La presse américaine redevient un vecteur de propagande pro-guerre
Par Ted Galen Carpenter
Paru initialement le 23 mars 2022 sur Antiwar.com
Les journalistes américains ont une longue et fâcheuse histoire de relais de propagande pro-guerre. Généralement, ce comportement est au service d’une croisade militaire que Washington a lancée ou veut lancer. Parfois, cependant, cette trahison de l’intégrité journalistique se produit au nom d’un pays étranger que les dirigeants politiques et les élites médiatiques ont adopté comme cause favorite. Nous sommes actuellement témoins de ce dernier phénomène en ce qui concerne la couverture médiatique de la guerre Russie-Ukraine.
Le récit dominant des médias est que le gouvernement américain (et tous les Américains) doit « soutenir l’Ukraine » dans sa résistance à l’agression russe. L’identification à la cause de l’Ukraine est maintenant presque totale, et elle est imprégnée d’une arrogante assurance. On remarque l’absence du sentiment, autrefois si puissant dans la politique étrangère et le discours général des États-Unis, que les intérêts de l’Amérique sont souvent – et devraient être – distincts des intérêts et des objectifs de tout pays étranger.
L’émotivité et la superficialité sont particulièrement évidentes dans la couverture télévisée du conflit. Les téléspectateurs américains [ndlr, et européens] sont inondés d’images d’explosions obus attribuées aux forces d’invasion russes, de vues de réfugiés désespérés et en larmes (principalement des femmes et des enfants) fuyant les envahisseurs, et d’images d’autres civils ukrainiens déterminés à s’armer pour défendre leur pays. La télévision est un média visuel qui cherche toujours à susciter des émotions chez les téléspectateurs, mais cet élément est devenu vraiment excessif dans le traitement de la guerre en Ukraine. La diffusion d’un déluge d’images montrant des réfugiés civils traumatisés n’aide pas à comprendre les racines du conflit, ses problèmes sous-jacents ou son issue probable.
En effet, des grands médias se sont rendus coupables de diffusion de propagande ukrainienne manifestement grossière. Certains des documents qu’ils ont diffusé se sont révélés être des faux. Une image largement diffusée d’une jeune Ukrainienne affrontant verbalement les troupes russes était en réalité celle d’une jeune Palestinienne affrontant les troupes israéliennes. La Miss Ukraine 2015 ne prenait pas les armes contre les envahisseurs russes, malgré une séance photo explicite. Un examen plus approfondi de l’image a montré qu’elle brandissait un pistolet Airsoft. Certaines images de combats aériens de pilotes ukrainiens luttant contre les agresseurs russes provenaient de jeux vidéo.
Les organes de presse américains ont également diffusé toute une série de récits plus subtils, mais résolument trompeurs. Les prétendus martyrs de l’ile des Serpents, qui auraient été réduits en miettes après avoir défié et maudit un navire de guerre russe, se sont avérés être bien vivants. Début mars, les médias américains ont consciencieusement rapporté le récit de l’armée ukrainienne selon lequel elle avait gravement endommagé, voire coulé, le patrouilleur russe Vasiliy Bykov en mer Noire. Cet épisode était censé représenter une victoire majeure, car le navire était l’un des plus récents navires de guerre russes. La crédibilité de l’affirmation de Kiev a toutefois été mise à mal le 16 mars, lorsque le Vasily Bykov est entré, apparemment indemne, dans le port de Sébastopol en Crimée.
À la lumière de ces problèmes concernant les comptes rendus de la guerre, les journalistes américains devraient au moins être prudents avant de répéter par réflexe les allégations du gouvernement ukrainien. Par exemple, Kiev a affirmé à plusieurs reprises que les forces russes ciblaient délibérément les zones résidentielles dans leurs campagnes de bombardement, et les médias américains reprennent ces affirmations. Ces allégations sont peut-être vraies, mais les chiffres généralement admis concernant les victimes civiles ukrainiennes (726, au 17 mars) ne semblent pas compatibles avec des attaques totalement aveugles. Les journalistes devraient au moins considérer les accusations de Kiev avec un certain scepticisme, mais il y a peu de preuves d’un examen approfondi.
La guerre d’Ukraine ne serait pas la première guerre où une partie de la presse américaine deviendrait le canal privilégié de la désinformation. Dans les années qui ont précédé l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, de grands journaux et magazines américains ont repris avec crédulité la propagande britannique selon laquelle les forces allemandes en Belgique commettaient toute une série d’atrocités, y compris le viol de religieuses et l’assassinat de bébés à la baïonnette. Il s’est avéré par la suite que ces histoires étaient totalement inventées, mais elles ont eu un fort impact sur l’attitude du public américain envers l’Allemagne.
Quelque sept décennies plus tard, après l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, la performance de la presse américaine a été tout aussi lamentable. Les médias ont largement couvert les audiences du Congressional Human Rights Caucus en octobre 1990, au cours desquelles des témoins oculaires présumés des crimes de guerre irakiens ont été entendus. Le témoin principal était une jeune fille de 15 ans en larmes que le président du Caucus, le Rep. Tom Lantos (D-CA), a présenté sous le seul nom de « Nayirah ». Une identification plus détaillée, a averti Lantos, mettrait en danger ses amis et ses parents au Koweït. Nayirah s’est décrite comme une bénévole dans un hôpital qui avait été personnellement témoin de soldats irakiens forçant les infirmières de la maternité à retirer les nouveau-nés de leurs couveuses. Cette action, censée avoir eu lieu dans trois hôpitaux, aurait entraîné la mort de 312 nourrissons.
Ce récit s’inscrivait dans le cadre d’une campagne de désinformation sophistiquée menée par le gouvernement koweïtien pour amener l’opinion publique américaine à approuver frénétiquement l’entrée en guerre contre le dictateur irakien Saddam Hussein. Un régime capable de commettre des actes aussi monstrueux devait être arrêté, tel était le message. Finalement, la fausseté de l’histoire de l’atrocité de la couveuse est devenue incontestable, surtout lorsque des informations ont confirmé que « Nayirah » n’était pas une bénévole de l’hôpital, mais la fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis. À ce moment-là, cependant, les États-Unis et leurs alliés étaient en guerre contre l’Irak. La fausse histoire de propagande avait atteint son but.
Avec le recul, on se demande comment des journalistes professionnels américains ont pu diffuser une histoire aussi incendiaire sans faire le moindre effort pour la corroborer. Pourtant, ils l’ont fait. Pire encore, leurs successeurs qui couvrent la guerre en Ukraine ne font pas preuve d’un plus grand scepticisme lorsqu’il s’agit de soumettre les récits de Kiev sur le conflit à un tel test. Au lieu de cela, ils traitent les déclarations et les images qui leur sont fournies par les autorités ukrainiennes comme si leur authenticité était indiscutable.
Une telle crédulité laisse les médias ouverts à la manipulation cynique d’un autre gouvernement étranger. Et ne vous y trompez pas : l’objectif de l’offensive de propagande actuelle est de susciter le soutien du public américain à l’intervention militaire de Washington en faveur de l’Ukraine. Cette fois, le peuple américain doit reconnaître la propagande pro-guerre dans les médias pour ce qu’elle est, et ne pas mordre à l’hameçon.
Ted Galen Carpenter
Source: Antiwar.com.
(Traduction Arrêt sr info)