Récemment, un journaliste suisse se vantait de ne pas connaître Victoria Nuland, ancienne secrétaire d’Etat adjointe et ex-No 2 du Département d’Etat américain en charge de l’Europe et de l’Eurasie, qui a quitté ses fonctions le printemps dernier. Il avait raison car connaître et reconnaître Victoria Nuland eût été admettre que celle-ci avait été la cheville ouvrière du coup d’Etat qui a renversé le président ukrainien légitime Viktor Yanoukovitch en février 2014 et qu’elle était l’autrice de la fameuse phrase « Fuck the EU ! » quand on lui avait objecté que les Européens, qui venaient de signer un accord avec Yanoukovitch, auraient pu désapprouver cette manière de faire.
Or donc Mme Nuland, qui est, aux côtés de son mari Robert Kagan, l’égérie des néoconservateurs antirusses et antichinois depuis trente ans, vient de faire des révélations intéressantes dans la longue interview qu’elle a accordée la semaine dernière au journaliste d’opposition russe en exil Mikhail Zygar, rédacteur en chef de la chaine anti-Poutine Dozhd.
A la fin de l’entretien, sur un ton presque badin, comme s’il s’agissait d’une affaire anecdotique, elle aborde la question des pourparlers qui ont eu lieu à Istamboul entre la Russie et l’Ukraine après le début de l’intervention militaire russe, en mars et avril 2022. Fidèle à son habitude, elle cherche d’abord à discréditer la Russie en disant que cette dernière a voulu manipuler l’opinion en prétendant qu’’un accord avait été trouvé alors que ce n’était pas le cas.
Puis elle avoue qu’après quelques semaines, les Ukrainiens ont cherché conseil auprès de leurs alliés qui auraient alors découvert que le vrai but de Poutine aurait été dissimulé dans une disposition annexe de l’accord qui visait à neutraliser l’Ukraine sur le plan militaire en réduisant les effectifs et les équipements de son armée. Des voix se seraient alors élevées, aussi bien à Kiev que chez ses alliés, pour dire que cet accord n’était pas bon et qu’il fallait donc y renoncer.
Cette manière de présenter les choses est intéressante parce qu’elle montre qu’en 2022 les Occidentaux se fichaient éperdument de la perte des territoires, des destructions économiques et des dizaines de milliers de morts ukrainiens (et russes bien sûr), mais que seule les intéressait la capacité de l’Ukraine à se battre contre les Russes. Cela confirme ce que les observateurs impartiaux de ce conflit savent depuis longtemps, à savoir que la seule chose qui importait aux Américains et aux Européens était que l’Ukraine agît comme une arme de destruction massive de la Russie. Et cela accrédite la thèse suivant laquelle la progression de l’OTAN à l’Est après 1991 et l’offre d’adhésion faite à l’Ukraine en 2008 n’avaient qu’un seul objectif : acculer la Russie et la réduire à l’impuissance, quel qu’en fût le prix.
Cet aveu fait suite aux confessions de Naftali Bennet, ancien premier ministre israélien, et du député ukrainien David Arakhamia, ancien négociateur à Istamboul, qui ont tous deux reconnu que Kiev et Moscou étaient très près d’un accord et qu’il manquait juste l’approbation des pays garants de l’Ukraine, à savoir les Britanniques et les Américains (The Telegraph, 3 avril 2022, et Financial Times, 28 mars 2022). Thèse confirmée par l’article de Foreign Affairs publié en avril dernier (Samuel Charap et Sergey Radchenko, The talks that could have ended the war in Ukraine). Mais c’est la première fois que la grande architecte de la politique américaine en Ukraine reconnait son implication dans l’échec de ces négociations. Cela met en tout cas définitivement fin aux élucubrations des médias occidentaux qui ont toujours cherché à nier l’existence, puis à minimiser l’importance de ces pourparlers de paix.
Victoria Nuland n’est plus au pouvoir. Elle surveille moins son langage et peut s’exprimer plus librement. Elle veut aussi faire valoir son bilan. Elle parle donc avec une certaine fierté et se montre très satisfaite d’avoir réussi à faire échouer la paix.
Elle laisse aussi entendre que les Etats-Unis, c’est à dire elle, auraient appris très tard que des négociations avaient lieu.
Pures fariboles ! Je ne crois pas un seul instant que les Ukrainiens aient mené des négociations avec la Russie à l’insu de leurs mentors. Surtout pas de sa part, elle qui a consacré des décennies de travail à séparer l’Ukraine de la Russie et qui, après avoir supervisé le coup Maidan sous Obama, était de retour aux affaires dès 2021 avec Joe Biden pour attiser ce conflit et faire échouer les discussions avec Poutine, comme ce fut le cas lors du sommet raté de Genève en juin 2021. Tant les Britanniques que les Américains étaient informés. Il faut se souvenir qu’au début mars 2022 un des négociateurs ukrainiens a été tué par les services secrets ukrainiens qui le jugeaient trop favorable à Moscou et que le 28 mars Zelenski a lui-même fait une déclaration pour dire que les discussions avaient bien avancé. C’est sans doute à ce moment-là que les sponsors de l’Ukraine ont pris peur et se sont dit que le pays risquait de leur échapper, que les milliards investis pendant vingt ans risquaient d’être perdus et qu’il fallait agir en toute hâte pour les faire échouer. La campagne médiatique sur les prétendus massacres de Boutcha et la visite de Boris Johnson à Kiev ont suivi juste après, avec les conséquences que l’on sait.
La paix a-t-elle un avenir aujourd’hui ? Le Chancelier Olaf Scholz a récemment fait des déclarations dans ce sens. Mais il faut les prendre avec des pincettes. Dans un premier temps, il a toujours essayé de résister aux demandes excessives du régime ukrainien. Mais à la fin, il lui a toujours cédé. Il s’est tu lorsque des commandos alliés ont détruit le gazoduc Nordstream qui était pourtant une infrastructure allemande ! Enfin, ses alliés Verts sont les plus bellicistes du continent européen avec les Polonais et les Baltes. Sa brusque conversion au pacifisme est donc suspecte. Elle résulte en tout cas moins d’une conviction personnelle que des revers électoraux de sa coalition, qui a été mise en déroute par les partisans d’une cessation des hostilités, AfD et Alliance Sarah Wagenknecht. L’opinion publique allemande est en train de tourner et M. Scholz s’aperçoit un peu tard qu’après avoir ruiné son économie, la guerre à outrance par Ukrainiens interposés n’était pas une bonne option.
Le jour approche où les Européens, Ukrainiens inclus, s’apercevront qu’ils ont été les jouets de faux amis.
Arrêt sur info, 13 septembre 2024