L’USS Carney abat une combinaison de missiles houthis et de drones en mer Rouge, le 19 octobre 2023. (Photo de la marine américaine/Wikimedia Commons)

Le Hamas et le Hezbollah étant affaiblis, le groupe yéménite est devenu le premier allié non étatique de l’Iran, prêt à continuer à perturber le commerce et à frapper Israël.

Aujourd’hui marque le premier anniversaire du détournement du Galaxy Leader par les Houthis. Le 19 novembre 2023, des militaires du groupe yéménite sont descendus d’un hélicoptère sur le navire commercial appartenant à Israël et exploité par le Japon, à destination de l’Inde, avant de monter à bord et de prendre rapidement le contrôle du navire. Les drapeaux palestinien et yéménite hissés, ils ont escorté le navire jusqu’à la ville portuaire de Hudaydah, tenue par les Houthis, et ses 25 membres d’équipage – principalement des Philippins, mais aussi des Ukrainiens, des Roumains, des Bulgares et des Mexicains – ont été pris en otage.

Les images de l’opération ont été largement diffusées sur les plateformes de médias sociaux, servant de bande-annonce pour ce qui allait arriver au groupe, également connu sous le nom d’Ansar Allah : belligérance à l’étranger et à l’intérieur du pays en réponse à la guerre génocidaire d’Israël à Gaza, et renforcement de sa position en tant que menace régionale.

L’été dernier, les attaques maritimes des Houthis contre les navires commerciaux se sont multipliées, malgré la présence en mer Rouge des coûteuses opérations de défense multinationales EUNAVFOR Aspides et Prosperity Guardian. Cette escalade a été facilitée par l’ouverture de nouvelles routes de contrebande à travers la Corne de l’Afrique, qui fournissent aux Houthis un flux constant d’armes que les forces occidentales n’ont pas été en mesure d’intercepter.

Selon des sources de sécurité yéménites, ces itinéraires relient Bandar Abbas, en Iran, à la côte occidentale du Yémen en passant par les ports du Soudan, de Djibouti et de l’Érythrée. Entre juillet et septembre, le Centre d’études stratégiques de Sanaa, où je travaille, a enregistré 19 cas de contrebande présumée le long de la côte de Hudaydah.

Parallèlement à ces attaques maritimes, qui ont étranglé le commerce en mer Rouge, les Houthis ont lancé des attaques directes de drones et de missiles contre Israël, soi-disant pour forcer un cessez-le-feu à Gaza. Le 19 juillet, un drone houthi chargé d’explosifs a frappé un immeuble d’habitation à Tel-Aviv, faisant un mort et au moins huit blessés. En représailles, des frappes aériennes israéliennes sur le port de Hudaydah et la centrale électrique de Ras Al-Khatib ont fait six morts et plus de 80 blessés parmi les Yéménites.

La police sur le site où un missile balistique tiré par les Houthis depuis le Yémen a touché une zone ouverte près du Moshav Kfar Daniel, le 15 septembre 2024. (Yossi Aloni/Flash90)

En septembre, les Houthis ont également présenté leur nouveau missile « Palestine 2 », dernier outil de leur campagne militaire contre Israël. S’il n’est pas certain que le missile soit hypersonique comme on le prétend, il a néanmoins réussi à parcourir 2 000 kilomètres en un peu plus de 11 minutes, échappant au système de défense israélien Iron Dome avant d’atterrir dans une zone dégagée près de l’aéroport Ben Gurion.

Un an après sa capture, le Galaxy Leader est toujours en possession des Houthis et constitue un puissant symbole du défi que le groupe lance à son adversaire soutenu par les États-Unis. Récemment transformé en pièce maîtresse des célébrations du Mawlid de cette année, le navire détourné a été illuminé en vert alors que les Houthis célébraient l’anniversaire du prophète Mahomet par des parades, des représentations religieuses et des rassemblements publics sur l’ensemble de leur territoire.

Malgré les efforts déployés par les Philippines pour obtenir leur libération, l’équipage du navire reste en captivité. Le navire, qui sert à la fois d’attraction touristique et d’hommage à la résistance des Houthis, rappelle l’efficacité limitée des efforts internationaux déployés pour contrer le groupe yéménite et l’influence durable du réseau « défensif avancé » de l’Iran dans la région, connu sous le nom d’Axe de la résistance.

Un axe transformé

L’assassinat par Israël du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et l’invasion du Liban qui s’en est suivie ont suscité des interrogations sur l’avenir de l’axe de la résistance iranienne. Le Hamas et le Hezbollah étant tous deux affaiblis, certains ont suggéré que les Houthis pourraient devenir le premier allié non étatique de l’Iran dans la région.

La géographie empêche les Houthis de devenir un autre Hezbollah : Sanaa se trouve à plus de 2 000 kilomètres de Tel-Aviv, ce qui limite la menace que les Houthis peuvent faire peser sur Israël. Les Houthis ne sont pas non plus un mandataire direct de l’Iran, bien que leurs intérêts régionaux aient été remarquablement alignés au cours de l’année écoulée. Le rôle des Houthis au sein de l’axe de la résistance sera donc différent de celui joué par le Hezbollah, mais n’en sera pas moins précieux pour l’Iran – un rôle qui s’explique par l’incapacité des acteurs internationaux à mettre un frein décisif aux actions du groupe.

La scène de l’explosion d’un drone Houthi à Tel Aviv, le 19 juillet 2024. (Jamal Awad/Flash90)

Au cours de l’été, les Houthis ont enlevé du personnel de l’ONU et d’ONG au Yémen, lancé des frappes meurtrières sur des villes israéliennes et attaqué des navires commerciaux en mer Rouge, en coulant un, en en endommageant deux et en laissant un quatrième navire en flammes en mer pendant près de 50 jours. Pourtant, la réaction internationale n’a pas réussi à réduire de manière significative les capacités militaires d’Ansar Allah, qui sont désormais bien dissimulées et protégées par le relief montagneux des hauts plateaux du nord du Yémen. Les frappes aériennes américaines et israéliennes n’ont fait que démontrer aux Houthis ce qui était déjà clair : ils n’ont ni la volonté ni le savoir-faire nécessaires pour menacer sérieusement leur pouvoir.

Maysaa Shuja Al-Deen, chercheur senior au Sana’a Center et grand spécialiste du mouvement houthi, suggère que ses performances militaires pourraient inciter l’Iran à renforcer les responsabilités des Houthis dans l’Axe : ne plus se limiter à des frappes occasionnelles de drones contre Israël et au commerce maritime, mais faciliter également les opérations logistiques entre les partenaires de l’Iran.

En Somalie, les Houthis ont travaillé en étroite collaboration avec Al-Shabaab, le groupe militant affilié à Al-Qaida, afin de renforcer ses capacités, dans le cadre d’un effort plus large des Houthis visant à ouvrir de nouveaux fronts le long de la rive africaine de la mer Rouge. Au Yémen, les Houthis ont facilité la résurgence d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP) afin de l’impliquer dans la lutte contre des ennemis communs, en lui fournissant des formations, des renseignements et des armes, notamment des drones et des roquettes.

En Irak, ils ont coordonné des opérations militaires directement avec les milices soutenues par l’Iran, qui ont poursuivi leurs attaques contre Israël. Selon Adnan Al-Jabarni, journaliste yéménite spécialisé dans les affaires militaires et les groupes armés, cette initiative pourrait suggérer que l’Iran est en train de « reconfigurer son influence régionale pour être plus flexible et plus efficace ».

Un avion de chasse de la marine américaine décolle de nuit, dans le cadre de frappes aériennes conjointes des États-Unis et du Royaume-Uni sur les zones contrôlées par les Houthis au Yémen, le 12 janvier 2024. (Photo de la marine américaine/Wikimedia Commons)

Ces derniers mois, les Houthis semblent avoir relâché leurs attaques, ce qui indique une fois de plus que le rôle du groupe dans l’axe de la résistance est en train de changer. En septembre et en octobre, l’ACLED(Armed Conflict Location & Event Data) a enregistré respectivement huit et cinq attaques. Il s’agit des chiffres les plus bas enregistrés depuis le début des attaques, le 19 octobre de l’année dernière, et d’une forte baisse par rapport aux 45 attaques enregistrées en juin, le mois le plus prolifique pour le groupe.

Plutôt que de déployer d’importantes ressources militaires en mer Rouge, ils conservent désormais leurs drones et leurs missiles dans l’éventualité d’une attaque à grande échelle des États-Unis et d’Israël contre l’Iran. Les Houthis, qui constituaient à l’origine une ligne de défense pour le Hezbollah, sont désormais prêts à défendre directement l’Iran.

Peut-on arrêter les Houthis ?

De nouvelles routes de contrebande d’armes et des capacités d’armement accrues, des alliances naissantes des deux côtés de la mer Rouge, des données de ciblage fournies par la Russie et des technologies de surveillance en provenance d’Iran, ainsi qu’une coordination stratégique avec les membres de l’Axe de la résistance. Tous ces éléments indiquent que les Houthis resteront une menace dans la région de la mer Rouge dans un avenir prévisible, prêts à perturber le commerce et à causer des destructions chaque fois que cela conviendra aux objectifs stratégiques du groupe.

Pour les citoyens yéménites, l’attitude belliqueuse des Houthis a eu des conséquences catastrophiques. En réponse aux attaques des Houthis contre Tel-Aviv, l’armée israélienne a pris pour cible le port de Hudaydah, par lequel transite plus de 80 % de l’aide humanitaire dont le Yémen a tant besoin. La centrale électrique de Ras Al-Khatib, également visée par les frappes aériennes israéliennes, constitue la principale source d’électricité pour les ménages et les infrastructures publiques de la région, notamment les écoles et les hôpitaux.

Les Houthis sont également connus pour recruter systématiquement des enfants dans leurs forces armées – un phénomène qui s’est « sensiblement accru » depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, selon Human Rights Watch. Pendant ce temps, les forces du groupe poursuivent le blocus de Taiz, la troisième ville du Yémen, privant la population d’un accès à l’eau, tout en luttant pour forcer Israël à lever son propre siège de la bande de Gaza.

Conséquence d’une frappe aérienne de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite sur le district de Dimnat Khadir à Taiz, une zone qui a été le théâtre de violents combats entre les forces gouvernementales soutenues par l’Arabie saoudite et les rebelles houthis, le 9 avril 2018. (Felton Davis/Flickr)

Mais au Yémen, aucun autre groupe n’a les moyens militaires ou la capacité organisationnelle de menacer les Houthis, d’autant plus qu’ils ont redoublé d’efforts dans leur mode de gouvernance répressif. Fin mai, parallèlement à l’intensification des attaques contre Israël et en mer Rouge, les Houthis ont lancé une répression brutale contre la société civile, arrêtant arbitrairement le personnel de l’ONU et d’autres ONG internationales et locales sur la base de fausses allégations d’espionnage. Le groupe a procédé à d’autres enlèvements en août, lorsqu’il a fait irruption dans le bureau du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme à Sanaa, et en octobre, avec l’arrestation d’un agent administratif de l’ambassade des États-Unis.

Si les Houthis sont des combattants aguerris, dotés d’un armement raisonnablement avancé et bénéficiant du soutien financier de l’Iran, c’est aussi la fragmentation et l’incompétence de leurs adversaires – la coalition progouvernementale et ses soutiens internationaux, l’Arabie saoudite et les États-Unis – qui expliquent la domination persistante du groupe au Yémen.

L’Arabie saoudite a fait pleuvoir des bombes sur le pays pendant près de huit ans, dans une guerre dont les Houthis sont sortis vainqueurs. Cette année, le Royaume s’est tenu nerveusement à l’écart, espérant éviter une reprise des hostilités, dont Abdelmalek Al-Houthi, le chef du groupe, a brandi la menace en août dernier.

De leur côté, plusieurs missions diplomatiques menées par les Nations unies ont permis aux Houthis d’exploiter les pourparlers de paix et les accords de cessez-le-feu, en utilisant les négociations comme une occasion de se regrouper militairement. Certains experts ont préconisé un engagement stratégique avec le groupe, avec des lignes rouges pour garantir l’accès des Yéménites à l’aide humanitaire. D’autres ont insisté sur la nécessité de renforcer les capacités militaires et d’améliorer la coordination au sein de la coalition anti-Houthis fragmentée.

Par Magnus Fitz, 19 novembre 2024

Source:https://www.972mag.com/houthis-galaxy-leader-yemen-iran/

Traduit de l’anglais par ASI