Confortablement installés sur leur canapé en cuir, deux médecins de Cleveland, dûment assujettis au serment d’Hippocrate, viennent de prôner, dans une prestigieuse revue spécialisée, « la tolérance des sociétés libérales » à l’égard de l’excision. Mieux encore, ils suggèrent son raffinement chirurgical dans l’intérêt bien compris de ses bénéficiaires féminines. Avec une excision « minimaliste » et aseptisée, disent-ils, on pourra concilier le respect de l’identité culturelle et le souci de la santé publique. Peu importe, à leurs yeux, que cette mutilation sexuelle infligée annuellement à 200 millions de fillettes soit une des pires ignominies de la planète. Peu importe, aussi, que l’OMS s’époumone, de campagne en campagne, à prôner son abolition, obtenant peu à peu quelques maigres résultats.
Il importe de respecter les traditions, disent-ils… Mais depuis quand la tradition devrait-elle inspirer le respect lorsqu’elle torture des enfants ? Quand elle les martyrise atrocement à seule fin de les priver d’un plaisir futur ? Au nom de quel principe peut-on exercer une violence sanguinaire sur ce qu’il y a de plus intime chez l’enfant ? Parce qu’elle bafoue un principe moral évident, on devrait s’interdire la moindre indulgence à l’égard de cette ignoble pratique. Et le minimum qu’on puisse faire, c’est de la dénoncer sans relâche. A contrario, on voit bien à quel point le relativisme culturel, poussé jusqu’à l’absurde, nous rend complices de ce qui devrait au contraire nous indigner sans réserve.
Mais apprécions jusqu’à la lie la merveilleuse subtilité de nos experts en bistouri. Au terme quelque peu choquant de « mutilation génitale », ils préconisent, tout simplement, de substituer le terme beaucoup plus amène « d’altération génitale ». « Pour les Drs Kavita Shah Arora et Allan J. Jacobs, rapporte l’AFP (23/02/2016), deux types d’excisions pourraient être tolérées : celles qui n’ont aucun effet durable sur l’apparence ou le fonctionnement des organes génitaux, ou celles qui modifient « légèrement » leur apparence, sans avoir d’effet durable sur la capacité de reproduction ou sur l’épanouissement sexuel des femmes ».
Le procédé intellectuel utilisé par les pieds nickelés de l’obstétrique, ici, n’abuse personne : c’est l’euphémisation de l’innommable. Car une excision préalablement euphémisée, (« altération » au lieu de « mutilation »), au fond, ne peut qu’être anodine, aseptisée, une sorte d’ablation « soft », de mutilation en douceur, de chirurgie fine sans douleur ni séquelle. A leur façon, nos gynécologues charcuteurs sont nominalistes : en changeant le nom, ils croient changer la chose. Il faudra cependant qu’ils expliquent comment le coup de bistouri, administré avec toute la bienveillance requise, évitera de modifier l’apparence ou de léser le fonctionnement des organes sexuels. Nous leur souhaitons, à notre tour, « bien du plaisir ».
Bruno Guigue | 23 février 2016
Source: https://arretsurinfo.ch/excision-une-lache-compromission-avec-linnommable-par-bruno-guigue/