverser Saddam Hussein du pouvoir en Irak. » La lettre rappelait également à Bush que « Israël était et restait l’allié le plus sûr de l’Amérique contre le terrorisme international. » Dans le Weekly Standarddu 1er octobre, Robert Kagan et William Kristol demandaient un changement de régime en Irak dès que les talibans seraient battus. Le même jour, Charles Krauthammer arguait dans le Washington Post que lorsque les États-Unis auraient terminé la guerre en Afghanistan, la Syrie devrait être le prochain, suivi de l’Iran et de l’Irak : « La guerre contre le terrorisme se conclura à Bagdad, [quand nous achèverons] le régime terroriste le plus dangereux au monde. »

C’était le début d’une campagne de relations publiques implacable pour gagner le soutien d’une invasion de l’Irak, dont une partie cruciale était la manipulation des renseignements de façon à faire croire que Saddam constituait une menace imminente. Par exemple, Libby a fait pression sur les analystes de la CIA pour qu’ils trouvent des preuves pour la guerre et a aidé à préparer le briefing maintenant critiqué de Colin Powell au Conseil de sécurité de l’ONU. Au Pentagone, le Policy Counter-Terrorism Evaluation Group était chargé de trouver des liens entre Al-Qaïda et l’Irak que les renseignements avaient soi-disant ratés. Ses deux principaux membres étaient David Wurmser, un néo-conservateur de la ligne dure, et Michael Maloof, un Libano-Américain très lié à Perle. Un autre groupe du Pentagone, le soi-disant Bureau des projets spéciaux, avait pour tâche de découvrir des preuves qui pourraient être utilisées pour vendre la guerre. Il était dirigé par Abram Shulsky, un néo-conservateur avec des liens de longue date avec Wolfowitz, et ses rangs incluaient des recrues des think tanks pro-israéliens. Ces deux organisations avaient été créés après le 11 Septembre et rendaient des comptes directement à Douglas Feith.

Comme pratiquement tous les néo-conservateurs, Feith est profondément dévoué à Israël ; il a également des liens avec le Likoud depuis longtemps. Il a écrit des articles dans les années 90 soutenant les colonies et arguant qu’Israël devrait conserver les territoires occupés. Plus important, avec Perle et Wurmser, il a écrit le célèbre rapport A Clean Break en juin 1996 pour Netanyahu, qui venait juste d’être élu Premier ministre. Entre autres, il a recommandé que Netanyahu « se concentre sur le renversement de Saddam Hussein du pouvoir en Irak – un important objectif stratégique Israélien ». Il demandait également qu’Israël prît des mesures pour réorganiser l’ensemble du Moyen-Orient. Netanyahu n’a pas suivi leur conseil, mais Feith, Perle et Wurmser encouragèrent bientôt l’administration Bush à poursuivre ces mêmes objectifs. Le chroniqueur Akiva Eldar de Ha’aretz a averti que Feith et Perle « marchent sur une ligne mince entre leur loyauté aux gouvernements américains… et les intérêts israéliens ».

Wolfowitz est également dévoué à Israël. The Forward l’a un jour décrit comme « la voix pro-israélienne la plus “faucon” de l’administration », et, en 2002, l’a choisi en premier parmi les cinquante notables qui « ont consciemment poursuivi l’activisme juif ». À peu près au même moment, le JINSA donnait à Wolfowitz son Henry M. Jackson Distinguished Service Award pour avoir favorisé un fort partenariat entre Israël et les États-Unis ; et le Jerusalem Post, en le décrivant comme « fortement pro-Israélien », l’a élu « homme de l’année » en 2003.

Enfin, un mot bref sur le soutien d’avant-guerre des néo-conservateurs à Ahmed Chalabi, l’exilé irakien sans scrupules qui dirige le Congrès national irakien (INC). Ils ont soutenu Chalabi parce qu’il avait établi des liens étroits avec les groupes judéo-américains et s’était engagé à favoriser de bonnes relations avec Israël quand il serait au pouvoir. C’était précisément ce que les partisans pro-israéliens du changement de régime voulaient entendre. Matthew Berger a présenté le contexte de l’histoire dans un journal juif : « L’INC voyait l’amélioration des relations comme un moyen d’utiliser l’influence juive à Washington et à Jérusalem et d’obtenir un soutien accru à sa cause. Pour leur part, les groupes juifs voyaient une occasion de préparer le terrain pour de meilleures relations entre Israël et l’Irak, si et quand l’INC serait impliqué dans le remplacement du régime de Saddam Hussein. »

Étant donné la dévotion des néo-conservateurs à Israël, leur obsession de l’Irak, et leur influence dans l’administration Bush, il n’est pas étonnant que beaucoup d’Américains aient suspecté que la guerre ait été conçue pour favoriser les intérêts israéliens. En mars dernier, Barry Jacobs de l’American Jewish Committee a reconnu que la croyance qu’Israël et les néo-conservateurs avaient conspiré pour faire entrer en guerre les États-Unis contre l’Irak était « dominante » parmi les services de renseignements. Pourtant peu de gens le diraient publiquement, et la plupart de ceux qui l’ont fait – comme le sénateur Ernest Hollings et le représentant James Moran – ont été condamnés pour avoir soulevé la question. Fin 2002, Michael Kinsley a écrit que : « Le manque de débat public au sujet du rôle d’Israël… c’est l’éléphant proverbial dans la pièce. » La raison de l’hésitation à en parler, a-t-il observé, était la crainte d’être traité d’antisémite. Il y a peu de doutes qu’Israël et le Lobby furent les principaux facteurs dans la décision à partir en guerre. C’est une décision que les États-Unis auraient probablement été loin de prendre sans leurs efforts. Et la guerre elle-même était prévue pour être seulement la première étape. Un titre en première page duWall Street Journal peu de temps après que la guerre a commencé dit tout : « Le rêve du Président, changer non seulement un régime mais une région : une zone pro-américaine, démocratique est un objectif qui a des racines israéliennes et néo-conservatrices. »

Les forces pro-israéliennes sont depuis longtemps intéressées par l’implication plus directe des militaires américains au Moyen-Orient. Mais elles avaient un succès limité pendant la Guerre froide, parce que l’Amérique agissait en tant que « balancier off-shore » dans la région. La plupart des forces désignées pour le Moyen-Orient, comme la Force de déploiement rapide, ont été maintenues « à l’horizon » et hors de toute atteinte. L’idée était que les puissances locales se neutralisent les unes contre les autres – ce qui est pourquoi l’administration Reagan a soutenu Saddam contre l’Iran révolutionnaire pendant la guerre entre l’Iran et Irak – afin de maintenir un équilibre favorable aux États-Unis.

Cette politique a changé après la première guerre du Golfe, quand l’administration Clinton a adopté une stratégie de « double retenue ». Des forces américaines substantielles seraient postées dans la région afin de contenir l’Iran et l’Irak, au lieu d’en utiliser une pour maitriser l’autre. Le père de la double retenue n’était autre que Martin Indyk, qui a, pour la première fois, esquissé la stratégie en mai 1993 au WINEP et l’a ensuite mise en application en tant que directeur pour les Affaires du Proche-Orient et sud-asiatiques au Conseil de sécurité nationale.

Au milieu des années 90, il y avait un mécontentement considérable en ce qui concernait la double retenue, parce qu’elle avait transformé les États-Unis en ennemi mortel de deux pays qui se détestaient, et forçait Washington à porter le fardeau de les contenir tous les deux. Mais c’était une stratégie que le Lobby favorisait, et il travaillait activement au Congrès pour qu’elle soit conservée. Poussé par l’AIPAC et d’autres forces pro-israéliennes, Clinton a durci la politique au printemps 1995 en imposant un embargo économique sur l’Iran. Mais l’AIPAC et les autres voulaient plus. Le résultat fut une loi sur des sanctions contre l’Iran et la Libye en 1996, qui imposait des sanctions à toutes les compagnies étrangères qui investissaient plus de 40 millions de dollars pour développer les ressources de pétrole en Iran ou en Libye. Comme Ze’ev Schiff, le correspondant militaire de Ha’aretz, le remarquait à l’époque, « Israël est un élément minuscule dans le grand complot, mais on ne devrait pas conclure qu’il ne peut pas influencer ceux qui sont à la tête ».

À la fin des années 90, pourtant, les néo-conservateurs arguaient du fait que la double retenue n’était pas suffisante et qu’un changement de régime en Irak était essentiel. En renversant Saddam et en transformant l’Irak en démocratie vivante, arguaient-ils, les États-Unis déclencheraient un processus de grande envergure de changement dans l’ensemble du Moyen-Orient. La même ligne de la pensée était évidente dans l’étude A Clean Break que les néo-conservateurs avaient écrits pour Netanyahu. En 2002, quand une invasion de l’Irak était imminente, la transformation régionale était une profession de foi parmi les cercles néo-conservateurs.

Charles Krauthammer décrit ce grand programme comme l’invention personnelle de Natan Sharansky, mais les Israéliens parmi toute la classe politique croyaient que le renversement de Saddam changerait le Moyen-Orient à l’avantage d’Israël. rapportait Aluf Benn dans Ha’aretz (17 février 2003).

Des hauts responsables de Tsahal et des proches du Premier ministre Ariel Sharon, tel que le conseiller à la Sécurité nationale, Ephraim Halevy, dépeignaient une image attrayante du futur merveilleux d’Israël après la guerre. Ils envisageaient un effet domino, avec la chute de Saddam Hussein suivie des autres ennemis d’Israël… Avec ces leaders disparaîtraient le terrorisme et les armes de destruction massive.

Quand Bagdad est tombé mi-avril 2003, Sharon et ses lieutenants ont commencé à pousser Washington à viser Damas.

Le 16 avril, Sharon, interviewé dans le Yedioth Ahronoth, appelait les États-Unis à faire une pression « très forte » sur la Syrie, tandis que Shaul Mofaz, son ministre de la Défense, interviewé dans Ma’ariv, déclarait : « Nous avons une longue liste de questions que nous pensons poser aux Syriens et il est approprié que ce soit fait par l’intermédiaire des Américains. » Ephraim Halevy déclarait à un public de WINEP qu’il était maintenant important que les États-Unis fussent durs avec la Syrie, et le Washington Post signalait qu’Israël « entretenait la campagne » contre la Syrie en fournissant aux renseignements américains des rapports sur les actions de Bachar el-Assad, le président syrien.

Des membres importants du Lobby avaient les mêmes arguments. Wolfowitz a déclaré que : « Il devrait y avoir un changement de régime en Syrie », et Richard Perle a dit à un journaliste que : « Un message court, un message de [quatre] mots » pourrait être envoyé aux autres régimes hostiles du Moyen-Orient : « Vous êtes le prochain. » Début avril, WINEP a publié un rapport bipartite déclarant que la Syrie « ne devrait pas rater le message que les pays qui suivent le comportement imprudent, irresponsable et provoquant de Saddam pourraient finir par partager son destin ». Le 15 avril, Yossi Klein Halevi écrivait un article dans le Los Angeles Times intitulé : « Après, serrer les vis de la Syrie », tandis que le lendemain Zev Chafets écrivait un article pour leNew York Daily News intitulé : « La Syrie amie des terroristes a besoin d’un changement, aussi. » Pour ne pas être surpassé, Laurent Kaplan écrivait dans la New Republic le 21 avril qu’Assad était une menace sérieuse pour l’Amérique.

De retour sur la colline du Capitole, le membre du Congrès Eliot Engel avait réintroduit la Loi sur la responsabilité de la Syrie et la restauration de la souveraineté libanaise. Il menaçait la Syrie de sanctions si elle ne se retirait pas du Liban, si elle ne renonçait pas à ses armes de destruction massives et si elle ne cessait pas de soutenir le terrorisme, et il appelait également la Syrie et le Liban à prendre des mesures concrètes pour faire la paix avec Israël. Cette législation était fortement approuvée par le Lobby – par l’AIPAC en particulier – et « était concue », selon le Jewish Telegraph Agency, « par certains des meilleurs amis d’Israël au Congrès ». L’administration Bush était peu enthousiaste à son égard, mais la Loi anti-syrienne a été votée de façon écrasante (398 contre 4 dans la Chambre ; 89 contre 4 au Sénat), et Bush l’a signée par la loi du 12 décembre 2003.

L’administration elle-même était encore divisée sur la sagesse de viser la Syrie. Bien que les néo-conservateurs aient été désireux de faire un crochet pour se battre contre Damas, la CIA et le département d’État étaient opposés à l’idée. Et même après que Bush ait signé la nouvelle loi, il a souligné qu’il irait lentement pour la mettre en application. Son ambivalence est compréhensible. D’abord, le gouvernement syrien avait non seulement fourni des renseignements importants au sujet d’Al-Qaida depuis le 11 Septembre, mais il avait également averti Washington au sujet d’une attaque terroriste prévue dans le Golfe et avait donné aux enquêteurs de la CIA l’accès à Mohammed Zammar, le supposé recruteur de certains des pirates de l’air du 11 Septembre. Viser le régime d’Assad compromettrait ces connexions précieuses, et saperait ainsi la guerre plus large contre le terrorisme. En second lieu, la Syrie n’avait pas été en mauvais termes avec Washington avant la guerre contre l’Irak (elle avait même voté pour la résolution 1441 de l’ONU), et n’était pas elle-même une menace pour les États-Unis. Jouer au dur avec elle pourrait faire penser que les États-Unis ont un appétit insatiable pour se battre contre les États arabes. Troisièmement, mettre la Syrie en haut de la liste donnerait à Damas une forte incitation pour causer des problèmes en Irak. Même si on voulait faire pression, il semblerait plus raisonnable de terminer le travail en Irak d’abord. Pourtant le Congrès a insisté pour serrer la vis à Damas, en grande partie en réponse à la pression des responsables israéliens et des groupes comme l’AIPAC. S’il n’y avait pas de Lobby, il n’y aurait pas eu de Loi sur la responsabilité de la Syrie, et la politique américaine envers Damas serait plus en conformité avec l’intérêt national.

Les Israéliens on tendance à décrire chaque menace par des termes des plus rigides, mais l’Iran est considéré de loin comme leur ennemi le plus dangereux, parce qu’il est le plus susceptible d’acquérir des armes nucléaires. Pratiquement tous les Israéliens considèrent qu’un pays islamique au Moyen-Orient possédant des armes nucléaires serait une menace pour leur existence. « L’Irak est un problème… Mais vous devriez comprendre que, si vous me le demandez, aujourd’hui l’Iran est plus dangereux que l’Irak », a fait remarquer le ministre de la Défense, Benyamin Ben-Eliezer, un mois avant la guerre contre l’Irak.

Sharon a commencé à pousser les États-Unis à se confronter à l’Iran en novembre 2002, dans une interview au Times. Décrivant l’Iran comme « le centre terroriste mondial », et enclin à acquérir des armes nucléaires, il a déclaré que l’administration Bush devrait mettre une forte pression sur l’Iran « dès le lendemain » de sa conquête de l’Irak. En avril 2003, Ha’aretz indiquait que l’ambassadeur israélien à Washington réclamait un changement de régime en Iran. Le renversement de Saddam, notait-il, n’était « pas suffisant ». Selon ses mots, l’Amérique « doit poursuivre. Nous avons toujours des menaces de grande magnitude venant de la Syrie, venant d’Iran. »

Les néo-conservateurs, aussi, n’ont pas perdu de temps pour demander un changement de régime à Téhéran.

Le 6 mai, l’AEI [American Enterprise Institute, ndlr] co-organisait une conférence d’une journée sur l’Iran avec la Foundation for the Defense of Democracies et l’Hudson Institute, les deux champions d’Israël. Tous les intervenants étaient fortement pro-israéliens, et beaucoup appelaient les États-Unis à remplacer le régime iranien par une démocratie. Comme d’habitude, une pluie d’articles de proéminents néo-conservateurs demandaient de s’en prendre à l’Iran. « La libération de l’Irak était la première grande bataille pour le futur du Moyen-Orient… Mais la prochaine grande bataille – nous espérons que ce ne sera pas une bataille militaire – sera contre l’Iran. » écrivait William Kristol dans le Weekly Standard le 12 mai.

L’administration a répondu à la pression du Lobby en travaillant jour et nuit pour arrêter le programme nucléaire de l’Iran. Mais Washington a eu peu de succès, et l’Iran semble déterminé à avoir un arsenal nucléaire. En conséquence, le Lobby a intensifié sa pression. Des éditoriaux et d’autres articles avertissent maintenant des dangers imminents de la puissance nucléaire de l’Iran, précaution contre tout apaisement d’un régime « terroriste », et laissent entendre une sombre action préventive si la diplomatie échouait. Le Lobby pousse le Congrès à approuver la Loi de soutien à la liberté de l’Iran, qui augmenterait les sanctions existantes. Les responsables israéliens avertissent également qu’ils pourraient prendre une mesure préventive si l’Iran continue sa recherche nucléaire, des menaces en partie prévues pour maintenir l’attention de Washington sur la question.

On pourrait arguer qu’Israël et le Lobby n’ont pas eu beaucoup d’influence sur la politique envers l’Iran, parce que les États-Unis ont leurs propres raisons pour empêcher l’Iran d’avoir des armes nucléaires. Il y a une certaine vérité en cela, mais les ambitions nucléaires de l’Iran ne constituent pas une menace directe pour les États-Unis. Si Washington pouvait vivre avec une Union soviétique nucléaire, une Chine nucléaire ou même une Corée du Nord nucléaire, il peut vivre avec un Iran nucléaire. Et c’est pourquoi le Lobby doit maintenir une pression constante sur les politiciens pour qu’ils se confrontent avec Téhéran. L’Iran et les États-Unis seraient difficilement des alliés si le Lobby n’existait pas, mais la politique des États-Unis serait plus tempérée et la guerre préventive ne serait pas une option sérieuse.

Ce n’est pas une surprise si Israël et ses partisans américains veulent que les États-Unis s’occupent de toutes les menaces à la sécurité d’Israël. Si leurs efforts pour façonner la politique des États-Unis réussissent, les ennemis d’Israël seront affaiblis ou renversés, Israël aura les mains libres avec les Palestiniens, et les États-Unis feront la majeure partie du combat, en mourant, en reconstruisant et en payant. Mais même si les États-Unis ne transforment pas le Moyen-Orient et se retrouvent en conflit avec un monde arabe et islamique de plus en plus radicalisé, Israël finira protégée par la seule superpuissance au monde. Ce n’est pas un résultat parfait du point de vue du Lobby, mais il est évidemment préférable à un éloignement de Washington, ou à l’utilisation de son influence pour forcer Israël à faire la paix avec les Palestiniens.

Le pouvoir du Lobby peut-il être diminué ?

On voudrait bien le penser, étant donné la débâcle de l’Irak, la nécessité évidente de reconstruire l’image de l’Amérique dans le monde arabe et islamique, et les révélations récentes au sujet des responsables de l’AIPAC passant des secrets du gouvernement américain à Israël. On pourrait également penser que la mort d’Arafat et l’élection du plus modéré Mahmoud Abbas entraineraient Washington à faire pression de façon plus forte pour obtenir un accord de paix équitable. En bref, il y a les raisons suffisantes pour que les leaders se distancient du Lobby et adoptent une politique Moyen-Orientale plus conforme aux intérêts plus larges des États-Unis. En particulier, utiliser la puissance américaine pour arriver à une paix juste entre Israël et les Palestiniens aiderait à promouvoir la cause de la démocratie dans la région.

Mais cela ne va pas se produire – en tout cas pas de sitôt. L’AIPAC et ses alliés (y compris les sionistes chrétiens) n’ont aucun adversaire sérieux dans le monde des lobbies. Ils savent qu’il est devenu plus difficile de défendre Israël aujourd’hui, et ils répondent en s’imposant sur les équipes et en augmentant leurs activités. En outre, les politiciens américains restent intensément sensibles aux contributions de campagne et à d’autres formes de pression politique, et les principaux médias sont susceptibles de rester sympathiques à Israël quoi qu’il fasse.

L’influence du Lobby cause des problèmes sur plusieurs fronts.

Elle augmente le danger terroriste auquel font face tous les États – y compris les alliés européens de l’Amérique. Elle a rendu impossible la fin du conflit israélo-palestinien, une situation qui donne aux extrémistes un outil recruteur puissant, augmente le réservoir des terroristes potentiels et des sympathisants, et contribue au radicalisme islamique en Europe et en Asie. Également inquiétant, la campagne du Lobby pour un changement de régime en Iran et en Syrie pourrait mener les États-Unis à attaquer ces pays, avec des effets potentiellement désastreux. Nous n’avons pas besoin d’un autre Irak. Au minimum, l’hostilité du Lobby envers la Syrie et l’Iran rend presque impossible à Washington de les enrôler dans la lutte contre Al-Qaïda et l’insurrection irakienne, où leur aide serait vraiment nécessaire.

Il y a là aussi une dimension morale. A cause du Lobby, les États-Unis sont devenus ceux qui ont rendu possible l’expansion israélienne dans les territoires occupés, les rendant complices des crimes perpétrés contre les Palestiniens.

Cette situation contredit les efforts de Washington pour favoriser la démocratie à l’étranger et les rend hypocrites quand il pousse d’autres États à respecter les droits de l’homme.

Les efforts des États-Unis pour limiter la prolifération nucléaire apparaissent également hypocrites étant donné sa bonne volonté à accepter l’arsenal nucléaire d’Israël qui ne fait qu’encourager l’Iran et d’autres à chercher des capacités semblables.

De plus, la campagne du Lobby pour étouffer le débat concernant Israël est malsaine pour la démocratie. Réduire au silence les sceptiques en organisant des listes noires et des boycotts – ou suggérer que les critiques sont des antisémites – viole le principe du libre débat dont dépend la démocratie. L’incapacité du Congrès à avoir une véritable discussion sur ces questions importantes paralyse le processus tout entier de la délibération démocratique. Les partisans d’Israël devraient être libres de le faire et de défier ceux qui sont en désaccord avec eux, mais les efforts pour étouffer le débat par l’intimidation devraient être sévèrement condamnés.

Enfin, l’influence du Lobby a été mauvaise pour Israël. Sa capacité à persuader Washington de soutenir un agenda expansionniste a découragé Israël de saisir des occasions – dont un traité de paix avec la Syrie et une application rapide et totale des accords d’Oslo, qui aurait sauvé la vie des Israéliens et aurait diminué les rangs des extrémistes palestiniens. Refuser aux Palestiniens leurs droits politiques légitimes n’a certainement pas rendu Israël plus sûr, et la longue campagne pour tuer ou marginaliser une génération de responsables palestiniens a renforcé des groupes extrémistes comme le Hamas, et a réduit le nombre de leaders palestiniens qui seraient disposés à accepter un arrangement juste et capables de le mettre en place. Israël lui-même serait probablement mieux si le Lobby étaient moins puissant et si la politique américaine était plus équitable.

Il y a pourtant une lueur d’espoir.

Bien que le Lobby reste une force puissante, il est de plus en plus difficile de cacher les effets nuisibles de son influence. Les États puissants peuvent maintenir des politiques imparfaites pendant un certain temps, mais la réalité ne peut pas être ignorée indéfiniment. Ce qui est nécessaire, c’est une discussion franche sur l’influence du Lobby et un débat plus ouvert sur les intérêts des États-Unis dans cette région vitale. Le bien-être d’Israël est l’un de ces intérêts, mais l’occupation continue de la Cisjordanie et de son agenda régional plus large ne le sont pas. Un débat ouvert exposerait les limites du problème stratégique et moral d’un soutien américain à une seule partie et pourrait faire évoluer les États-Unis vers une position plus conforme à ses propres intérêts nationaux, aux intérêts des autres États dans la région, et aussi aux intérêts à long terme d’Israël.

John J. MearsheimerStephen Walt

Article original en anglais publié dans London Review of Books | Vol. 28 No. 6 · 23 March 2006 

Traduit par  Arretsurinfo.ch