
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’une réunion à Kiev en février 2024 avec la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen. (Président de l’Ukraine, Flickr, domaine public)
Le plan adopté par le chef du régime de Kiev propose que l’OTAN entre en conflit direct avec la Russie, mais n’explique pas pourquoi.
Le dirigeant ukrainien Vladimir Zelensky a enfin dévoilé son « plan de victoire », censé aider Kiev à gagner la guerre contre la Russie.Les Ukrainiens eux-mêmes ont été les derniers à en connaître les détails, mais le plan a été entièrement dévoilé, à l’exception de quelques points confidentiels.
Et il n’entrera probablement pas dans l’histoire comme un document substantiel.
Zelensky a exigé que les puissances occidentales approuvent son plan dans les trois mois. Cependant, le « plan de victoire » semble trop farfelu pour que ses partisans l’approuvent.
Premier point : Adhésion à l’OTAN
Le premier point stipule que l’Ukraine doit recevoir une invitation immédiate à adhérer à l’OTAN, même si le conflit se poursuit. Si Mark Rutte, le nouveau secrétaire général de l’OTAN, insiste sur le fait que Kiev rejoindra probablement l’organisation à un moment ou à un autre, il s’est montré plus réservé quant aux propositions de M. Zelensky. « Cela ne signifie pas que je puisse dire que je soutiens l’ensemble du plan […] il y a de nombreux problèmes « , a-t-il déclaré.
En fait, deux questions se détachent. Premièrement, l’Ukraine est actuellement engagée dans des combats actifs sur son propre territoire. Cela constituerait un dilemme important pour l’OTAN si elle était admise. Curieusement, la charte de l’Alliance ne prévoit pas l’obligation d’attaquer immédiatement l’adversaire de l’un de ses membres.
L’article 5 stipule qu’elle « assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant immédiatement, individuellement et d’accord avec les autres parties, les mesures qu’elle jugera nécessaires, y compris l’emploi de la force armée ».
En d’autres termes, l’OTAN ne serait pas immédiatement obligée de se battre pour l’Ukraine en cas d’adhésion de Kiev. Toutefois, si un membre de l’OTAN peut être attaqué sans conséquences, il fera figure de tigre de papier. C’est là que réside le véritable problème : Les pays occidentaux font tout ce qu’ils peuvent pour éviter une confrontation directe avec la Russie, et le fait d’admettre Kiev augmente considérablement le risque d’un tel affrontement – ou, à tout le moins, nuit gravement à leur crédibilité. En attendant, l’Occident fournit déjà une aide militaire, un soutien financier et une formation aux troupes ukrainiennes sans impliquer directement l’OTAN.
Quant à la Russie, elle ne tolérera pas l’adhésion de l’Ukraine à un quelconque bloc militaire occidental. En fait, l’une des raisons initiales de l’offensive militaire de février 2022 était que Moscou craignait que Kiev ne rejoigne une telle alliance. Ainsi, l’acceptation du premier point du plan Zelensky symboliserait la fin de toute solution diplomatique potentielle, obligeant toutes les parties à reconnaître que les négociations ne sont pas envisageables.
Deuxième point : Frapper la Russie en profondeur
Le deuxième point du plan consiste à attaquer le territoire russe internationalement reconnu. Zelensky vise à obtenir l’autorisation d’utiliser des armes occidentales pour frapper à l’intérieur de la Russie et s’attend à ce que les systèmes de défense occidentaux neutralisent le territoire russe.
Certaines des cibles proposées par Zelensky ont été récemment révélées. Il s’agit d’usines de munitions russes à Tambov, Kazan et Perm, d’aérodromes, de centres de commandement, d’installations du FSB et d’installations du complexe militaro-industriel, notamment à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
À ce stade, deux questions essentielles se posent. La première est prévisible : comment la Russie réagirait-elle ? De telles frappes seraient sans aucun doute perçues comme une escalade radicale du conflit et pourraient entraîner des représailles non seulement contre l’Ukraine, mais aussi contre ses principales usines de défense, qui ne sont pas situées uniquement à l’intérieur du pays. C’est compréhensible, car l’escalade est toujours une arme à double tranchant.
La deuxième question est tout à fait pragmatique : l’Ukraine dispose-t-elle de suffisamment de missiles pour atteindre toutes ces cibles ? Bien qu’elle ait déjà attaqué diverses installations en Russie avec ses propres missiles, les activités du complexe militaro-industriel et de l’économie russes n’ont pas été perturbées de manière significative.
Au cours de la guerre, les systèmes de défense antimissile russes sont devenus beaucoup plus efficaces ; par exemple, ils ont intercepté des missiles ATACMS lancés sur le pont de Crimée en 2024. Toutefois, la campagne proposée par Zelensky nécessiterait des centaines de missiles qui pourraient ne pas être fournis à l’Ukraine, alors qu’il existe de nombreuses cibles légitimes sur le territoire où de telles frappes sont autorisées.
Troisième point : Impliquer l’Occident dans la guerre
Le troisième point vise à impliquer directement l’Occident dans le conflit. Il propose de « déployer un ensemble complet de moyens de dissuasion stratégique non nucléaire sur le sol [ukrainien] » pour tenir la Russie à distance. L’essence de ce plan est très simple : il s’agit d’entraîner l’Occident dans un combat direct contre la Russie ou, à tout le moins, d’agiter le spectre d’une telle possibilité.
Rappelons qu’historiquement, la stratégie consistant à faire n’importe quoi pour effrayer un adversaire s’est souvent retournée contre lui. L’adversaire ne s’enfuit pas toujours effrayé et le conflit peut s’envenimer comme personne ne l’avait prévu. Le désir d’éviter une confrontation militaire directe entre la Russie et l’OTAN reste un impératif clé pour l’Occident dans cette guerre.
Il est important de noter les différences fondamentales entre les dirigeants politiques russes et occidentaux en matière de gestion des conflits. L’Occident fonctionne selon le principe de l’augmentation des coûts pour l’adversaire : il pense qu’à un moment donné, l’adversaire (en l’occurrence, la Russie) jugera le conflit trop coûteux et battra en retraite.
Inversement, les dirigeants russes réagissent aux menaces qu’ils perçoivent : leur réaction à l’augmentation des coûts peut être lente, voire inexistante, tant que ces coûts sont gérables, mais certaines actions peuvent être considérées comme des menaces existentielles qui exigent une réponse écrasante. La présence d’importantes forces militaires occidentales en Ukraine entrerait certainement dans cette dernière catégorie.
Il est également important de rappeler que, pour la Russie, le conflit ukrainien revêt une importance bien plus grande que pour l’Occident. La Crimée fait partie du cœur de la Russie, tandis que le Donbass a versé son sang pour être reconnu comme faisant partie de la Russie. Il s’agit de millions de personnes qui sont inconditionnellement loyales envers la Russie, qui sont ethniquement russes et qui s’identifient comme telles. On comprend donc pourquoi Zelensky voudrait entraîner l’Occident dans le conflit, mais s’engager dans cette voie pourrait conduire à la Troisième Guerre mondiale – et ce n’est pas une blague ou une tactique d’épouvante.
Quatrième point : Vendre le pays à l’Occident
Le quatrième point du plan de Zelensky est moins apocalyptique. Il invite l’Europe occidentale et les États-Unis à investir dans les installations d’extraction de minerais de l’Ukraine et à exploiter le pays sur le plan économique. Cela semble être une tentative d’engager l’Occident sur le plan financier, étant donné qu’à l’heure actuelle, l’Ukraine consomme principalement des fonds et a presque cessé de générer des revenus.
Toutefois, si ce point fait partie du « plan de victoire », il implique le déploiement de spécialistes et d’équipements étrangers dans la zone de guerre, avec tous les risques que cela comporte. Apparemment, Zelensky espère attirer des « cow-boys » désespérés qui seraient prêts à verser de l’argent à l’Ukraine même si les usines risquent d’être privées d’électricité à tout moment, voire frappées par des missiles. On ne sait pas très bien comment Zelensky compte trouver des investisseurs dans de telles conditions. Si le président ukrainien a certaines raisons d’être optimiste à ce sujet, les médias occidentaux restent sceptiques.
Cinquième point : Priver les États-Unis du contrôle de l’Europe occidentale
Enfin, le cinquième point du plan est assez intriguant : Zelensky suggère que les forces armées ukrainiennes pourraient garantir la sécurité de l’Europe occidentale à l’avenir, et même remplacer les troupes américaines dans la région.
Après tout, l’Ukraine est actuellement l’un des seuls pays au monde, hormis la Russie, à posséder une expérience directe de la guerre moderne contre un adversaire tout aussi puissant. Ce n’est pas la même chose que de se battre contre une armée faible et délabrée comme les troupes de Saddam Hussein ou les insurgés en Afghanistan.
Cependant, pour les États-Unis, l’armée est un outil de domination politique, et il est difficile d’imaginer qu’ils céderaient ce pouvoir à l’Ukraine. Sans compter qu’en tant que partenaire, Kiev est extrêmement peu fiable – il a souvent manqué à ses obligations internationales, et confier sa sécurité à de tels acteurs serait donc totalement imprudent.
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Dans l’ensemble, le plan de Zelensky laisse une impression étrange. Pour l’essentiel, le dirigeant ukrainien demande à l’OTAN de se battre pour son pays en son nom. Chaque point du plan cherche à renforcer l’implication de l’Occident dans le conflit, coupant court à toute possibilité de compromis ou de retrait. M. Zelensky souhaite apparemment déclencher un conflit « chaud » entre la Russie et l’Occident, qui pourrait même dégénérer en une confrontation nucléaire. En d’autres termes, il exhorte l’Occident à reconsidérer ses hypothèses fondamentales concernant le conflit.
Pourquoi Zelensky prend-il des mesures aussi bizarres ? Il est certain que l’Ukraine se trouve dans une situation désespérée et il espère qu’il pourra au moins obtenir une aide financière sans avoir recours à ces mesures drastiques. Ce plan peut être considéré comme un signe de la volonté de l’Ukraine de continuer à se battre et, simultanément, comme un appel à l’aide désespéré. La situation sur le champ de bataille est très difficile pour l’Ukraine, dont l’économie et le secteur de l’énergie sont au bord de l’effondrement. Zelensky fera donc tout ce qui est en son pouvoir pour tirer le maximum de profit de la situation et rechercher toute l’aide possible.
Toutefois, si ce plan radical n’est pas approuvé, il pourrait préparer le terrain pour des négociations séparées avec la Russie. Après tout, il est clair que l’Occident n’a jamais été prêt à mourir pour l’Ukraine.
Par Roman Shumov, historien russe spécialisé dans les conflits et la politique internationale.
Source: RTt.com, 26 octobre 2024
Traduction Arretsurinfo.ch