
Zelensky, Starmer et Macron à Lancaster House le 2 mars 2025. (Lauren Hurley / No 10 Downing Street)
L’Europe fait face à un « changement d’ambiance » MAGA
Si l’Europe prétend remplacer les États-Unis, cela va coûter extrêmement cher, très cher politiquement, et ce sera un échec.
Le président Trump veut régler le conflit en Ukraine, point final. Il veut ainsi pouvoir avancer rapidement vers une normalisation avec la Russie et lancer le projet « d’ensemble » d’instauration d’un nouvel ordre mondial, qui mettra fin aux guerres et facilitera les relations commerciales.
Le point ici – que l’Europe feint de ne pas comprendre – est que la fin du conflit ukrainien n’est que la « porte d’entrée » de Trump vers toute la logique et la plateforme sur lesquelles il s’est appuyé : la Grande Réinitialisation du paysage géopolitique. L’Ukraine, pour le dire simplement, est l’obstacle à la poursuite par Trump de son objectif primordial : la Réinitialisation globale.
Starmer, Macron et l’aile orientale des euro-élites ferment les yeux sur l’ampleur du virage mondial vers la vision politique et éthique traditionaliste des États-Unis. Ils ne voient pas non plus la fureur à peine dissimulée du monde de Trump derrière cette révolution naissante.
“La droite Maga ne connaît aucune des inhibitions de ses prédécesseurs. Elle prévoit de tirer parti de la puissance d’un État reconquis pour anéantir ses ennemis”, écrit Allister Heath.
La classe dirigeante européenne est en difficulté et de plus en plus isolée, dans un monde qui bascule à toute vitesse vers la droite. “Les États-Unis sont désormais l’ennemi de l’Occident” proclame le Financial Times. Les dirigeants européens font la sourde oreille.
Or, dans les faits, les États-Unis sont en train de mettre à mal la politique étrangère de l’Europe. Et la Maison-Blanche s’apprête à exporter les valeurs traditionnelles des Républicains américains pour renverser le système de croyances wokiste européen. Les élites européennes, largement déconnectées de l’opinion publique, n’ont pas compris la menace qui pèse sur leurs propres intérêts (scénario présenté ici).
L’administration Trump tente de reconstruire la République en difficulté, et les Américains de cette nouvelle ère n’ont que faire de l’obsession européenne pour les anciennes inimitiés et les guerres qui en découlent.
Trump aurait déclaré considérer avec un mépris total les fanfaronnades britanniques et européennes affirmant que si les États-Unis n’agissent pas, l’Europe le fera. La caste bruxelloise prétend être encore capable, après trois ans de défaites en Ukraine, d’infliger une défaite humiliante au président Poutine.
Plus sérieusement, l’équipe Trump, déterminée à abattre l’État profond américain en tant qu’“ennemi absolu” perçoit (à juste titre) l’État sécuritaire britannique comme étant étroitement lié à son homologue américain, et partie intégrante de sa méta-structure mondiale. Et la destruction de la Russie et son dépeçage ont toujours été sa mission la plus ancienne et la plus ambitieuse.
Ainsi, lorsque Macron, dans un discours à la nation cette semaine, a rejeté l’idée d’un cessez-le-feu en Ukraine et déclaré que “la paix en Europe n’est envisageable qu’avec une Russie affaiblie”, qualifiant le pays de menace directe pour la France et le continent, nombreux sont ceux qui, dans le “monde de Trump”, interpréteront cette déclaration provocante (selon laquelle “la victoire de l’Ukraine sur la Russie est préférable à la paix”) comme un pur exercice de ventriloquie de Macron et Starmer relayant les objectifs de l’État profond.
Cette hypothèse est étayée par la pléthore subite d’articles publiés dans les médias grand public européens, selon lesquels l’économie russe est bien plus faible qu’il n’y paraît et pourrait s’effondrer dès l’année prochaine. Bien entendu, c’est absurde. L’objectif est de faire avaler au public européen que poursuivre la guerre en Ukraine est la “bonne idée”.
L’absurdité et l’arrogance extrêmes affichées par l’Europe l’an dernier, comme le fait remarquer Wolfgang Münchau, ont été magistralement illustrés dans les propos de l’historienne et écrivaine Anne Applebaum, lauréate d’un prestigieux prix allemand de la paix. Dans son discours de remerciement, elle a affirmé que la victoire prime sur la paix, et que l’objectif ultime de l’Occident se doit d’être un changement de régime en Russie : “Nous devons aider les Ukrainiens à remporter la victoire, et pas seulement pour le bien de l’Ukraine” a-t-elle déclaré.
Zelensky et ses fans européens veulent “négocier”, mais plus tard, plutôt que plus tôt (peut-être dans un an, comme un ministre des Affaires étrangères européen l’aurait dit en privé à Marco Rubio).
“C’est le sujet du désaccord très public dans le bureau ovale ” écrit Münchau. “La paix par une victoire absolue – selon le modèle de la Seconde Guerre mondiale – est le prisme qui permet à la quasi-totalité des dirigeants européens et à la plupart des observateurs de voir le conflit russo-ukrainien”.
L’Amérique voit les choses différemment : elle considère très certainement que l’État profond européen met des bâtons dans les roues de la “normalisation avec la Russie” voulue par Trump – une normalisation à laquelle l’Europe est viscéralement opposée. Autrement dit, comme le suggère Allister Heath, les Européens courent après un “mirage évanoui, s’obstinent à taxer et à dépenser, tout en intensifiant l’immigration de masse et en maintenant des tarifs énergétiques exorbitants, inconscients des signaux d’alarme des marchés financiers alors que la dette publique atteint des sommets inégalés depuis 1998”.
En d’autres termes, il semblerait que Friedrich Merz, Macron et Starmer se concertent pour faire de leurs pays des super-États de la Défense, moyennant un endettement massif. Pourtant, ils savent pertinemment que c’est irréalisable, et s’appliquent donc à se présenter comme des “acteurs majeurs de la scène internationale”.
Les élites européennes sont des “meneurs” totalement instables qui mettent en péril la prospérité et la stabilité du continent. Il est clair que ces nations n’ont pas la capacité militaire d’intervenir de manière concertée. Mais c’est surtout l’économie européenne en chute libre qui constitue la réalité aux portes de l’Europe.
Zelensky se fait le complice de l’obstination européenne à faire passer la défaite de la Russie avant la paix en Ukraine, au mépris de toute logique stratégique quant à la manière d’y parvenir après trois ans de dégradation de la situation militaire. Les deux plans – anéantir l’économie russe à coups de sanctions et épuiser l’armée russe jusqu’à l’effondrement – ont échoué. Pourquoi Zelensky s’oppose-t-il alors aux propositions de paix de Trump ? À première vue, l’incohérence crève les yeux.
L’explication remonte probablement à l’ère post-Maïdan, lorsque le “Meta Security State” occidental (principalement les Britanniques et les Américains) a implanté les Bandéristes purs et durs (alors une infime minorité) dans la police, les services de renseignement et l’État de sécurité ukrainiens. Aujourd’hui encore, ils exercent un contrôle absolu. Même si cette faction devait reconnaître la défaite, elle sait ce qui se passera si elle perd :
La Russie ne veut pas traiter avec eux. Elle les considère comme des extrémistes (pour ne pas dire des criminels de guerre) qui ne sont en aucun cas « capables de parvenir à un accord » et qui doivent être remplacés par des dirigeants réellement capables de faire des compromis. La Russie poursuivrait probablement ces hommes et les traduirait en justice. Zelensky doit être effrayé par ce que les Bandéristes pourraient lui faire (malgré son équipe de gardes du corps britanniques).
Eh bien, Trump ne se laisse pas séduire par ces « jeux » européens : il administre une gifle à Zelensky et aux dirigeants européens, en ramenant peut-être Zelensky au pouvoir ; ou peut-être pas… L’équipe Trump, rapporte Politico , a désormais entamé des pourparlers directs avec l’opposition ukrainienne sur la tenue d’élections anticipées pour destituer Zelensky – qui est sur le point d’être destitué, selon les membres de l’équipe Trump.
Zelensky est peut-être fini, mais curieusement, Valeri Zaloujny [ex commandant en chef de l’armée ukrainienne, aujourd’hui ambassadeur d’Ukraine à Londres] n’a pas non plus été évoqué. Les Britanniques le convoitent pour remplacer Zelensky. Les Américains devraient également faire ce choix, indépendamment des Britanniques.
Le président Trump a ordonné la suspension du partage de renseignements avec l’Ukraine. Techniquement, il a simplement décidé de ne plus autoriser l’Ukraine à utiliser les systèmes de ciblage exclusifs américains contrôlés par les services de renseignement américains, la CIA, le “National Reconnaissance Office” et la “National Geospatial Intelligence Agency”. Seul l’échange de données dites “létales”, y compris les informations de ciblage HIMARS, a été suspendu. Toutefois, les informations de défense nécessaires à la protection de l’Ukraine continuent d’être fournies.
« L’ampleur du gel du partage de renseignements, qui semble avoir été imposé parallèlement à l’arrêt de l’aide militaire annoncé par M. Trump lundi, semblait initialement quelque peu limitée… Mais mercredi après-midi, il est devenu clair que l’administration Trump, ignorant les ouvertures de M. Zelensky la veille au soir, était allée beaucoup plus loin. Un officier du renseignement militaire à Kiev a déclaré au Telegraph que le gel équivalait à « plus ou moins un black-out total » ».
Autrement dit, le gel des approvisionnements en munitions aura sans aucun doute des répercussions sur les capacités militaires de l’Ukraine au fil du temps, mais l’impact pourrait ne pas se faire sentir avant plusieurs semaines. La perte de renseignements vitaux, en revanche, aura un impact immédiat. En d’autres termes, elle plongera l’Ukraine dans le noir. Dans les postes de commandement ukrainiens, le suivi des combats et les flux satellitaires en ligne sur les tablettes et les écrans de télévision ont en effet été interrompus.
Le coup de massue de Trump a mis fin à la fiction selon laquelle l’Ukraine est capable de se défendre avec un peu de soutien européen de substitution. Une bravade absurde. L’OTAN, la CIA et la communauté mondiale du renseignement contrôlent la guerre depuis le début. Et pour l’instant, ils ont été neutralisés.
L’Europe voudrait donc assumer le fardeau des États-Unis ? Le journal Bloomberg rapporte que les marchés obligataires européens sont en pleine débâcle. Si l’Europe prétend remplacer les États-Unis, elle va y laisser des plumes, et surtout beaucoup de plumes sur le plan politique.
Alastair Crooke – ancien diplomate britannique
Source: Strategic Culture, 11 mars 2025